par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. soc., 2 avril 2014, 13-11187
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Cour de cassation, chambre sociale
2 avril 2014, 13-11.187

Cette décision est visée dans la définition :
Licenciement




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 29 novembre 2012), que M. X... a été engagé le 19 août 2002 par la société Sevia en qualité de responsable d'agence ; que le 2 juillet 2007, il a pris acte de la rupture du contrat de travail ;

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de décider que cette rupture s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le condamner à payer au salarié des sommes à titre de dommages-intérêts et d'indemnités de rupture, alors, selon le moyen :

1°/ que lorsque le contrat de travail ne définit pas précisément l'assiette de calcul d'une prime, la note de l'employeur qui précise cette assiette n'emporte pas modification du contrat ; qu'en l'espèce, le contrat de travail de M. X... prévoyait le paiement d'une prime d'objectifs mensuelle équivalente à 5 % de la progression du chiffre d'affaires net par rapport à l'année précédente jusqu'à 7 622 euros mensuels et de 2,5 % de cette progression au-delà de 7 622 euros mensuels ; que le contrat de travail ne précisait pas si le chiffre d'affaires net servant de base de calcul de cette prime d'objectif était celui généré par l'agence ou comprenait également celui généré par les contrats nationaux ; qu'en retenant que la note de la société Sevia du mois de mars 2004 qui précisait que le chiffre d'affaires net primé est celui de l'agence, hors contrats nationaux, emportait modification du mode de rémunération contractuelle, dès lors que cette restriction n'était pas pratiquée précédemment, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;

2°/ que la prise d'acte, par le salarié, de la rupture du contrat n'est justifiée qu'en présence de manquements de l'employeur à ses obligations qui font obstacle à la poursuite de l'exécution du contrat ; que la note de mars 2004, qui précisait les modalités de calcul de la prime d'objectif pour l'année 2004, prévoyait par ailleurs l'augmentation du taux de commissionnement de 2,5 % à 5 % à compter de 7 622 euros par mois, une bonification supérieure des objectifs d'exploitation et la création de deux primes sur le taux de remplissage des véhicules ; que les nouvelles modalités de rémunération résultant de cette note étaient ainsi plus favorables pour le salarié, qui n'avait d'ailleurs jamais émis aucune réclamation sur ce point, ni formé de demande en paiement d'un rappel de salaire à raison de la modification de sa rémunération contractuelle ; qu'au surplus, les conditions de rémunération issues de cette note n'avaient été appliquées qu'en 2004, M. X... ayant ensuite accepté la modification de sa rémunération contractuelle à compter du 1er janvier 2005 ; qu'en conséquence, à supposer que cette note de mars 2004 ait emporté modification unilatérale du mode de rémunération contractuel, cette faute de l'employeur intervenue plus de trois ans avant la prise d'acte de la rupture, non réitérée les années suivantes et n'ayant entraîné aucune perte de salaire pour le salarié, n'était pas de nature à justifier la prise d'acte ; qu'en se bornant à affirmer, pour retenir le contraire, que la modification unilatérale du mode de rémunération contractuel justifie la prise d'acte de la rupture du contrat par le salarié, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;

3°/ que la prise d'acte, par le salarié, de la rupture du contrat n'est justifiée qu'en présence de manquements de l'employeur à ses obligations faisant obstacle à la poursuite de l'exécution du contrat à la date à laquelle le salarié prend acte de la rupture ; qu'il en résulte que l'erreur de classification commise par l'employeur au moment de l'embauche du salarié, corrigée plusieurs années avant la prise d'acte de la rupture du contrat et à propos de laquelle le salarié n'a jamais émis de réclamation avant de rompre le contrat, ne peut justifier cette prise d'acte ; qu'en l'espèce, au soutien de sa prise d'acte intervenue le 2 juillet 2007, M. X... reprochait à la société Sevia de l'avoir classé au coefficient 350 au moment de l'embauche en août 2002, puis au coefficient 400 à compter du 1er janvier 2005, son emploi correspondant, selon lui, au moins au coefficient 460, si ce n'est au coefficient 550 et même 660, ce dont il ne s'était cependant jamais plaint avant de rompre son contrat ; que la cour d'appel a constaté que M. X..., dont l'emploi relevait bien du coefficient 400, était mal fondé à prétendre à un repositionnement à un coefficient supérieur, mais a estimé qu'au regard de son expérience professionnelle antérieure, il aurait dû être classé, dès l'embauche, au coefficient 400 ; qu'en retenant que cette erreur de classification justifiait à elle seule la prise d'acte de la rupture, cependant que cette faute avait été commise lors de l'embauche du salarié, cinq ans avant la prise d'acte, avait entraîné une perte de salaire d'un montant total limité à 1 137,90 euros sur trois ans et avait été corrigée plus de deux ans avant la prise d'acte, sans que le salarié n'émette jamais aucune protestation sur sa classification conventionnelle, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;

Mais attendu que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite de ce contrat ;

Et attendu qu'ayant relevé que l'employeur avait modifié unilatéralement la structure de la rémunération du salarié pour 2004 et avait manqué à ses obligations résultant de la convention collective applicable en attribuant au salarié un classement inférieur à celui auquel il pouvait prétendre à raison de son âge et de son expérience professionnelle, puis que l'employeur avait reconnu au salarié un classement plus élevé le 1er janvier 2005 sans régulariser la situation antérieure et en le rémunérant certains mois en dessous du minimum conventionnel prévu pour ce classement, la cour d'appel a pu décider que la rupture du contrat de travail produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS,

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Sevia aux dépens ;


Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Sevia à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux avril deux mille quatorze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils, pour la société Sevia

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la société SEVIA a modifié unilatéralement la structure de la rémunération de Monsieur X... pour l'exercice 2004, d'AVOIR dit que la prise d'acte par Monsieur X... de la rupture de son contrat de travail aux torts de la société SEVIA produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'AVOIR condamné la société SEVIA à verser à Monsieur X... la somme de 21.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la somme de 6.631,33 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

AUX MOTIFS QU'« alors qu'il a exercé les mêmes fonctions durant l'ensemble de sa période d'emploi, (M. X...) a été classé dans un premier temps au coefficient 350, correspondant à un ingénieur ou cadre débutant, et n'a été classé que le 3 juin 2005 au coefficient 400 à effet au 1er janvier 2005 ; que selon l'accord du 10 août 1978 portant révision des classifications-document 3, relatif aux ingénieurs et cadres débutants : "Les ingénieurs et cadres débutants, engagés pour remplir des fonctions de cadre et titulaires de l'un des diplômes visés dans la définition figurant dans les dispositions relatives à l'avenant n° 3 du document I, mais ne possédant pas l'expérience professionnelle et n'assumant pas encore des responsabilités leur permettant d'être classés à un coefficient supérieur, sont classés au coefficient 350 et ont les garanties suivantes : après 3 ans au maximum au coefficient 350 et au plus tard à 29 ans : coefficient 400" ; qu'il n'est pas contesté que M. X..., engagé par la société Sevia pour remplir des fonctions de cadre, était titulaire d'un diplôme d'ingénieur reconnu par l'Etat, celui d'ingénieur de l'Ecole polytechnique féminine de Sceaux, et qu'âgé de 33 ans, comme étant né le 7 novembre 1968, il avait une expérience professionnelle de plusieurs années, pour avoir travaillé en 1998 pour la société Sita en qualité de commercial et pour avoir exercé en dernier lieu, après avoir travaillé dans le domaine de la sécurité et de la qualité, des fonctions de responsable d'un site situé à Mortagne-au-Perche constituant une installation classée pour la protection de l'environnement ; que l'intéressé soutient, sans être contredit, que c'est d'ailleurs en raison de cette expérience professionnelle antérieure dans le secteur du traitement des déchets, que la société Sevia l'a engagé pour exercer des fonctions de responsable d'agence ; que M. X... ne pouvait dès lors être classé à son entrée dans l'entreprise au coefficient 350 correspondant à celui d'un cadre débutant ; qu'il devait être classé dès son engagement au coefficient 400 ; qu'il convient en conséquence d'infirmer le jugement déféré et de dire que M. X... doit être repositionné au coefficient 400 pour la période du 19 août 2002 au 31 décembre 2004 » ;

ET AUX MOTIFS QU' « il est établi que la société Sevia a modifié unilatéralement la structure de la rémunération de M. X... pour l'exercice 2004 ; qu'en effet, alors que le contrat de travail du salarié stipulait qu'une prime d'objectif lui sera versée mensuellement en fonction des objectifs commerciaux et sera calculée comme suit : Déchets + Huiles usagées : (CA net /mois ¿ (CA net année N- 1/12)) x 5%, pour les premiers 7 622 euros mensuels et au taux de 2,5 % au-delà, * CA net = CA facturé déchet + CA facturé huile + stock huile - sous-traitance ¿ destruction/pré-traitement + ou cession interne, la société a imposé unilatéralement à M. X..., aux termes d'un courrier du 22 mars 2004, que cette prime sera calculée différemment pour l'année 2004, le CA net primé étant désormais le chiffre d'affaires agence (huile + déchets), hors CA générés par les contrats nationaux, alors qu'en l'absence de toute restriction, il intégrait jusqu'alors le CA généré par les contrats nationaux, tandis que le taux de commissionnement était fixé uniformément à 5 % ; que la renonciation à un droit ne se présume pas et que l'avenant signé par le salarié en 2005 modifiant de nouveau sa rémunération contractuelle à compter du 1er janvier 2005 ne peut valoir renonciation du salarié à se prévaloir de la modification unilatérale par l'employeur de sa rémunération pour l'année 2004 ; que le mode de rémunération contractuel d'un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans son accord peu important que le nouveau mode soit plus avantageux ; qu'il s'ensuit que le juge qui constate qu'un employeur a, sans recueillir l'accord du salarié, modifié sa rémunération contractuelle, doit en déduire que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié est justifiée ; que la société Sevia a également manqué à ses obligations conventionnelles en attribuant à M. X..., en dépit de son expérience professionnelle et de son âge, le coefficient 350, correspondant à celui d'un ingénieur ou cadre débutant, pour toute la période du 19 août 2002 au 31 décembre 2004 au lieu du coefficient 400, qui devait lui être appliqué ; que si elle a reconnu le coefficient 400 au salarié à effet au 1er janvier 2005, elle n'a pas régularisé la situation antérieure ; qu'elle a en outre manqué à ses obligations conventionnelles en rémunérant durant cette période le salarié durant certains mois en dessous du salaire minimum conventionnel pour le coefficient 400 ; que chacun de ces faits pris isolément constitue à lui seul un manquement suffisamment grave de la société Sevia à ses obligations pour justifier, en l'absence de régularisation, la prise d'acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur ; qu'en conséquence, la prise d'acte de M. X... doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse » ;

1. ALORS QUE lorsque le contrat de travail ne définit pas précisément l'assiette de calcul d'une prime, la note de l'employeur qui précise cette assiette n'emporte pas modification du contrat ; qu'en l'espèce, le contrat de travail de Monsieur X... prévoyait le paiement d'une prime d'objectifs mensuelle équivalente à 5 % de la progression du chiffre d'affaires net par rapport à l'année précédente jusqu'à 7.622 euros mensuels et de 2,5 % de cette progression au-delà de 7.622 euros mensuels ; que le contrat de travail ne précisait pas si le chiffre d'affaires net servant de base de calcul de cette prime d'objectif était celui généré par l'agence ou comprenait également celui généré par les contrats nationaux ; qu'en retenant que la note de la société SEVIA du mois de mars 2004 qui précisait que le chiffre d'affaires net primé est celui de l'agence, hors contrats nationaux, emportait modification du mode de rémunération contractuelle, dès lors que cette restriction n'était pas pratiquée précédemment, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;

2. ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE la prise d'acte, par le salarié, de la rupture du contrat n'est justifiée qu'en présence de manquements de l'employeur à ses obligations qui font obstacle à la poursuite de l'exécution du contrat ; que la note de mars 2004, qui précisait les modalités de calcul de la prime d'objectif pour l'année 2004, prévoyait par ailleurs l'augmentation du taux de commissionnement de 2,5 % à 5% à compter de 7.622 euros par mois, une bonification supérieure des objectifs d'exploitation et la création de deux primes sur le taux de remplissage des véhicules ; que les nouvelles modalités de rémunération résultant de cette note étaient ainsi plus favorables pour le salarié, qui n'avait d'ailleurs jamais émis aucune réclamation sur ce point, ni formé de demande en paiement d'un rappel de salaire à raison de la modification de sa rémunération contractuelle ; qu'au surplus, les conditions de rémunération issues de cette note n'avaient été appliquées qu'en 2004, Monsieur X... ayant ensuite accepté la modification de sa rémunération contractuelle à compter du 1er janvier 2005 ; qu'en conséquence, à supposer que cette note de mars 2004 ait emporté modification unilatérale du mode de rémunération contractuel, cette faute de l'employeur intervenue plus de trois ans avant la prise d'acte de la rupture, non réitérée les années suivantes et n'ayant entraîné aucune perte de salaire pour le salarié, n'était pas de nature à justifier la prise d'acte ; qu'en se bornant à affirmer, pour retenir le contraire, que la modification unilatérale du mode de rémunération contractuel justifie la prise d'acte de la rupture du contrat par le salarié, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;


3. ALORS, ENFIN, QUE la prise d'acte, par le salarié, de la rupture du contrat n'est justifiée qu'en présence de manquements de l'employeur à ses obligations faisant obstacle à la poursuite de l'exécution du contrat à la date à laquelle le salarié prend acte de la rupture ; qu'il en résulte que l'erreur de classification commise par l'employeur au moment de l'embauche du salarié, corrigée plusieurs années avant la prise d'acte de la rupture du contrat et à propos de laquelle le salarié n'a jamais émis de réclamation avant de rompre le contrat, ne peut justifier cette prise d'acte ; qu'en l'espèce, au soutien de sa prise d'acte intervenue le 2 juillet 2007, Monsieur X... reprochait à la société SEVIA de l'avoir classé au coefficient 350 au moment de l'embauche en août 2002, puis au coefficient 400 à compter du 1er janvier 2005, son emploi correspondant, selon lui, au moins au coefficient 460, si ce n'est au coefficient 550 et même 660, ce dont il ne s'était cependant jamais plaint avant de rompre son contrat ; que la cour d'appel a constaté que Monsieur X..., dont l'emploi relevait bien du coefficient 400, était mal fondé à prétendre à un repositionnement à un coefficient supérieur, mais a estimé qu'au regard de son expérience professionnelle antérieure, il aurait dû être classé, dès l'embauche, au coefficient 400 ; qu'en retenant que cette erreur de classification justifiait à elle seule la prise d'acte de la rupture, cependant que cette faute avait été commise lors de l'embauche du salarié, cinq ans avant la prise d'acte, avait entraîné une perte de salaire d'un montant total limité à 1.137,90 euros sur trois ans et avait été corrigée plus de deux ans avant la prise d'acte, sans que le salarié n'émette jamais aucune protestation sur sa classification conventionnelle, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil.



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Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 29/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.