par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles
Cass. civ. 1, 3 décembre 2014, 13-25802
Dictionnaire Juridique
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
3 décembre 2014, 13-25.802
Cette décision est visée dans la définition :
Litispendance
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... et Mme Y..., chacun ayant la double nationalité française et américaine, se sont mariés aux Etats-Unis en 1993, où ils se sont installés et sont nés leurs deux enfants ; que, le 19 juillet 2011, l'époux a déposé une requête en divorce devant une juridiction française ; que, devant celle-ci, l'épouse a soulevé une exception de litispendance internationale en se prévalant de la saisine, le 16 août suivant, d'une juridiction américaine, d'une demande en divorce ; que, par ordonnance du 13 avril 2012, le juge aux affaires familiales s'est déclaré compétent, sur le fondement de l'article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n° 2201/2003 (règlement Bruxelles II bis), pour connaître de l'action en divorce, puis a constaté l'existence d'une situation de litispendance internationale, tout en retenant qu'ayant été saisi en premier, il lui appartenait de conserver sa compétence ;
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche ;
Vu l'article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 2201/2003 ;
Attendu que, pour déclarer les juridictions françaises incompétentes pour connaître de l'action en divorce, l'arrêt, après avoir rappelé que les époux Y...-X... s'étaient mariés en 1993 aux Etats-Unis et qu'ils y avaient toujours vécu jusqu'à leur séparation au printemps 2011, relève que M. X... n'établit pas qu'il s'était déjà installé de manière stable en France à l'époque de la saisine du juge aux affaires familiales ;
Qu'en statuant ainsi, alors que M. X... et Mme Y... ont tous deux la nationalité française, ce dont il résulte que la compétence des juridictions françaises pour connaître de l'action en divorce était établie, cette compétence n'étant pas exclusive de celle de juridictions étrangères, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le moyen relevé d'office, après avertissement donné aux parties :
Vu les principes qui régissent la litispendance internationale, ensemble l'article 100 du code de procédure civile ;
Attendu que la litispendance internationale suppose qu'une instance soit toujours en cours à l'étranger devant une juridiction internationalement compétente et dont la décision est susceptible d'être reconnue en France ;
Attendu que l'arrêt, après avoir écarté la compétence des juridictions françaises au profit de celle des juridictions américaines, a accueilli l'exception de litispendance internationale ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte des pièces de la procédure qu'une juridiction américaine avait prononcé le divorce des époux X...-Y... par un jugement définitif du 10 septembre 2012, ce qui excluait l'existence d'une situation de litispendance internationale, la cour d'appel a violé le texte et les principes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 septembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois décembre deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Potier de La Varde et Buk-Lament et la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocats aux Conseils, pour M. X...
M. X... fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir constaté la litispendance internationale et dit que les juridictions françaises sont incompétentes pour connaître de la procédure de divorce qu'il a introduite le 19 juillet 2011 ;
AUX MOTIFS QU'en application de l'article 3 b) du règlement (CE) n° 2201/2003 "Bruxelles II bis" du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, sont compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce, à la séparation de corps et à l'annulation du mariage, les juridictions de l'Etat membre de la nationalité des deux époux ; que les époux Y...-X... se sont mariés en 1993 aux Etats-Unis, qu'ils y ont toujours vécu jusqu'à leur séparation au printemps 2011 ; que leur deux enfants sont nés aux Etats-Unis et y poursuivent des études ; que Monsieur X... a, durant toute cette période et jusqu'à son licenciement fin 2010, travaillé en qualité d'analyste financier dans une banque américaine GOLDMAN SACHS ; que les juridictions américaines sont également compétentes par application de l'article 3 a) de ce règlement dit Bruxelles Il bis en raison du lieu de résidence de la défenderesse ; que Monsieur X... a saisi les juridictions françaises le 19 juillet 2011 alors que Madame Y... a saisi la juridiction newyorkaise le 16 août 2011 ; qu'il doit être fait grief à Monsieur X... d'avoir opté pour les juridictions françaises alors que les époux se sont mariées en Etats-Unis ; qu'ils y vivaient ensemble depuis plus de 18 ans ; qu'ils y ont fondé leur foyer et acquis dans ce pays au moins un bien immobilier constituant le domicile conjugal ; que Monsieur X... a toujours travaillé aux Etats-Unis durant cette période ; que Madame Y... a bénéficié le 10 juillet 2011 d'une ordonnance de protection suite à des violences conjugales ; que le juge de New York, saisi de demandes de mesures provisoires a, par décision contradictoire du 2 novembre 2011, rejeté l'exception de litispendance aux motifs que les parties avaient un lien substantiel aux Etats-Unis et qu'il n'existait aucun motif de rejet de l'action en divorce introduite aux Etats-Unis le 16 août 2011 selon la courtoisie internationale ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que Monsieur X... ne peut valablement invoquer son rattachement à la France et justifier de la primauté de l'introduction de sa procédure devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris sachant qu'il n'ignorait pas lorsqu'il a saisi le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris que son épouse avait déjà saisi la juridiction américaine d'une procédure connexe à une procédure de divorce suite à des violences conjugales ; qu'il n'établit pas qu'il s'était déjà installé de manière stable en France à cette époque, que selon les dires de son épouse, il n'avait pas encore quitté définitivement le domicile conjugal et qu'il n'a quitté définitivement le sol américain qu'en octobre 2011 pour fuir les condamnations prononcées à son encontre par la justice américaine et que le choix de la juridiction française en réalité américaine n'était pas frauduleux sachant que la procédure de divorce se rattachait de façon caractérisée à son pays d'adoption les Etats-Unis et dont les juridictions compétentes en matière de divorce ont été saisies moins d'un mois après ; qu'il résulte du comportement de Monsieur X... une violation de l'ordre public international résultant de la saisine précipitée des juridictions françaises par celui-ci aux fins d'échapper à la justice américaine normalement compétente pour connaître de sa procédure de divorce ; qu'il s'en suit que les juridictions françaises doivent se déclarer incompétentes au profit des juridictions américaines valablement saisies et devant lesquelles, Monsieur X... a pu normalement faire valoir l'ensemble de ses droits et demandes ;
1°) ALORS QUE le juge ne peut retenir dans sa décision les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même de débattre contradictoirement; qu'en se fondant, pour retenir la compétence du juge américain, sur la circonstance que Mme Y... avait bénéficié le 10 juillet 2011 d'une ordonnance de protection à la suite de violences conjugales, laquelle décision n'avait pourtant pas été produite aux débats de sorte que les parties n'avaient pu en débattre contradictoirement, la cour d'appel a violé le principe du contradictoire ensemble l'article 16 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE sont compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce les juridictions de l'Etat membre de la nationalité des deux époux ; que la cour d'appel qui, bien qu'elle ait constaté que les époux X... étaient tous deux de nationalité française, ce dont il résultait que les juridictions françaises étaient compétentes pour se prononcer sur la demande en divorce introduite par M. X... devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris, a néanmoins jugé que les juridictions françaises étaient incompétentes pour connaître de cette demande, a violé l'article 3 du Règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 ;
3°) ALORS QUE, en tout état de cause, aucune hiérarchie n'existant entre les critères de compétence énoncés par l'article 3 du Règlement n° 2201/2003, si les juges de plusieurs Etats sont compétents pour connaître d'une demande en divorce, l'époux demandeur est libre de porter sa demande devant le juge compétent de son choix ; que la cour d'appel qui, bien qu'elle ait constaté que les juridictions françaises et américaines étaient compétentes pour connaître des demandes en divorce des époux X..., ce dont il résultait que l'époux était libre de porter sa demande devant le juge français, a néanmoins jugé, pour déclarer incompétentes les juridictions françaises, et ainsi accueillir l'exception de litispendance soulevée par l'épouse, qu'il devait être fait grief à l'époux d'avoir choisi le juge français puisque les époux s'étaient mariés aux Etats-Unis, y vivaient depuis plus de dix-huit ans, y ont fondé leur foyer et acquis leur domicile conjugal et que l'époux y a toujours travaillé durant cette période, ce dont il se déduirait que les juridictions américaines étaient « normalement compétentes », n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, et a ainsi violé l'article 3 du Règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 et les principes qui régissent la compétence judiciaire internationale ;
4°) ALORS QUE si deux juges, également compétents au regard des critères établis par l'article 3 du Règlement n° 2201/2003, ont été saisis par les époux d'une demande en divorce, le juge français, premier saisi, ne saurait accueillir une exception de litispendance au profit du juge étranger saisi postérieurement ; que la cour d'appel qui, bien qu'elle ait constaté que les juridictions françaises et américaines étaient compétentes pour connaître des demandes en divorce des époux X..., puis que le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris avait été saisi par l'époux le 19 juillet 2011 et la juridiction newyorkaise par l'épouse le 16 août 2011, ce dont il résultait que le juge français, premier saisi, ne pouvait accueillir une exception de litispendance au profit du juge américain saisi postérieurement, a néanmoins déclaré incompétentes les juridictions françaises, et ainsi accueilli l'exception de litispendance soulevée par l'épouse au profit du juge newyorkais, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, et a ainsi violé l'article 100 du code de procédure civile et les principes qui régissent la compétence judiciaire internationale ;
5°) ALORS QUE ne commet aucune fraude l'époux qui saisit d'une demande en divorce le juge français, juge national des deux époux, plutôt que le juge de l'Etat de résidence habituel du couple ; qu'en se fondant, pour juger qu'il découlait du comportement de l'époux une « violation de l'ordre public international » résultant de la saisine précitée des juridictions françaises par celui-ci pour échapper aux juridictions américaines, et ainsi déclarer les juridictions françaises incompétentes, sur les circonstances inopérantes qu'il n'ignorait pas que son épouse avait saisi le juge américain d'une procédure relative à des violences conjugales, qu'il n'était pas déjà installé de manière stable en France au moment du dépôt de sa requête en divorce et que le choix de la juridiction américaine n'était pas frauduleux au regard des liens de rattachement de la situation avec les Etats-Unis, la cour d'appel, qui n'a ainsi caractérisé aucune fraude, a violé l'article 3 du Règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 et les principes qui régissent la compétence judiciaire internationale ;
6°) ALORS QUE l'exception de litispendance en raison d'une instance engagée devant un tribunal étranger également compétent ne peut être accueillie si la décision à intervenir n'est pas susceptible d'être reconnue en France ; qu'en se bornant à affirmer, pour écarter la compétence des juridictions françaises, et ainsi accueillir l'exception de litispendance soulevée au profit du juge américain, que M. X... avait pu normalement faire valoir l'ensemble de ses droits et demande devant ce juge, sans s'expliquer, même sommairement, sur l'affidavit de Me David Relkin, avocat à New York et les décisions américaines, produits par l'époux, dont il résultait que par les manoeuvres de son épouse il avait été empêché de présenter quelque preuve que ce soit devant le juge américain, ce qui était de nature à rendre la décision à intervenir insusceptible de reconnaissance en France, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
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Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 29/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.