par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. soc., 26 novembre 2014, 13-22247
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Cour de cassation, chambre sociale
26 novembre 2014, 13-22.247

Cette décision est visée dans la définition :
Licenciement




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 1232-1, L. 1232-6 et L. 1333-1 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué rendu sur renvoi après cassation (Soc., 3 novembre 2011, n° 10-30. 033), que Mme X... a été engagée en qualité de pharmacien par M. Y... qui exploite une officine ; que ce dernier l'a informée par lettre du 9 mai 2006 de la modification de ses horaires de travail, désormais fixés du lundi au vendredi de 11 heures à 14 heures et de 16 heures à 20 heures, au lieu de l'horaire continu de 8 heures à 15 heures qu'elle pratiquait ces mêmes jours ; qu'ayant refusé cette modification des horaires de travail, la salariée a été licenciée pour faute grave ;

Attendu que pour dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que trois des quatre griefs figurant dans la lettre de licenciement ont été écartés à juste titre par le conseil de prud'hommes, et, s'agissant du dernier grief, qu'il convient de constater que les horaires de la salariée étaient bien continus de 8 heures à 15 heures et que son refus d'appliquer les nouveaux horaires décidés par l'employeur était légitimé par des contraintes trop lourdes que la modification aurait entraînées dans sa vie personnelle et familiale, que la faute grave invoquée à l'appui du licenciement n'est pas établie et que le refus de modification des horaires par la salariée est légitimé par le bouleversement de l'économie du contrat de travail, que la raison invoquée par l'employeur pour procéder à cette modification est réelle et sérieuse, en l'espèce l'évolution du comportement de la clientèle, aucun élément n'étant apporté au soutien de difficultés économiques, qu'il convient de dire que le licenciement intervient pour cause réelle et sérieuse ;

Attendu cependant que le licenciement motivé par une faute grave présente un caractère disciplinaire de sorte qu'il ne peut être justifié que par une faute du salarié ;

Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que le fait qu'elle retenait comme constitutif d'une cause réelle et sérieuse de licenciement ne présentait pas de caractère fautif, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ;

Vu l'article 627 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a confirmé le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en date du 31 octobre 2007, l'arrêt rendu le 5 juin 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi sur l'absence de cause réelle et sérieuse ;

DECLARE le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Renvoie, mais seulement pour la fixation du montant du préjudice, devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;

Condamne M. Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, le condamne à payer à Mme X... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six novembre deux mille quatorze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Haas, avocat aux Conseils, pour Mme X...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté Mme X... de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

AUX MOTIFS QUE la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce ; que la lettre de licenciement pour faute grave à laquelle il est fait expressément référence est fondée sur quatre motifs ; le refus de respecter les nouveaux horaires décidés par l'employeur à compter du 1er juin 2006, le refus de commander un médicament urgent pour une cliente le 1er juin 2006, l'utilisation par la salariée pendant les heures de travail de son téléphone portable personnel le 8 juin 2006, un abandon de poste le 8 juin 2006 ; que, sur le refus de commander un médicament le 1er juin 2006, pour justifier le grief de refus de passer commande d'un médicament, classé comme stupéfiant, urgent pour un jeune enfant, M. Y... fournit une attestation dactylographiée de la mère de l'enfant en date du 3 août 2006 et une autre attestation manuscrite en date du 30 octobre 2007, laquelle contredit l'attestation manuscrite établie par cette même cliente en faveur de Mme X... le 13 juin 2006 ; que chaque partie fournit une attestation établie par Mme Z..., salariée dans la pharmacie à l'époque des faits, attestations elles aussi contradictoires, l'attestation produite par M. Y... ayant été rédigé alors que Mme Z... était salariée de M. Y..., et l'attestation produite par Mme X... ayant été rédigée alors que Mme Z... n'était plus salariée de M. Y... ; que dans l'attestation produite par Mme X..., Mme Z... indique que Mme X... n'a pas refusé de commander le médicament mais a attendu la validation de M. Y... en raison de la nature du médicament et dans celle produite par M. Y..., Mme Z... indique que Mme X... a refusé de commander le médicament ; que la lecture de l'attestation rédigée par Mme A..., salariée à l'époque des faits, permet d'établir que M. Y... était présent dans l'officine au moment de la demande de la cliente et que la commande a été passée et livrée le lendemain matin ; qu'il n'est pas contesté que ce même jour, M. Y... a repris à Mme X... les clefs de l'officine dès sa reprise de fonction à 8 h créant ainsi un climat de suspicion et de défiance à l'encontre de la salariée ; qu'en dépit des attestations contradictoires de la mère de l'enfant, il ressort clairement qu'elle n'avait pas un besoin impératif de ce médicament pour le jour même ; qu'en sa qualité de pharmacien responsable, M. Y..., présent au moment de la demande, se devait de résoudre immédiatement un éventuel problème quant à la commande d'un médicament soumis à un formalisme particulier ; que ni l'urgence invoquée ni une conséquence dommageable n'est caractérisée ; qu'en conséquence, c'est à juste titre que le conseil a écarté ce grief ; que, sur l'utilisation du téléphone portable le 8 juin 2006, il est indiqué dans la lettre de licenciement que « le jeudi 8 juin 2006, alors qu'une fois de plus, j'avais rappelé les règles d'utilisation du téléphone portable pendant les horaires de travail, je vous surprends près des lavabos du préparatoire, accrochée au téléphone, alors que les patients attendaient d'être servis » ; que M. Y... n'apporte pas la preuve d'avoir édicté ni rappelé les règles d'utilisation du téléphone portable personnel pendant les heures de travail ; qu'il n'est pas non plus apporté la preuve de remarques faites à Mme X... en raison d'utilisation excessive ou répétée du téléphone portable personnel pendant les heures de travail depuis son embauche au sein de la pharmacie ; que, de surcroît, un même fait ne peut justifier successivement deux mesures disciplinaires ; qu'en adressant un avertissement pour ces faits à Mme X..., par lettre recommandée avec avis de réception le jour même, M. Y... avait déjà sanctionné l'utilisation du portable et ainsi épuisé son pouvoir disciplinaire ; qu'en conséquence, c'est à juste titre que le conseil a écarté ce grief ; que, sur l'abandon de poste le 8 juin 2006, M. Y... connaissait depuis le 19 mai 2006 le refus de Mme X... d'accepter et donc d'appliquer les nouveaux horaires ; qu'en conséquence, il connaissait l'heure de fin de service de Mme X... en l'espèce 15 h ; que, le 1er juin 2006, M. Y... remettait en main propre à Mme X... un courrier constatant son refus d'appliquer les horaires et son absence pendant la tranche horaire 16-20 h ; qu'en partant à la poste le 8 juin vers 14 h 30, M. Y... ne pouvait ignorer le risque qu'il prenait de ne pas être rentré à temps pour assurer la continuité du service, Mme X... partant à 15 h du fait du refus d'appliquer les nouveaux horaires ; qu'en sa qualité de responsable de la pharmacie, il se devait donc d'être présent à cette heure afin de respecter les dispositions de l'article R. 4235-50 du code de la santé publique ; que, par ailleurs, un même fait ne peut justifier successivement deux mesures disciplinaires ; qu'en adressant un avertissement pour ces faits à Mme X..., par lettre recommandée avec avis de réception le même jour, M. Y... avait déjà sanctionné ce grief et a ainsi épuisé son pouvoir disciplinaire ; qu'en conséquence c'est à juste titre que le conseil a écarté ce grief ; que, sur la modification des horaires, si la répartition des horaires de travail sur la journée, sans changement de la durée et de la rémunération, relève du pouvoir discrétionnaire de l'employeur, elle entraîne cependant une modification du contrat de travail lorsque les horaires continus deviennent discontinus ; que la modification requiert alors l'accord du salarié pour être mise en oeuvre ; que le contrat de travail a fixé une durée hebdomadaire de 35 h sans toutefois préciser les horaires de travail ; que Mme X... a indiqué que ses horaires ont toujours été continus soit, avant son congé maternité à la mi-juillet 2004, de 8 h à 15 h ou de 13 h à 20 h, depuis son retour de congé, de 8 h à 15 h, du lundi au vendredi ; que l'employeur souhaitait modifier, à compter du 1er juin 2006, les horaires en raison du comportement de la clientèle plus fréquente en fin de journée, de 11 h à 14 h et de 16 h à 20 h, du lundi au vendredi ; que dès l'information du changement d'horaires, Mme X... a, par courriers en date des 19 et 26 mai 2006, très clairement indiqué refuser la modification des horaires pour des raisons d'organisation familiale, en l'espèce la garde partagée de son enfant de deux ans organisée en fonction des horaires continus de 8 h à 15 h, et le caractère déterminant des horaires continus de travail dans le choix de l'officine de M. Y... et dans la conclusion du contrat de travail ; que M. Y... soutient que les horaires de la salariée n'étaient pas continus mais bien discontinus, en raison d'une pause pour déjeuner variant de 20 minutes à plus d'1 h 50, et variables ; qu'il n'est pas contesté que les horaires aient varié depuis le début du contrat de travail, comme le reconnaît Mme X... dans son courrier daté du 19 mai 2006 et comme il ressort de la lecture des copies d'écran pour certaines périodes des années 2003-2004 ; qu'elle précise cependant que son horaire de travail depuis 18 mois était 8 h-15 h, ce qui par ailleurs n'a pas été contesté auparavant par M. Y... ; que les copies d'écran fournies pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2005 sont trop parcellaires (uniquement les journées des 11 février, 10 juin, 18 juillet, 28 juillet et 14 novembre) pour être significatives ; que M. Y... produit des attestations de salariées, notamment celles de Mme A... en date du 16 juin 2006 et celle de Mme Z... en date du 21 juillet 2006 attestant toutes deux que Mme X... déjeunait sur place « tous les jours entre 12 h et 13 h » ; que contrairement aux témoignages, les copies d'écran font apparaître que Mme X... réalisait des opérations entre 12 h et 13 h, période de temps censée être son heure de pause, notamment le 8 avril 2006 : 1 opération à 12 h 11 ; le 10 avril 2006 : 3 opérations à 12 h3 4, 12 h 42 et 12 h 46 ; le 26 avril 2006 : 1 opération à 12 h 23 ; le 27 avril 2006 : 1 opération à 12 h 54 ; le 2 mai 2006 : 1 opération à 12 h 43 ; que les copies d'écran pour la période du 1er avril au 15 juin 2006, pour la tranche horaire 11 h 30 à 20 h permettent de constater que le code opérateur 5, attribué à Mme. X..., n'est jamais activé au-delà de 15 h ; que l'absence d'opération attribuée au code opérateur 5 dans certaines tranches horaires ne permet pas d'en déduire de manière certaine que Mme X... bénéficiait d'un temps de pause dès lors que d'autres salariés, voire M. Y..., se trouvaient dans la pharmacie et qu'il n'est pas établi que des clients y étaient ; que M. Y... n'apporte pas la preuve que les horaires de Mme X... étaient discontinus ; qu'en conséquence, il convient de constater que les horaires de Mme X... étaient bien continus de 8 h à 15 h et que son refus d'appliquer ses nouveaux horaires décidés par M. Y... était légitimé par des contraintes trop lourdes que la modification aurait entraîné dans sa vie personnelle et familiale ; que la faute grave invoquée à l'appui du licenciement n'est pas établie et le refus de la modification des horaires par Mme X... est légitimée par le bouleversement de l'économie du contrat de travail ; que la raison invoquée par M. Y... pour procéder à cette modification est réelle et sérieuse, en l'espèce, l'évolution du comportement de la clientèle, aucun élément n'étant rapporté au soutien de difficultés économiques, il convient de dire que le licenciement intervient pour cause réelle et sérieuse ;

ALORS, 1°), QUE lorsqu'aucun des griefs figurant dans la lettre de licenciement pour faute grave n'est établi, le licenciement, de nature disciplinaire, est nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse ; qu'en considérant que le licenciement de Mme X... reposait sur une cause réelle et sérieuse cependant qu'il résultait de ses constatations qu'aucun des quatre motifs de licenciement que l'employeur avait énoncés dans la lettre de licenciement pour faute grave n'était établi ou fautif, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-1 et L. 1331-1 du code du travail ;

ALORS, 2°), QUE la lettre de licenciement fixe les limites du litige ; que la lettre de licenciement du 14 juin 2006 se bornait à invoquer, comme unique cause de licenciement, les fautes graves imputées à la salariée ; qu'en tenant, dès lors, pour une cause réelle et sérieuse de licenciement le refus de la salariée, non fautif, d'accepter une modification du contrat de travail dans la mesure où cette modification était dictée par l'évolution du comportement de la clientèle et, partant, par l'intérêt objectif de l'entreprise, la cour d'appel a violé l'article L. 1232-6 du code du travail.



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Cette décision est visée dans la définition :
Licenciement


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 29/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.