par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles
Cass. soc., 8 octobre 2014, 13-18873
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Cour de cassation, chambre sociale
8 octobre 2014, 13-18.873
Cette décision est visée dans la définition :
Grève
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 4 avril 2013) rendu en matière de référé, que le 20 janvier 2012, le syndicat CGT des marins de Marseille a déposé deux avis d'arrêt de travail concernant l'équipage du navire « Le Corse » affrété par la Société nationale maritime Corse Méditerranée (la SNCM) ; que par ordonnance du 25 janvier 2012, le juge des référés a déclaré illicite le premier avis d'arrêt de travail ; que le 26 janvier 2012, la SNCM a retiré de la liste d'équipage du navire « Le Corse » dix-neuf salariés grévistes qui ont fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire pour avoir participé à un mouvement de grève illicite entre le 23 janvier et le 25 janvier 2012 et empêché le fonctionnement normal du navire « Le Corse » le 24 janvier 2012 ;
Attendu que le syndicat CGT des marins de Marseille fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à ce qu'il soit jugé que l'employeur a porté atteinte au droit de grève de ses salariés et que cette atteinte est constitutive d'un trouble manifestement illicite et à ce qu'il soit ordonné sous astreinte la remise au rôle d'équipage des salariés grévistes, alors, selon le moyen :
1°/ que selon l'article L. 1132-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné en raison de l'exercice normal du droit de grève ; qu'il s'ensuit qu'une sanction infligée au salarié qui n'a fait qu'exercer normalement son droit de grève lui cause un trouble manifestement illicite qu'il appartient au juge des référés de réparer ; que la paralysie de l'activité qui découle de la grève, exempte de la désorganisation de l'entreprise elle-même, ne fait pas dégénérer le mouvement en abus et ne caractérise pas un exercice anormal du droit de grève ; qu'en qualifiant dès lors d'illicite l'attitude des salariés grévistes mis à pied à titre conservatoire, au seul motif que la présence de ceux-ci sur le navire avait empêché celui-ci de prendre le large, sans relever aucune autre circonstance susceptible d'établir l'existence d'un exercice abusif du droit de grève par les salariés concernés, la cour d'appel s'est déterminée par une motivation inopérante et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1132-2 du code du travail ;
2°/ que l'existence et le caractère manifestement illicite du trouble invoqué s'apprécie au jour où la sanction est infligée, pour fait de grève, au salarié gréviste ; qu'en excluant, par motifs adoptés du premier juge, l'existence d'un trouble manifestement illicite imputable à la SNCM à la suite des mises à pied infligées le 26 janvier 2012 aux salariés grévistes, en raison de la présence au 30 janvier 2012 d'un obstacle installé sur la rampe permettant l'accès des véhicules au navire, ainsi que de manifestations d'agressivité et d'injures constatées au 1er février 2012, et en se déterminant ainsi au regard d'événements survenus après la date des mesures disciplinaires litigieuses, dont il n'apparaît pas de surcroît qu'ils puissent être imputés aux salariés ayant fait l'objet des mesures de mise à pied, la cour d'appel a statué par une motivation inopérante, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article L. 1132-2 du code du travail ;
3°/ qu'en considérant qu'il ne lui apparaissait pas manifestement illicite que des grévistes dont le contrat est suspendu ne figurent plus sur la liste d'équipage du navire auquel ils étaient précédemment affectés et que cette question constituaient en toute hypothèse un débat de fond qu'elle n'avait pas le pouvoir de trancher, cependant que, dès lors que la suspension du contrat de travail des salariés grévistes était constitutive d'un trouble manifestement illicite, en tant qu'elle constituait une sanction portant atteinte au droit de grève, le juge des référés était parfaitement compétent pour sanctionner ce trouble et ordonner la remise au rôle d'équipage des salariés grévistes à compter du 26 janvier 2012, la cour d'appel a violé les articles 809 du code de procédure civile et L. 1132-2 du code du travail ;
Mais attendu qu'ayant constaté que l'occupation du navire par les grévistes empêchait celui-ci de prendre le large, ce dont il résultait une entrave à la liberté du travail des salariés non grévistes, la cour d'appel a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le syndicat CGT des marins de Marseille aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit octobre deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Balat, avocat aux Conseils, pour le syndicat CGT des marins de Marseille
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté le syndicat CGT des marins de Marseille de ses demandes tendant à ce qu'il soit jugé que la société SNCM avait porté atteinte au droit de grève de ses salariés, que cette atteinte était constitutive d'un trouble manifestement illicite et que soit ordonnée sous astreinte la remise au rôle d'équipage des salariés grévistes à compter du 26 janvier 2012 ;
AUX MOTIFS QUE l'appelant reprend, devant la cour, sa demande tendant à obtenir la remise au « rôle d'équipage » de vingt salariés grévistes (en réalité dix-neuf noms figurent dans ses écritures) à compter du 26 janvier 2012, au motif que la SNCM est à l'origine d'un trouble manifestement illicite pour les avoir retirés des effectifs du navire « Le Corse » alors qu'ils étaient régulièrement en grève depuis au moins le 26 janvier 2012 à 6 heures, voire le 20 janvier selon l'arrêt susvisé de cette cour du 20 décembre 2012 qui a décidé que les trois avis d'arrêt de travail susvisés n'étaient pas manifestement illicites ; qu'il pose en principe que, si le contrat de marin qui figurait au « rôle d'équipage » était bien suspendu en cas de grève, ce marin ne pouvait être débarqué sans son accord ; qu'il invoque la « spécificité du droit maritime » selon lequel un marin n'est pas seulement affecté à un poste de travail mais vit sur le navire où il doit remplir certaines obligations, même en dehors de ses heures de service (propreté de son poste d'équipage, des annexes, etc.) ; que, pour sa part, la SNCM estime que les salariés en grève n'ont pas à figurer sur le rôle d'un navire et que leur situation se rapproche de celle d'un salarié en maladie ou en congé ; que, d'abord, la terminologie utilisée par le syndicat appelant est manifestement impropre puisque le rôle d'équipage est l'acte authentique de constitution de l'armement administratif du navire, non en cause ici ; qu'il s'agit plutôt en l'espèce d'une demande concernant la liste de l'équipage constituée pour une traversée déterminée par l'employeur ; qu'ensuite, l'appelant ne s'explique pas sur la persistance du trouble alors que la demande se rapporte à des faits de grève datant de plus d'un an ; que surtout, il est de principe, selon la jurisprudence dominante, que l'occupation des lieux de travail est illicite, le droit de grève n'emportant pas celui de disposer arbitrairement de ces lieux, sauf occupation symbolique et momentanée ; que la justification de ce principe repose notamment sur l'atteinte portée à la liberté du travail des autres salariés non-grévistes ; qu'il est certain que, quelle que soit la spécificité du métier de marin, l'occupation du navire par les grévistes serait de nature à empêcher son appareillage ; que, sur ce point, l'employeur rappelle à bon droit qu'il a la faculté, en cas de grève, d'organiser son activité pour en assurer la continuité ; qu'en dehors des périodes d'embarquement, le contrat du marin est régi par le code du travail ; que les marins affectés aux postes des grévistes devront remplir les mêmes obligations spécifiques de mise en propreté en dehors des heures de service prévues par le code du travail maritime et qui, par définition, ne pourraient incomber aux autres salariés dont le contrat de travail est suspendu ; que faire droit à la demande du syndicat appelant aboutirait en réalité à considérer que, bien que grévistes, les marins de la SNCM ont le droit d'occuper le navire auquel ils étaient initialement affectés, alors qu'il est encore à quai, l'empêchant ainsi de prendre le large ; que cette position de principe qui fonde la demande de l'appelant est indépendante des autres moyens soulevés en l'espèce, que ce soit celui relatif à la régularité de l'emploi de salariés en contrats à durée déterminée pour remplacer les grévistes ou à la régularité des mises à pied disciplinaires ; que le trouble illicite qui pourrait provenir de l'embauche, par l'employeur, à la supposer avérée, de salariés en violation de l'article L.1242-6 du code du travail, n'aurait pas pour effet de légitimer, de ce seul fait, l'occupation par les marins grévistes de leur navire ; qu'enfin, l'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 23 novembre 1966, cité par l'appelant, se rapporte à la valeur probante d'un rôle d'équipage, alors que le présent litige ne concerne pas un tel document, comme exposé plus haut ; que, faute de justification évidente, en référé, de ce que le sort des marins devrait être distinct de celui des autres salariés, il n'apparaît pas manifestement illicite que les grévistes, dont le contrat de travail est suspendu, ne figurent plus sur la liste d'équipage du navire auquel ils étaient précédemment affectés ; qu'à tout le moins, il s'agit d'un débat de fond que la cour n'a pas le pouvoir de trancher dans le cadre de cette instance ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE le blocage du navire « Le Corse » a persisté, avec notamment la mise en place d'une remorque de poids lourds sur la rampe d'accès véhicules, jusqu'au 30 janvier 2012 à 11h05, heure d'enlèvement de l'obstacle, remplacé par une troupe d'individus cagoulés ; que le constat d'huissier dressé le 1er février 2012 fait état d'agressivité et d'injures, celui du 10 février 2012 relate de la tension sur le navire, des personnes ne faisant pas partie du rôle d'équipage occupant le self en fumant et en jouant aux cartes ; que l'ordonnance sur requête du 31 janvier 2012 qui autorisait un huissier à se rendre sur le port et à faire libérer les accès sous astreinte a été par ordonnance de référé du 14 février rétractée au seul motif qu'elle lui donnait des pouvoirs ne correspondant pas à son statut ; que par contre, il a été constaté que les personnes occupant « Le Corse » ne figuraient pas sur la liste d'équipage et qu'il en résultait un trouble manifestement illicite ; qu'il a donc été ordonné au syndicat CGT des marins de Marseille et à toute personne agissant de son chef de mettre un terme au blocage des accès au « Corse » et à son appareillage sous astreinte distincte à l'encontre des personnes du syndicat ; qu'il n'a pas été fait appel de cette décision pas plus que de celle du 25 janvier 2012 mais à nouveau la présente procédure vise à la vider de tout effet puisque le juge des référés devrait ordonner la rectification du rôle d'équipage du 26 janvier 2012 par l'employeur afin d'y remettre les grévistes et de légitimer leur présence en février ; que le navire a fini par rejoindre le port de Toulon, après intervention de la force publique, avec le personnel figurant sur le rôle d'équipage comprenant des salariés qui n'étaient ni malades, ni en congé, ni grévistes et qui, pour certains, étaient des salariés en contrat à durée déterminée figurant sur la liste agréée par le responsable administratif de l'armement ; que le juge des référés ne saurait décider à la demande du syndicat CGT des marins de Marseille de faire revenir « Le Corse » sur le port de Marseille, d'y réintégrer les marins grévistes et d'autoriser ainsi la poursuite de la grève qui a été malencontreusement interrompue sur décision de justice par la force publique afin de permettre à la SNCM de poursuivre sa mission de service public ; que le droit de grève doit être respecté à condition qu'il n'ait pas pour finalité de détruire une entreprise financée en partie par des deniers publics, son abus visant en l'espèce à interdire à la SNCM de s'organiser pour assurer la continuité de son service ; qu'il convient de renvoyer le syndicat CGT des marins de Marseille à faire appel des décisions qui ne lui conviennent pas, le juge des référés de Marseille ne pouvant assumer ce rôle sur ses propres décisions ; qu'il n'y a aucune atteinte avérée au droit de grève reconnu aux membres du syndicat demandeur ni trouble manifestement illicite dans la gestion de l'appareillage du navire « Le Corse » vers Toulon ;
ALORS, D'UNE PART, QUE selon l'article L.1132-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné en raison de l'exercice normal du droit de grève ; qu'il s'ensuit qu'une sanction infligée au salarié qui n'a fait qu'exercer normalement son droit de grève lui cause un trouble manifestement illicite qu'il appartient au juge des référés de réparer ; que la paralysie de l'activité qui découle de la grève, exempte de la désorganisation de l'entreprise elle-même, ne fait pas dégénérer le mouvement en abus et ne caractérise pas un exercice anormal du droit de grève ; qu'en qualifiant dès lors d'illicite l'attitude des salariés grévistes mis à pied à titre conservatoire, au seul motif que la présence de ceux-ci sur le navire avait empêché celui-ci de prendre le large (arrêt attaqué, p. 4, alinéa 5), sans relever aucune autre circonstance susceptible d'établir l'existence d'un exercice abusif du droit de grève par les salariés concernés, la cour d'appel s'est déterminée par une motivation inopérante et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.1132-2 du code du travail ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE l'existence et le caractère manifestement illicite du trouble invoqué s'apprécie au jour où la sanction est infligée, pour fait de grève, au salarié gréviste ; qu'en excluant, par motifs adoptés du premier juge (ordonnance entreprise, p. 2, alinéas 9 et 10), l'existence d'un trouble manifestement illicite imputable à la SNCM à la suite des mises à pied infligées le 26 janvier 2012 aux salariés grévistes, en raison de la présence au 30 janvier 2012 d'un obstacle installé sur la rampe permettant l'accès des véhicules au navire, ainsi que de manifestations d'agressivité et d'injures constatées au 1er février 2012, et en se déterminant ainsi au regard d'événements survenus après la date des mesures disciplinaires litigieuses, dont il n'apparaît pas de surcroît qu'ils puissent être imputés aux salariés ayant fait l'objet des mesures de mise à pied, la cour d'appel a statué par une motivation inopérante, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article L.1132-2 du code du travail ;
ALORS, ENFIN, QU' en considérant qu'il ne lui apparaissait pas manifestement illicite que des grévistes dont le contrat est suspendu ne figurent plus sur la liste d'équipage du navire auquel ils étaient précédemment affectés et que cette question constituaient en toute hypothèse un débat de fond qu'elle n'avait pas le pouvoir de trancher (arrêt attaqué, p. 4, alinéa 7), cependant que, dès lors que la suspension du contrat de travail des salariés grévistes était constitutive d'un trouble manifestement illicite, en tant qu'elle constituait une sanction portant atteinte au droit de grève, le juge des référés était parfaitement compétent pour sanctionner ce trouble et ordonner la remise au rôle d'équipage des salariés grévistes à compter du 26 janvier 2012, la cour d'appel a violé les articles 809 du code de procédure civile et L.1132-2 du code du travail.
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Grève
Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 29/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.