par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 3 février 2010, 08-21288
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
3 février 2010, 08-21.288

Cette décision est visée dans la définition :
Principe d' Estoppel




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique pris en sa première branche :

Vu les articles 1502-3 et 1504 du code de procédure civile ;

Attendu que la société française Merial et la société allemande Klocke Verpackungs-Service Gmbh ont conclu un contrat, relatif au conditionnement de produits vétérinaires, comportant une clause compromissoire prévoyant un arbitrage sous l'égide de la chambre de commerce internationale (CCI) ; que des difficultés étant survenues, le tribunal arbitral, saisi par la société Merial, a, par sentence du 22 février 2007, accueilli partiellement sa demande et ordonné une compensation avec les condamnations prononcées sur la demande reconventionnelle, déclarée recevable par une ordonnance de procédure, de la société Klocke ; que la société Merial a formé un recours en annulation ;

Attendu que, pour qualifier d'estoppel l'attitude procédurale de la société Merial, l'arrêt retient d'abord que, aux termes de l'ordonnance de procédure du 12 avril 2006, les arbitres ont d'une part constaté que les parties s'étaient expliquées contradictoirement sur la recevabilité des demandes de la société Klocke et d'autre part décidé que ces demandes étaient dans les limites de l'acte de mission du 21 octobre 2005 ; puis que la société Merial n'a pas protesté contre les termes de cette ordonnance avant de signer le procès-verbal d'audience arbitrale du 12 mai 2006 prononçant la clôture des débats ;

Qu'en statuant ainsi alors, d'une part, que le comportement procédural de la société Merial n'était pas constitutif d'un changement de position, en droit, de nature à induire la société Klocke en erreur sur ses intentions et ne constituait donc pas un estoppel, et, d'autre part, que l'absence de contestation par la société Merial de la recevabilité de la demande reconventionnelle de la société Klocke entre l'ordonnance du 12 avril 2006 et le procès verbal d'audience du 12 mai 2006 n'emportait pas, à elle seule, renonciation à se prévaloir de cette irrecevabilité dans la procédure d'annulation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur la deuxième branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 octobre 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Klocke Verpackungs-Service GMBH aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois février deux mille dix.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Thomas-Raquin et Bénabent, avocat aux Conseils pour la société Merial.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté le recours en annulation de la sentence arbitrale rendue à PARIS le 22 février 2007 par Messieurs X..., Y... et Z... ;

AUX MOTIFS QUE, « sur les premier et deuxième moyens d'annulation : le principe de la contradiction n'a pas été respecté et la reconnaissance ou l'exécution de la sentence sont contraires à l'ordre public international (art. 1502-4° et 5° du Code de procédure civile) ; que la Société MERIAL fait d'abord valoir que l'opinion dissidente est une violation du secret du délibéré qui entraîne la nullité de la sentence au visa de l'ordre public international ; qu'elle dit ensuite, pour conclure tant à la violation du principe de la contradiction qu'à celle de l'ordre public international, que la motivation repose sur des éléments (pièces et indices) non identifiés, ce qui empêche de contrôler s'ils ont été soumis au débat contradictoire ; que l'audition de KLOCKE en qualité de sachant par le tribunal arbitral viole les droits de la défense et le principe de la contradiction, nul ne pouvant se constituer une preuve à lui-même, et que les arbitres ont inversé la charge de la preuve en retenant le savoirfaire particulier de KLOCKE au motif qu'elle-même ne pouvait efficacement démontrer que cette société n'en disposait pas ; qu'elle soutient enfin qu'elle n'a pas été en mesure de présenter un argumentaire écrit au mémoire en réplique et récapitulatif de KLOCKE communiqué le 15 mars 2006, moins de deux mois avant les plaidoiries, alors que ce mémoire comportait des demandes nouvelles bouleversant l'état de la procédure … ; que s'agissant des griefs visant la rigueur de la motivation de la sentence, l'audition de l'une et l'autre des parties par le tribunal arbitral et les éléments de preuve qui en sont tirés ou la prétendue inversion de la charge de la preuve, MERIAL se livre à une critique de fond de la sentence, longuement et soigneusement motivée, tendant à une révision au fond qui est interdite au juge de l'annulation … ; sur les troisième et quatrième moyens d'annulation : les arbitres ont statué sans convention d'arbitrage et sans se conformer à la mission qui leur avait été conférée (art. 1502-1° et 3° du Code de procédure civile) ; que la Société MERIAL dit que l'acte de mission concernait la seule sphère contractuelle (demandes en divers paiements par MERIAL en application du contrat, remise en cause du contrat reconventionnellement par KLOCKE pour dol ou mauvaise exécution) alors qu'en définitive, la demande reconventionnelle de KLOCKE se substituant à sa demande initiale vise sur un fondement délictuel l'appropriation indue d'un savoir-faire spécifique et qu'en recevant cette demande nouvelle, qui ne se rattache pas par un lien suffisant à la demande d'origine ni ne la complète ou la modifie, le tribunal arbitral a statué sans convention d'arbitrage ou, à tout le moins, en violation de sa mission ; mais considérant que l'ordonnance de procédure du 12 avril 2006 dispose, point 1 : « Les arbitres relèvent, qu'à ce stade de la procédure, les conseils des parties se sont expliqués contradictoirement et complètement sur la recevabilité des demandes formulées par KLOCKE dans son mémoire n° 2 du 15 mars 2006 » et, point 2 : « En application de l'article 19 du Règlement d'arbitrage relatif aux « demandes nouvelles », le tribunal arbitral considère et acte que les nouvelles demandes de KLOCKE sont dans les limites de l'acte de mission du 21 octobre 2005 » ; que MERIAL, qui n'a pas protesté contre les termes de cette ordonnance et a signé sans réserve, comme il a été dit plus haut, le procès-verbal d'audience arbitrale du 12 mai 2006 prononçant la clôture des débats, n'est plus recevable, en application du principe d'estoppel, à critiquer devant le juge de l'annulation la sentence sur ces points ; que les troisième et quatrième moyens d'annulation, et partant, le recours, sont rejetés » (cf. arrêt pp. 4 à 6) ;

ALORS, D'UNE PART, QUE le principe d'estoppel interdit à une partie de se prévaloir d'une position contraire à celle qu'elle a eue antérieurement et sur la foi de laquelle une autre partie a altéré sa position ; que ne méconnaît pas ce principe la partie qui sollicite l'annulation d'une sentence arbitrale en lui reprochant d'avoir statué sur une demande reconventionnelle de son adversaire n'entrant pas dans les limites de l'acte de mission alors que, cette demande ayant été présentée deux mois avant la date fixée pour l'audience, elle a, dans les 15 jours suivants, adressé au tribunal arbitral un courrier faisant valoir que celle-ci n'entrait pas dans les limites de l'acte de mission et a ensuite expressément soulevé ce moyen dans un mémoire en réponse qui constitue le dernier au vu duquel le tribunal arbitral a statué ; que ni la signature par cette partie du procès-verbal d'audience prononçant la clôture des débats, ni l'absence de nouvelles observations de sa part à la suite de l'ordonnance de procédure du tribunal arbitral considérant, un mois avant l'audience, que la demande reconventionnelle litigieuse entrait dans les limites de l'acte de mission, ne peuvent traduire une renonciation de sa part à son moyen d'irrecevabilité figurant dans le dernier mémoire dont le tribunal était saisi et lui interdire, sous peine de se contredire au détriment d'autrui, de reprocher au tribunal arbitral d'avoir à tort écarté ce moyen ; qu'en retenant en l'espèce que la Société MERIAL ne serait plus recevable, en application du principe d'estoppel, à reprocher au tribunal arbitral d'avoir statué en dehors des limites de la mission qui lui était confiée en accueillant la demande nouvelle de la Société KLOCKE visant, sur le fondement délictuel, l'appropriation indue d'un savoir-faire spécifique, et ce parce qu'elle n'aurait pas protesté contre l'ordonnance de procédure rendue par le tribunal arbitral le 12 avril 2006 qui, se prononçant sur le moyen d'irrecevabilité par elle soulevé, avait retenu que la demande nouvelle de la Société KLOCKE rentrerait dans les limites de l'acte de mission, et parce qu'elle aurait signé sans réserve le procèsverbal d'audience prononçant la clôture des débats, la Cour d'appel a violé ensemble le principe d'estoppel et les articles 1504 et 1502-3° du Code de procédure civile ;


ALORS, D'AUTRE PART, QUE la sentence arbitrale rendue en France en matière d'arbitrage international peut faire l'objet d'un recours en annulation lorsqu'elle est contraire à l'ordre public international ; qu'est contraire à l'ordre public international une sentence qui compromet les intérêts d'une partie par une violation des principes fondamentaux de la procédure ; que la règle selon laquelle : « Il incombe à chaque partie de prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention » est une règle procédurale d'ordre public international en ce qu'elle complète le caractère obligatoire de la règle de droit et limite le risque d'arbitraire du juge ; qu'en l'espèce, la Société MERIAL faisait valoir que la sentence arbitrale était contraire à l'ordre public international parce que, pour reconnaître que la Société KLOCKE bénéficiait d'un savoir-faire et que celui-ci aurait été indûment détourné par la Société MERIAL, elle avait retenu que ladite Société MERIAL « ne pouvait efficacement apporter la démonstration que la Société KLOCKE ne disposait pas d'un savoir-faire particulier » et avait ainsi inversé la charge de la preuve puisqu'il appartenait à la Société KLOCKE de rapporter la preuve du savoir-faire dont elle se prévalait ; qu'en retenant que la Société MERIAL se livrerait ainsi « à une critique au fond de la sentence … tendant à une révision au fond qui est interdite au juge de l'annulation », sans rechercher si la sentence arbitrale reposait sur une inversion de la charge de la preuve heurtant l'ordre public international, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1504 et 1502-5° du Code de procédure civile.



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Cette décision est visée dans la définition :
Principe d' Estoppel


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 10/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.