par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. soc., 25 septembre 2013, 12-20157
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Cour de cassation, chambre sociale
25 septembre 2013, 12-20.157

Cette décision est visée dans la définition :
Fonds d'indemnisation des victimes de l'Amiante




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... et quatre autres salariés de la société Babcock Wanson (la société) ont présenté leur démission pour prétendre au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) en application de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ; qu'ils ont saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir la condamnation de la société à leur verser diverses sommes à titre de dommages-intérêts réparant leur préjudice économique, ainsi qu'un préjudice d'anxiété résultant de leur exposition à l'amiante ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement d'une somme en réparation du préjudice résultant de son exposition à l'amiante, subi par M. Y..., alors, selon le moyen :

1°/ que le « trouble dans les conditions d'existence » est un préjudice consécutif à un dommage corporel handicapant et causé par lui, de sorte qu'en allouant à M. Y... une indemnisation correspondant à la « période antérieure » au déclenchement de sa maladie, la cour d'Agen a violé l'article 1147 du code civil et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

2°/ que constatant que le tribunal des affaires de sécurité sociale avait débouté M. Y... de sa demande en faute inexcusable dirigée contre la société Babcock Wanson, la cour d'appel, saisie d'une nouvelle action en droit commun, ne pouvait sans violer l'article L. 451 du code de la sécurité sociale décider à l'encontre du même employeur qu'une telle décision « n'interdit pas à la juridiction prud'homale de constater d'une part l'exposition du salarié au risque d'inhalation des poussières d'amiante et le manquement à son obligation de sécurité de résultat » ;

3°/ que dès lors qu'un employeur a été condamné à réparer, dans les termes de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale qui comprend l'indemnisation des « souffrances morales », le dommage consécutif à une exposition à un produit toxique, dont il est l'auteur direct, le juge ne saurait, sans organiser un cumul d'indemnisation, condamner un autre employeur en raison de la simple exposition au même risque dont la réalisation ne lui est pas imputable ; qu'en mettant à la charge de la société Babcock Wanson une indemnité de 1 000 euros pour trouble dans les conditions d'existence tout en relevant que M. Y... devait obtenir de la Société générale de Fonderie la pleine indemnisation du préjudice résultant du déclenchement d'une maladie liée au même risque, la cour d'appel est entrée dans une double réparation en violation, ensemble des articles L. 452-1, L. 452-3 du code de la sécurité sociale et du principe de la responsabilité intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

Mais attendu que la déclaration de la maladie et le contentieux auquel elle a donné lieu ne privent pas le salarié du droit de demander à la juridiction prud'homale la réparation des conséquences du trouble psychologique, compris dans le préjudice d'anxiété, subi avant la déclaration de la maladie ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement de diverses sommes en réparation d'un préjudice d'anxiété et du bouleversement dans les conditions d'existence subis par MM. X..., Z..., A... et B..., alors, selon le moyen :

1°/ que tant le conseil des prud'hommes que la cour d'Agen ont relevé que la société Babcock Wanson avait contesté le droit à indemnisation des prétendues victimes en l'absence de tout « état pathologique constaté » et en l'absence de toute « preuve médicale » ; que de surcroît l'exposante faisait valoir que le risque d'anxiété dans la population concernée s'avérait inférieur à 3 % et pouvait, en ce cas, être « médicalement pris en charge » ; qu'en se contentant d'affirmer que tous les demandeurs seraient recevables à invoquer « une situation d'inquiétude permanente » caractérisant un préjudice d'anxiété et une impossibilité invalidante d'envisager l'avenir, sans répondre au moyen fondé sur la nécessité d'établir médicalement le trouble psycho-social invoqué, la cour d'Agen a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en imputant à une faute de l'employeur une « forte inquiétude » permanente de nature à entraîner « une modification dans les conditions d'existence » et en caractérisant l'ampleur de ces troubles psychiques consécutifs à l'activité professionnelle par des indemnités atteignant respectivement 5 000 et 3 000 euros, la cour d'Agen, qui déclare par ailleurs que les « salariés appelants ne sont pas malades », prive sa décision de toute base légale au regard des articles L. 451-1 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale et, par fausse application, 1147 du code civil ;

3°/ que l'anxiété consécutive à une prétendue exposition à des agents nocifs, dans le cadre de l'exécution d'un contrat de travail constitue une maladie d'origine professionnelle hors tableau et doit, comme telle, relever du contrôle des organismes gestionnaires du risque de maladie professionnelle prévus par les articles L. 461-1 et D. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale ; que de surcroît, ce trouble psychique doit, en vertu de l'article L. 451-1 être porté au contentieux exclusivement devant les juridictions de sécurité sociale de sorte qu'en affirmant la recevabilité des demandes formées devant le juge prud'homal par les anciens salariés de Babcock, et en constatant, par elle-même, l'existence de l'anxiété perturbatrice affectant les travailleurs, en en appréciant l'importance chez chacun d'eux et en évaluant la réparation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ainsi que l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;

Mais attendu, d'abord, qu'ayant constaté que les quatre requérants n'avaient pas déclaré souffrir d'une maladie professionnelle causée par l'amiante et que n'étaient contestés ni leur droit à bénéficier de l'ACAATA, ni son montant, la cour d'appel en a exactement déduit que leurs demandes indemnitaires fondées sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat relevaient de la compétence de la juridiction prud'homale ;

Et attendu, ensuite, que, répondant aux conclusions prétendument délaissées, la cour d'appel, qui a relevé que les salariés, qui avaient travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi de 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, se trouvaient, par le fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, a ainsi caractérisé l'existence d'un préjudice spécifique d'anxiété ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le troisième moyen, pris en sa cinquième branche :

Vu l'article 1147 du code civil et le principe de la réparation intégrale du préjudice ;

Attendu que pour condamner leur ancien employeur à leur verser diverses sommes en réparation du préjudice résultant du bouleversement de leurs conditions d'existence, la cour d'appel énonce que les salariés exposés à l'amiante subissent un risque de diminution de leur espérance de vie et de développer une maladie grave les empêchant d'envisager sereinement leur avenir ; qu'ils peuvent être amenés à modifier, en raison de ce risque, les orientations de leur vie quotidienne et leurs projets de vie ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres branches du troisième moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Babcock Wanson à payer à MM. X..., Z..., A... et B..., diverses sommes en réparation du préjudice résultant du bouleversement de leurs conditions d'existence, l'arrêt rendu le 27 mars 2012, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Rejette les demandes de réparation du préjudice résultant du bouleversement de leurs conditions d'existence présentées par MM. X..., Z..., A... et B... ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq septembre deux mille treize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt.

Moyens produits par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils, pour la société Babcock Wanson.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société BABCOCK WANSON à payer à M. Joseph Y... la somme de 1. 000 ¿ au titre du « trouble dans les conditions d'existence » et 150 ¿ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE « s'agissant de Joseph Y..., il est atteint de plaques pleurales depuis 2006 ; qu'il a engagé une procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur en 2009, dirigée contre ses deux anciens employeurs, la société GENERALE DE FONDERIE, aujourd'hui en liquidation, et la société BABCOCK WANSON ; qu'il a en effet travaillé du 16 août 1965 au 17 mai 1985 au sein de la société GENERALE DE FONDERIE et du 20 mai 1985 au 30 juillet 2005 au sein de la société BABCOCK WANSON ; que par jugement du 22 mars 2010, il a été débouté de sa demande dirigée contre cette dernière ; que cette décision n'interdit toutefois pas à la juridiction prud'homale de constater d'une part l'exposition du salarié au risque d'inhalation de poussières d'amiante et le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que les salariés ont tous été exposés à l'inhalation des poussières d'amiante au cours de la relation de travail, soit :- de 1971 à 2003 pour M. B...,- de 1985 à 2008 pour M. Y...,- de 1988 à 2007 pour M. A...- de 1978 à 2007 pour M. Z...,- de 1974 à 2007 pour M. X... ; que l'employeur n'ayant pas satisfait à son obligation de résultat, les salariés exposés à l'inhalation de poussières d'amiante sont recevables et bien fondés à solliciter l'indemnisation du préjudice qui en découle ¿ » (p. 6) ;... que s'agissant de Joseph Y... qu'étant atteint de plaques pleurales dont l'imputation repose sur la société GENERALE DE FONDERIE, il doit obtenir, dans le cadre de la procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur l'indemnisation de son préjudice ; qu'il est toutefois recevable à faire valoir un trouble dans les conditions d''existence nécessairement limité à la période antérieure à la période où la maladie s'est déclenchée ; qu'il y a lieu en conséquence d'évaluer à 1. 000 ¿ le montant de son préjudice » (p. 7) ;

ALORS, D'UNE PART, QUE le « trouble dans les conditions d'existence »
est un préjudice consécutif à un dommage corporel handicapant et causé par lui, de sorte qu'en allouant à M. Y... une indemnisation correspondant à la « période antérieure » au déclenchement de sa maladie, la cour d'AGEN a violé l'article 1147 du Code civil et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

ALORS, D'AUTRE PART, QUE constatant que le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale avait débouté Monsieur Y... de sa demande en faute inexcusable dirigée contre la société BABCOCK WANSON, la cour d'appel, saisie d'une nouvelle action en droit commun, ne pouvait sans violer l'article L. 451 du Code de la Sécurité Sociale décider à l'encontre du même employeur qu'une telle décision « n'interdit pas à la juridiction prud'homale de constater d'une part l'exposition du salarié au risque d'inhalation des poussières d'amiante et le manquement à son obligation de sécurité de résultat » ;

ALORS, ENFIN ET SUBSIDIAIREMENT, QUE dès lors qu'un employeur a été condamné à réparer, dans les termes de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité Sociale qui comprend l'indemnisation des « souffrances morales », le dommage consécutif à une exposition à un produit toxique, dont il est l'auteur direct, le juge ne saurait, sans organiser un cumul d'indemnisation, condamner un autre employeur en raison de la simple exposition au même risque dont la réalisation ne lui est pas imputable ; qu'en mettant à la charge de la société BABCOCK WANSON une indemnité de 1. 000 ¿ pour trouble dans les conditions d'existence tout en relevant que M. Joseph Y... devait obtenir de la Société GENERALE DE FONDERIE la pleine indemnisation du préjudice résultant du déclenchement d'une maladie liée au même risque, la cour d'appel est entrée dans une double réparation en violation, ensemble des articles L. 452-1, L. 452-3 du Code de la Sécurité Sociale et du principe de la responsabilité intégrale sans perte ni profit pour la victime.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (preuve de l'anxiété et des troubles dans les conditions d'existence)

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement du Conseil des prud'hommes ayant déclaré les défendeurs au pourvoi recevables dans leur action, et ayant retenu l'existence d'un préjudice dit d'anxiété, d'avoir estimé à 5. 000 ¿ la réparation de ce préjudice pour 4 des 5 demandeurs, d'avoir accueilli, en outre, un préjudice correspondant à « un trouble dans les conditions d'existence justifiant une indemnisation distincte de 3. 000 ¿ », d'avoir enfin alloué 1. 000 ¿ à M. Y... au titre d'un « trouble dans les conditions d'existence » ;

AUX MOTIFS DES PREMIERS JUGES QUE « les travailleurs ayant été exposés à l'amiante, dans des établissements et au cours de périodes déterminées précisées par arrêté, comme en l'espèce, peuvent bénéficier, à leur demande, d'un départ anticipé d'activité (article 41 de la loi du 23 décembre 1998). Ce dispositif spécifique est destiné à compenser la perte d'espérance de vie que peuvent connaître des salariés et anciens salariés en raison de leur exposition à l'amiante ayant exercé dans des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparations navales » (p. 2) ; « ¿ que si les anciens salariés bénéficiaires d'une préretraite amiante qui ont présenté leur démission à l'employeur ne peuvent obtenir de ce dernier sur le fondement des règles de la responsabilité civile, réparation d'une perte de revenu résultant de la mise en oeuvre du dispositif légal, ils peuvent, en revanche, être indemnisés au titre du préjudice spécifique d'anxiété. Qu'en effet, ceux-ci se trouvent par le fait de l'employeur dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et sont amenés à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse. Il s'agit de réparer l'exposition à l'amiante et de la contamination qui en résulte et non une maladie déclarée. De nombreuses études scientifiques empiriques démontrent que l'amiante est cancérogène et que les risques de contracter un cancer du poumon ou un cancer de la plèvre sont très élevés et chiffrés (notamment par l'INSERM) quelle que soit la durée d'exposition et la dose inhalée » (p. 3) ; ¿ « qu'il ressort également des attestations produites et des déclarations des salariés à l'audience, que leur exposition aux poussières d'amiante était continue et quotidienne autant pour les opérateurs à leur contact direct que pour les cadres qui travaillaient dans les mêmes locaux où aucune mesure n'était prise (ni masque, ni capteurs de poussières) malgré la connaissance du risque et la promulgation du décret du 17 août 1977. La médecine du travail a rappelé qu'encore récemment, l'entreprise ne respectait pas les directives de protection émises. Ainsi, il s'agit d'indemniser les conditions d'existence bouleversées, liées à l'épée de Damoclès que constitue le risque de développer des pathologies gravissimes. L'évolution de cette maladie étant sournoise, la victime doit se soumettre à une surveillance stricte et continue. Dans de telles conditions, l'anxiété résultant de cette mesure rendue nécessaire doit donc être indemnisée car ce préjudice lié à l'angoisse n'est pas hypothétique. Par conséquent, il convient d'allouer à M. B..., M. A..., M. Z... et M. X... la somme de 10. 000 euros en réparation de leur préjudice d'anxiété. M. Y... n'a pas présenté de demande à ce titre » (p. 4) ;

ET AUX MOTIFS PROPRES QU'« il résulte de l'ensemble des éléments de la cause que les salariés ont tous été exposés à l'inhalation des poussières d'amiante au cours de la relation de travail, soit :- de 1971 à 2003 pour M. B...,- de 1985 à 2008 pour M. Y...,- de 1988 à 2007 pour M. A...- de 1978 à 2007 pour M. Z...,- de 1974 à 2007 pour M. X... ; que l'employeur n'ayant pas satisfait à son obligation de résultat, les salariés exposés à l'inhalation de poussières d'amiante sont recevables et bien fondés à solliciter l'indemnisation du préjudice qui en découle ; sur l'indemnisation du préjudice : qu'il n'est pas contesté que 4 des 5 salariés ne sont pas actuellement malades mais qu'ils ont été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante ; qu'ils démontrent amplement que l'amiante est une substance cancérigène susceptible de provoquer différentes maladies et notamment un cancer du poumon ou de la plèvre ; que les salariés soumis à ce risque se trouvent par le fait de l'employeur dans une inquiétude permanente liée à l'angoisse de développer à plus ou moins brève échéance une maladie pouvant être invalidante et mortelle ; que cette inquiétude est d'autant plus forte que ces salariés ont vu nombre de leurs collègues de travail décéder des conséquences de ces maladies ; qu'ils doivent en outre régulièrement subir des examens médicaux de contrôle propres à réactiver cette angoisse ; qu'ils caractérisent ainsi un préjudice d'anxiété qu'il convient d'indemniser en leur allouant des dommages et intérêts d'un montant de 5. 000 ¿ ; qu'il y a lieu de réformer la décision déférée en ce sens ; que les salariés exposés à l'amiante subissent en outre, en raison de la diminution de leur espérance de vie et du risque de développer une maladie grave, risque dont ils sont particulièrement conscients, une modification dans leurs conditions d'existence ; que ces salariés ne peuvent en effet envisager sereinement leur avenir et peuvent être amenés à modifier, en raison de ce risque, les orientations de leur vie quotidienne et leurs projets de vie ; qu'ils en subissent donc un préjudice distinct du préjudice d'anxiété, et distinct de la diminution de leurs ressources en raison de leur adhésion au dispositif ACAATA dont ils bénéficient par ailleurs ; qu'il y a lieu d'indemniser ce préjudice en allouant à Patrick X..., Daniel Z..., Michel A... et Claude B... des dommages et intérêts d'un montant de 3. 000 ¿ ; s'agissant de Joseph Y... qu'étant atteint de plaques pleurales dont l'imputation repose sur la société GENERALE DE FONDERIE, il doit obtenir, dans le cadre de la procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur l'indemnisation de son préjudice ; qu'il est toutefois recevable à faire valoir un trouble dans les conditions d'existence nécessairement limité à la période antérieure à la période où la maladie s'est déclenchée ; qu'il y a lieu en conséquence d'évaluer à 1. 000 ¿ le montant de son préjudice » ;

ALORS, D'UNE PART, QUE la Cour d'AGEN a relevé que la société BABCOCK WANSON avait contesté le droit à indemnisation des prétendues victimes en l'absence de tout « état pathologique constaté » (jugement p. 8 al. 3) et en l'absence de toute « contamination » (arrêt p. 3) ; que de surcroît l'exposante faisait valoir dans ses conclusions (p. 8) que le risque d'anxiété dans la population concernée s'avérait inférieur à 3 % et pouvait, en ce cas, être « médicalement pris en charge » ; qu'en se contentant d'affirmer que tous les demandeurs seraient recevables à invoquer « une situation d'inquiétude permanente » caractérisant un préjudice d'anxiété et une impossibilité invalidante d'envisager l'avenir, sans répondre au moyen fondé sur la nécessité d'établir médicalement le trouble psychosocial invoqué, la Cour d'AGEN a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

ALORS, D'AUTRE PART, QU'en imputant à une faute de l'employeur une « inquiétude » permanente de nature à entraîner « une modification dans les conditions d'existence » et en caractérisant l'ampleur de ces troubles psychiques consécutifs à l'activité professionnelle par des indemnités atteignant respectivement 5. 000 et 3. 000 ¿, la Cour d'AGEN, qui déclare par ailleurs que 4 des 5 « salariés appelants ne sont pas malades » (p. 6 al. 8), prive sa décision de toute base légale au regard des articles L. 451-1 et L. 461-1 du Code de la Sécurité Sociale et, par fausse application, 1147 du Code civil ;

ALORS, DE TROISIEME PART, ET SUBSIDIAIREMENT QUE l'anxiété consécutive à une prétendue exposition à des agents nocifs, dans le cadre de l'exécution d'un contrat de travail constitue une maladie d'origine professionnelle hors tableau et doit, comme telle, relever du contrôle des organismes gestionnaires du risque de maladie professionnelle prévus par les articles L. 461-1 et D. 461-1 et suivants du Code de la Sécurité Sociale ; que de surcroît, ce trouble psychique doit, en vertu de l'article L. 451-1 du même Code être porté au contentieux exclusivement devant les juridictions de Sécurité Sociale de sorte qu'en affirmant la recevabilité des demandes formées devant le juge prud'homal par les anciens salariés de BABCOCK, et en constatant, par elle-même, l'existence de l'anxiété perturbatrice affectant les travailleurs, en en appréciant l'importance chez chacun d'eux et en évaluant la réparation, la Cour d'appel a violé les textes susvisés ainsi que l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité Sociale.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION (mauvaise application du droit commun)

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'AVOIR reconnu l'existence de préjudices d'anxiété et de troubles dans les conditions d'existence et d'AVOIR condamné à ce titre l'employeur à verser à 4 des 5 défendeurs au pourvoi des indemnités atteignant respectivement 5. 000 et 3. 000 ¿ ;

AUX MOTIFS DES PREMIERS JUGES QUE « les travailleurs ayant été exposés à l'amiante, dans des établissements et au cours de périodes déterminées précisées par arrêté, comme en l'espèce, peuvent bénéficier, à leur demande, d'un départ anticipé d'activité (article 41 de la loi du 23 décembre 1998). Ce dispositif spécifique est destiné à compenser la perte d'espérance de vie que peuvent connaître des salariés et anciens salariés en raison de leur exposition à l'amiante ayant exercé dans des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparations navales » (p. 2) ; « ¿ que si les anciens salariés bénéficiaires d'une préretraite amiante qui ont présenté leur démission à l'employeur ne peuvent obtenir de ce dernier sur le fondement des règles de la responsabilité civile, réparation d'une perte de revenu résultant de la mise en oeuvre du dispositif légal, ils peuvent, en revanche, être indemnisés au titre du préjudice spécifique d'anxiété. Qu'en effet, ceux-ci se trouvent par le fait de l'employeur dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et sont amenés à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse. Il s'agit de réparer l'exposition à l'amiante et de la contamination qui en résulte et non une maladie déclarée. De nombreuses études scientifiques empiriques démontrent que l'amiante est cancérogène et que les risques de contracter un cancer du poumon ou un cancer de la plèvre sont très élevés et chiffrés (notamment par l'INSERM) quelle que soit la durée d'exposition et la dose inhalée » (p. 3) ; ¿ « qu'il ressort également des attestations produites et des déclarations des salariés à l'audience, que leur exposition aux poussières d'amiante était continue et quotidienne autant pour les opérateurs à leur contact direct que pour les cadres qui travaillaient dans les mêmes locaux où aucune mesure n'était prise (ni masque, ni capteurs de poussières) malgré la connaissance du risque et la promulgation du décret du 17 août 1977. La médecine du travail a rappelé qu'encore récemment, l'entreprise ne respectait pas les directives de protection émises. Ainsi, il s'agit d'indemniser les conditions d'existence bouleversées, liées à l'épée de Damoclès que constitue le risque de développer des pathologies gravissimes. L'évolution de cette maladie étant sournoise, la victime doit se soumettre à une surveillance stricte et continue. Dans de telles conditions, l'anxiété résultant de cette mesure rendue nécessaire doit donc être indemnisée car ce préjudice lié à l'angoisse n'est pas hypothétique. Par conséquent, il convient d'allouer à M. B..., M. A..., M. Z... et M. X... la somme de 10. 000 euros en réparation de leur préjudice d'anxiété. M. Y... n'a pas présenté de demande à ce titre » (p. 4) ;

ET AUX MOTIFS PROPRES QU'« il résulte de l'ensemble des éléments de la cause que les salariés ont tous été exposés à l'inhalation des poussières d'amiante au cours de la relation de travail, soit :- de 1971 à 2003 pour M. B...,- de 1985 à 2008 pour M. Y...,- de 1988 à 2007 pour M. A...- de 1978 à 2007 pour M. Z...,- de 1974 à 2007 pour M. X... ; que l'employeur n'ayant pas satisfait à son obligation de résultat, les salariés exposés à l'inhalation de poussières d'amiante sont recevables et bien fondés à solliciter l'indemnisation du préjudice qui en découle ; sur l'indemnisation du préjudice : qu'il n'est pas contesté que 4 des 5 salariés ne sont pas actuellement malades mais qu'ils ont été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante ; qu'ils démontrent amplement que l'amiante est une substance cancérigène susceptible de provoquer différentes maladies et notamment un cancer du poumon ou de la plèvre ; que les salariés soumis à ce risque se trouvent par le fait de l'employeur dans une inquiétude permanente liée à l'angoisse de développer à plus ou moins brève échéance une maladie pouvant être invalidante et mortelle ; que cette inquiétude est d'autant plus forte que ces salariés ont vu nombre de leurs collègues de travail décéder des conséquences de ces maladies ; qu'ils doivent en outre régulièrement subir des examens médicaux de contrôle propres à réactiver cette angoisse ; qu'ils caractérisent ainsi un préjudice d'anxiété qu'il convient d'indemniser en leur allouant des dommages et intérêts d'un montant de 5. 000 ¿ ; qu'il y a lieu de réformer la décision déférée en ce sens ; que les salariés exposés à l'amiante subissent en outre, en raison de la diminution de leur espérance de vie et du risque de développer une maladie grave, risque dont ils sont particulièrement conscients, une modification dans leurs conditions d'existence ; que ces salariés ne peuvent en effet envisager sereinement leur avenir et peuvent être amenés à modifier, en raison de ce risque, les orientations de leur vie quotidienne et leurs projets de vie ; qu'ils en subissent donc un préjudice distinct du préjudice d'anxiété, et distinct de la diminution de leurs ressources en raison de leur adhésion au dispositif ACAATA dont ils bénéficient par ailleurs ; qu'il y a lieu d'indemniser ce préjudice en allouant à Patrick X..., Daniel Z..., Michel A... et Claude B... des dommages et intérêts d'un montant de 3. 000 ¿ ; s'agissant de Joseph Y... qu'étant atteint de plaques pleurales dont l'imputation repose sur la société GENERALE DE FONDERIE, il doit obtenir, dans le cadre de la procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur l'indemnisation de son préjudice ; qu'il est toutefois recevable à faire valoir un trouble dans les conditions d'existence nécessairement limité à la période antérieure à la période où la maladie s'est déclenchée ; qu'il y a lieu en conséquence d'évaluer à 1. 000 ¿ le montant de son préjudice » ;

ALORS, D'UNE PART, QUE hormis le dispositif exceptionnel mis en place, pour les personnes exposées à l'amiante, par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, le risque de préjudice n'est pas, en soi, indemnisable dans le cadre du droit commun ; qu'ayant énoncé que les salariés demandeurs ne sont pas actuellement malades, la cour d'AGEN qui se borne à retenir que les salariés sont soumis à un « risque » de développer une maladie de l'amiante et à un « risque de développer une maladie grave » susceptible de modifier les « conditions d'existence » pour justifier la condamnation de l'employeur sur la base de l'article 1147 du Code civil viole ce texte par fausse application ;

ALORS, D'AUTRE PART, QU'il résulte de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 éclairé par les travaux parlementaires, que l'objet même de l'allocation ACAATA est de couvrir exceptionnellement et de façon forfaitaire l'aléa de voir apparaître une pathologie de l'amiante et de permettre aux salariés, non malades mais simplement exposés au risque, de partir en retraite de façon anticipée pour tenir compte de la « réduction des espérances de vie » ; qu'ayant relevé que des demandeurs étaient déjà bénéficiaires de cette prestation de Sécurité Sociale, la cour d'appel ne pouvait sans méconnaître ce dispositif assurantiel et réaliser un cumul d'indemnisations en violation du texte susvisé et de l'article 1147 du Code civil justifier les sommes allouées aux salariés demandeurs, non actuellement malades, par l'éventualité de voir se développer une maladie de l'amiante et la perte corrélative des « espérances » de vie, ce qui correspond exactement à l'aléa faisant déjà l'objet de la prestation exceptionnelle de Sécurité Sociale susvisée ;

ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE même en droit commun, il appartient à celui qui entend obtenir une réparation au titre d'un préjudice personnel d'en démontrer la réalité et l'étendue, de sorte qu'en dispensant chaque salarié demandeur d'apporter la preuve de son état personnel d'anxiété ainsi que de l'ampleur de son trouble, en se contentant d'affirmer-en l'absence de la moindre constatation-qu'ils se trouveraient tous dans la même situation quant au risque, quant à l'anxiété et quant aux troubles dans les conditions d'existence, la cour d'appel a méconnu, ensemble les articles 1315 et 1147 du Code civil, ainsi que le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime ;

ALORS, ENFIN ET DE FACON INFINIMENT SUBSIDIAIRE, QUE le risque de voir se développer « à plus ou moins brève échéance une pathologie invalidante et mortelle » et le fait de se trouver dans une « situation d'inquiétude permanente » face à ce risque au titre desquels la cour d'appel alloue, sous couvert d'un « préjudice d'anxiété » une indemnité de 5. 000 ¿ (p. 7 al. 2) ne sauraient constituer des préjudices distincts de la conscience de « la diminution des espérances de vie » et de la possibilité « d'anticiper sereinement l'avenir » au titre desquels la cour d'appel alloue, sous couvert « d'une modification dans les conditions d'existence », une autre indemnité de 3. 000 ¿ (p. 7 al. 4) ; qu'en organisant un tel cumul d'indemnisation sans caractériser la spécificité des dommages prétendument subis, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ainsi que le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit.



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Cette décision est visée dans la définition :
Fonds d'indemnisation des victimes de l'Amiante


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 09/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.