par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 28 juin 2007, 06-11988
Dictionnaire Juridique

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Cour de cassation, 1ère chambre civile
28 juin 2007, 06-11.988

Cette décision est visée dans la définition :
Secret / Secret professionnel




Joint les pourvois n° 06-11.076 et 06-11.988 ;

Attendu que M. X..., notaire, a donné la forme authentique à des prêts consentis par la Caisse d'épargne d'Alsace, respectivement, aux époux Y..., aux époux Z..., aux époux A... et aux époux B..., lesquels, chacun, entendaient acquérir de la SCI Les Sables, promotrice, un pavillon en l'état futur d'achèvement ; que ces emprunteurs n'ayant pu faire face à leur engagement, la Caisse d'épargne d'Alsace a assigné M. X... en responsabilité, après avoir découvert que les opérations immobilières engagées par ces couples d'acheteurs étaient d'une toute autre ampleur que ce qui lui avait été présenté ; qu'en effet, les achats auxquels avaient procédé chacun de ces couples ne concernaient pas un seul bien immobilier, mais portaient sur sept, huit, voire neuf pavillons, tous financés à l'aide d'emprunts hypothécaires souscrits auprès d'établissements de crédit différents implantés dans la France entière, établissements maintenus dans l'ignorance de l'importance de l'ensemble, pour chacun des ménages d'acheteurs, de l'opération ; que les trente et un actes de vente et de prêt hypothécaire ont été établis par ce notaire ; qu'est intervenue à l'instance, la société Le Crédit logement, laquelle avait cautionné les prêts contractés par les époux Y..., Z... et A... auprès de la banque Société générale et qui s'est trouvée subrogée dans les droits de celle-ci, après l'avoir désintéressée suite à la défaillance des emprunteurs ;

Sur le moyen unique du pourvoi de la Caisse d'épargne d'Alsace (06-11.988), pris en ses sept branches :

Attendu que la Caisse d'épargne d'Alsace fait grief à l'arrêt attaqué (Poitiers, 30 novembre 2005) de l'avoir déboutée de ses demandes dirigées contre M. X..., alors, selon le moyen :

1°/ que le notaire qui authentifie un acte de prêt hypothécaire, lors même qu'il n'en a pas été le négociateur, a l'obligation, s'il est en mesure de connaître ou de suspecter l'insuffisance du gage, d'appeler l'attention des prêteurs sur cette situation ; qu'en énonçant, pour décharger le notaire de toute responsabilité, qu'il pouvait légitimement ignorer que les acquéreurs des pavillons avaient dissimulé aux banques leur endettement, au cours des négociations relatives à la conclusion des prêts auxquelles il n'avait pas participé, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

2°/ que le notaire n'est pas dispensé de son devoir de conseil par les compétences professionnelles ou les connaissances de ses clients en considération desquelles il est seulement possible, le cas échéant, d'estimer que celui-ci a commis une faute ayant contribué à la production de son préjudice ; qu'en retenant, pour décharger le notaire de tout devoir de conseil à l'égard du créancier hypothécaire, à l'occasion d'une vente et d'un prêt hypothécaire destiné à financer cette acquisition, que le devoir de conseil du notaire ne s'étendait pas à l'analyse des capacités financières de remboursement d'un acquéreur et à la faisabilité économique de l'opération et qu'il appartient aux établissements de crédit, et à eux seuls, de se préoccuper de l'insolvabilité des emprunteurs et des risques présentés par l'opération qu'ils s'apprêtent à financer, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

3°/ qu'à l'occasion de l'établissement d'un acte de prêt hypothécaire, le notaire est tenu d'informer le créancier des risques présentés par l'opération qu'il envisage de financer et de l'endettement excessif de l'emprunteur qui menace l'efficacité de son gage dès lors qu'il en a connaissance ; qu'en affirmant le contraire, après avoir constaté que le notaire avait reçu trente et un contrats de vente, en pleine connaissance des emprunts souscrits par les acquéreurs auprès de différentes banques, sans apport personnel, pour l'acquisition de pavillons d'une valeur individuelle de 857 000 francs, soit un endettement de plus de quatre millions d'euros, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations d'où il résulte que l'attribution au notaire d'un rôle pivot dans ce montage immobilier lui imposait d'informer la Caisse d'épargne d'Alsace du surendettement des emprunteurs dont il avait nécessairement connaissance ; qu'ainsi, elle a violé l'article 1382 du code civil ;

4°/ que le secret professionnel, qui s'impose au notaire, ne le dispense pas de son devoir de conseil qui lui impose d'informer le créancier hypothécaire de l'insolvabilité de l'emprunteur dont il a connaissance, dès lors qu'elle est déjà acquise ou particulièrement menaçante, et qu'il apparaît d'emblée que l'opération est vouée à un échec certain ; qu'en affirmant que le secret professionnel dispensait le notaire d'informer le créancier des autres actes de vente et de prêt qu'il avait reçus pour le compte d'autres acquéreurs, au lieu de rechercher si le surendettement manifeste des emprunteurs ne promettait pas l'opération à un échec certain dont le notaire était tenu d'avertir la Caisse d'épargne d'Alsace, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

5°/ qu'en toute hypothèse les notaires doivent s'abstenir de prêter leur ministère pour conférer le caractère authentique à une convention dont ils savent qu'elle méconnaît les droits de l'une des parties qui leur a confié la défense de leurs intérêts ; qu'en affirmant que le secret professionnel interdisait au notaire d'informer la Caisse d'épargne d'Alsace des autres actes de vente et de prêt qu'il avait établis pour le compte des emprunteurs, quand la connaissance acquise par le notaire de l'insolvabilité des emprunteurs lui interdisait de prêter son concours à l'établissement d'un acte de prêt hypothécaire au préjudice de la Caisse d'épargne d'Alsace, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

6°/ qu'en énonçant que l'échec de l'opération immobilière n'est pas imputable à la faute du notaire qui ne s'est pas assuré que les emprunteurs avaient versé l'apport personnel, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si cette faute ne constituait pas un antécédent nécessaire du préjudice subi par les banques, dès lors que la découverte par le notaire de la défaillance des emprunteurs l'aurait empêché d'instrumenter, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

7°/ qu'en affirmant que la Caisse d'épargne d'Alsace avait agi avec légèreté blâmable, en s'abstenant de vérifier la situation financière des emprunteurs qu'elle ne connaissait pas et la viabilité de l'opération qu'elle avait accepté de financer, tout en constatant qu'ils lui avaient dissimulé qu'ils avaient souscrit d'autres emprunts auprès d'autres banques, la cour d'appel qui n'a pas recherché, ainsi qu'elle y était invitée, si les informations obtenues des emprunteurs, dans le silence du notaire, étaient de nature à établir leur insolvabilité et le défaut de viabilité de l'opération, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu, d'abord, que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des faits, que la cour d'appel a retenu que M. X..., qui n'était pas intervenu dans la négociation des différents prêts souscrits par les époux Y..., Z..., A... et B..., pouvait légitimement ignorer que ces derniers avaient caché aux banques le fait qu'ils avaient acheté, dans les mêmes conditions, plusieurs maisons et qu'ils avaient déclaré, lors de la demande de prêt notamment à la Caisse d'épargne d'Alsace, qu'ils n'avaient pas souscrit d'autres prêts ; qu'ensuite ayant relevé qu'il n'appartenait pas à M. X..., demeuré étranger à la conclusion des contrats de prêts, de rechercher si le loyer de chacune de ces acquisitions, opération simple, qui n'avait aucun lien avec les autres acquisitions faites par les époux Y..., Z..., A... et B..., pouvait permettre à chacun de ceux-ci de faire face à leurs engagements, la cour d'appel a pu en déduire que, sans manquer à son devoir de conseil, il n'avait pas à se substituer aux banques dans la recherche de solvabilité des acquéreurs et des risques de ces opérations spéculatives ; qu'ensuite, l'arrêt a exactement décidé que le secret professionnel interdisait au notaire de révéler à la Caisse d'épargne d'Alsace qu'il avait été chargé par d'autres établissements financiers de procéder à l'authentification d'autres actes de prêts pour le compte de ces mêmes emprunteurs ; qu'encore, l'arrêt ne retient pas la connaissance qui aurait été celle de M. X... de l'insolvabilité des emprunteurs ; qu'enfin la cour d'appel a fait la recherche visée aux sixième et septième branches ; que l'arrêt n'encourt pas les griefs du moyen ;

Sur le moyen unique du pourvoi de la société Le Crédit logement (06-11.076), pris en ses deux branches :

Attendu que cette société fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de ses demandes dirigées contre M. X..., alors, selon le moyen :

1°/ que les notaires doivent s'abstenir de prêter leur ministère pour conférer le caractère authentique à une convention dont ils savent qu'elle méconnaît les droits d'un tiers ; qu'en se bornant à relever, pour débouter le Crédit logement de ses demandes, qu'il n'incombait pas à M. X..., notaire, tenu par le secret professionnel, d'informer les établissements bancaires de ce que les emprunteurs avaient déjà souscrit d'autres emprunts ni de procéder à une analyse financière de leur projet sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée par le Crédit logement, si, en l'état des trente et une ventes intervenues dans le cadre d'une vaste opération de promotion immobilière ayant abouti à des condamnations pénales, emportant un endettement de 26 000 000 francs pour les trois couples d'emprunteurs et correspondant à une charge financière individuelle mensuelle de 70 000 francs, M. X..., dont la cour d'appel a expressément relevé qu'il a reçu l'ensemble des contrats de vente en connaissance de tous les emprunts contractés auprès de différents établissements bancaires disséminés sur l'ensemble du territoire, n'avait pas, sciemment, méconnu les droits du Crédit logement en prêtant son ministère à une opération frauduleuse, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

2°/ qu'en leur qualité d'officier public, les notaires, responsables envers les tiers de toute faute préjudiciable commise dans l'exercice de leurs fonctions, doivent les alerter lorsqu'ils ont connaissance d'anomalies pouvant engendrer à leur encontre des conséquences dommageables ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil.

Mais attendu qu'il ne ressort pas de l'arrêt que M. X..., en taisant l'importance de l'endettement des emprunteurs, ait sciemment voulu tromper les établissements de crédit, notamment la banque Société générale, dans les droits de laquelle la société Le Crédit logement se trouve subrogée, et à laquelle s'étaient adressés les époux Y..., Z... et A... ; qu'en outre le notaire n'était pas tenu envers la caution, dont il n'est pas établi qu'il ait eu connaissance de son engagement, d'un quelconque devoir de conseil ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Laisse à la société Crédit logement et à la Caisse d'épargne d'Alsace la charge respective des dépens afférents à leur propre pourvoi ;

Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette les demandes ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille sept.



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Cette décision est visée dans la définition :
Secret / Secret professionnel


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 11/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.