par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles
Cass. civ. 3, 3 novembre 2016, 15-16826
Dictionnaire Juridique
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Cour de cassation, 3ème chambre civile
3 novembre 2016, 15-16.826
Cette décision est visée dans la définition :
Propriété commerciale
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article L. 145-33 du code de commerce ;
Attendu que la stipulation selon laquelle le loyer d'un bail commercial est composé d'un loyer minimum et d'un loyer calculé sur la base du chiffre d‘affaires du preneur n'interdit pas, lorsque le contrat le prévoit, de recourir au juge des loyers commerciaux pour fixer, lors du renouvellement, le minimum garanti à la valeur locative ; que le juge statue alors selon les critères de l'article L. 145-33 précité, notamment au regard de l'obligation contractuelle du preneur de verser, en sus du minimum garanti, une part variable, en appréciant l'abattement qui en découle ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 19 février 2015), que, le 2 avril 2001, la société Unibail, aux droits de laquelle se trouve la SCI Marveine, a donné à bail à la société André des locaux commerciaux situés dans un centre commercial pour une durée de dix ans ; que le bail stipulait un loyer composé d'un loyer de base minimum et d'un loyer additionnel représentant 8 % du chiffre d'affaires de la locataire et prévoyait, en cas de renouvellement, que, « dans les termes et conditions découlant de la législation en vigueur, le loyer de base sera fixé selon la valeur locative telle que déterminée par les articles 23 à 23-5 du décret du 30 septembre 1953 ou tout autre texte qui lui sera substitué », et qu'à « défaut d'accord le loyer de base sera fixé judiciairement selon les modalités prévues à cet effet par la législation en vigueur » ; que la société bailleresse, qui a accepté le principe de renouvellement, a saisi le juge des loyers commerciaux en fixation de la valeur du loyer minimum garanti ;
Attendu que, pour rejeter la demande, l'arrêt retient que l'existence d'une clause de loyer binaire induit une incompatibilité avec les règles statutaires relatives à la fixation du loyer puisque celui-ci, dans un tel bail, n'est pas fixé selon les critères définis à l'article L. 145-33 que le juge des loyers commerciaux a l'obligation d'appliquer, mais peut prendre en considération des éléments étrangers à cette énumération tel qu'un pourcentage sur le chiffre d'affaires réalisé par le preneur, que l'accord des parties et la liberté contractuelle dont il est l'expression ne permet pas d'écarter cette incompatibilité, que, si les parties peuvent librement stipuler s'agissant du loyer initial et peuvent, d'un commun accord, fixer par avance les conditions de fixation du loyer du bail renouvelé, elles ne peuvent que stipuler sur les droits dont elles ont la disposition, qu'en l'espèce, dans le débat judiciaire qui s'ouvre en raison du désaccord des parties, les dispositions de l'article L. 145-33 s'imposent au juge des loyers commerciaux qui ne saurait fixer par application d'autres critères que ceux que la loi lui prescrit le loyer du bail renouvelé qui ne peut en aucun cas excéder la valeur locative ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute la SCI Marveine de sa demande de fixation judiciaire du loyer de base, l'arrêt rendu le 19 février 2015, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne la société André aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la SCI Marveine ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois novembre deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Delaporte et Briard, avocat aux Conseils, pour la SCI Marveine
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la SCI Marveine de sa demande de fixation judiciaire du loyer de base ;
AUX MOTIFS QUE « le bail qui fait la loi des parties et a à leur égard force obligatoire nonobstant les considérations de la SA André sur le fait qu'il s'agirait d'un contrat d'adhésion comporte une clause intitulée fixation du loyer en renouvellement ainsi rédigée : « de convention expresse entre les parties à titre de condition essentielle et déterminante du présent bail il est stipulé qu'en cas de renouvellement dans les termes et conditions découlant de la législation en vigueur, le loyer de base sera fixé selon la valeur locative telle que déterminée par les articles 23 à 23-5 du décret du 30 septembre 1953 ou tout autre texte qui lui sera substitué. A défaut d'accord le loyer de base sera fixé judiciairement selon les modalités prévues à cet effet par la législation en vigueur. Toute autre clauses et conditions du bail en ce compris le loyer variable addition seront maintenues et appliquées dans le cadre du bail renouvelé. Cet article constitue dans son intégralité une condition déterminante du présent bail sans laquelle le bailleur n'aurait pas contracté ce qui est expressément accepté par le preneur » ; qu'au vue de cette clause, le premier juge a exactement rappelé que la fixation du loyer renouvelé d'un tel bail échappe aux dispositions du statut des baux commerciaux et à la compétence de la juridiction des loyers commerciaux pour n'être régie que par la seule convention des parties ; que les parties ont expressément stipulé le contraire et prévu une fixation judiciaire du loyer base en cas de désaccord sur la valeur locative ; que pour pallier cette contradiction, la SCI Marveine ne peut utilement invoquer le mécanisme d'extension conventionnelle du statut, puisque le maintien de la clause de loyer binaire voulu par les parties a précisément pour effet d'exclure l'application du statut aux règles de fixation judiciaire, de sorte qu'il ne peut être retenu sans dénaturation de la commune intention des parties que la clause a pour effet de convenir de l'application des règles statutaires ; qu'en effet, si l'existence d'une clause de loyer binaire fait échapper la fixation du loyer renouvelé aux dispositions du statut c'est en raison de l'incompatibilité existant entre la clause recette et les règles statutaires relatives à la fixation du loyer puisque le loyer dans un tel bail n'est pas fixé selon les seuls critères définis à l'article L. 145-33 du Code de commerce (critère que le juge des loyers commerciaux a l'obligation d'appliquer dans le cadre du statut des baux commerciaux) mais peut prendre en considération des éléments étrangers à cette énumération tel qu'un pourcentage sur le chiffre d'affaire réalisé par le preneur ; que vainement encore la SCI Marveine soutient que l'accord des parties et la liberté contractuelle dont il est l'expression permet d'écarter cette incompatibilité ; qu'en effet, et quelque soit les éléments dont il est composé le loyer qualifié d'indivisible par l'appelant représente en définitive la somme payée par le locataire au copropriétaire en contrepartie de la mise à disposition des locaux de sorte que le juge des loyers commerciaux qui a compétence pour fixer le prix du bail révisé ou renouvelé doit nécessairement s'attacher à l'examen de l'ensemble de cette contrepartie, prise dans sa globalité, sans ignorer l'incidence de la part variable ; que si les parties peuvent librement stipuler s'agissant du loyer initial et peuvent le cas échéant d'un commun accord fixer par avance les conditions de fixation du loyer du bail renouvelé, elles ne peuvent que stipuler sur les droits dont elles ont la disposition, ce qui ne peut concerner ni l'ordre public judiciaire ni la mise en oeuvre de disposition législatives impératives ; qu'en l'espèce, même si les dispositions de l'article L. 145-33 du Code de commerce n'entrent pas dans le champ d'application de l'article L. 145-15 du Code de commerce qui permettent de fixer les dispositions d'ordre public du statut des baux commerciaux, il n'en demeure pas moins que dans le cadre du débat judiciaire qui s'ouvre à raison du désaccord des parties les dispositions de l'article L. 145-33 s'imposent au juge des loyers commerciaux qui ne saurait fixer par application d'autres critères que ceux que la loi lui prescrit le loyer du bail renouvelé qui ne peut en aucun cas excéder la valeur locative ; qu'au demeurant, la SCI Marveine ne saurait prétendre trouver dans les termes de la clause litigieuse la démonstration que les parties ont entendu délier le juge des loyers commerciaux de l'obligation d'appliquer l'article L. 145-33 du Code de commerce puisque ladite clause prévoit que le loyer de base sera fixé judiciairement selon les modalités prévues à cet effet par la législation en vigueur ; que la SCI Marveine invoque en dernier l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme qui fixe le droit de chacun à un procès équitable (...) ; que cette disposition n'autorise pas une partie à se plaindre des conséquences d'une clause à laquelle elle a adhéré et qui a précisément pour effet d'exclure l'application des mécanismes de contrôle judiciaire du loyer renouvelé ; qu'elle n'autorise pas davantage une partie à saisir un juge à des fins que la loi l'autorise pas ; qu'en conséquence, la SCI Marveine n'établit aucune violation des dispositions de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme garantissant le droit à un procès équitable ; qu'il s'ensuit que la prétention de la SCI Marveine est mal fondée et que sa demande doit être rejetée ; que la décision déférée qui y fait droit sera infirmée » ;
ALORS, PREMIEREMENT, QUE les juges du fond ne peuvent dénaturer les clauses claires et précises des conventions qui leur sont soumises ; que selon le contrat de bail conclu entre la société Uni Commerce, aux droits de laquelle vient la SCI Marveine, et la société André le 2 avril 2001, il était indiqué qu'en « cas en cas de renouvellement [...] le loyer de base sera fixé selon la valeur locative telle que déterminée par les articles 23 à 23-5 du décret du 30 septembre 1953 » et « à défaut d'accord, le loyer de base sera fixé judiciairement selon les modalités prévues à cet effet par la législation en vigueur » ; qu'il résulte des termes de cette clause qu'en renvoyant « aux modalités prévues à cet effet par la législation en vigueur », les parties se sont référées à un désaccord « sur la valeur locative » et non pas, comme le retient à tort la Cour d'appel, à un désaccord sur les modalités de fixation du loyer renouvelé ; que dès lors, en se prononçant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a dénaturé le contrat de bail conclu le 2 avril 2001 entre la société Uni Commerce, aux droits de laquelle vient la SCI Marveine, et la société André, violant ainsi l'article 1134 du Code civil ;
ALORS, DEUXIEMEMENT, QUE le litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que dans la présente espèce, il était seulement demandé aux juges du fond, en exécution du contrat, de déterminer la « valeur » du loyer de base correspondant à la valeur locative ; qu'en estimant cependant qu'il lui était demandé de procéder à la fixation judiciaire du loyer renouvelé, la Cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du Code de procédure civile ;
ALORS, TROISIEMEMENT, QUE les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'au cas présent, la convention des parties témoigne de leur accord sur les modalités de fixation du loyer renouvelé, y compris en sa partie fixe ; que la Cour d'appel s'est appuyée, à tort, sur le principe d'une incompatibilité entre la stipulation d'une clause de loyer binaire et l'application des règles du statut des baux commerciaux pour en déduire, en dépit des termes clairs et précis de la clause stipulée entre la société Uni Commerce, aux droits de laquelle vient la SCI Marveine, et la SA André, l'absence d'accord des parties pour l'application du statut des baux commerciaux ; que ce faisant, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
ALORS, QUATRIEMEMENT, QUE les juges du fond ne peuvent dénaturer les termes clairs et précis des conventions qui leur sont soumises ; que le fait que le loyer en cause soit la contrepartie globale de la mise à disposition des lieux loués n'empêchait en rien aux parties, dans l'exercice de la leur liberté contractuelle, de décomposer cette contrepartie en deux éléments distincts, dont la fixation, lors du renouvellement, relevait de règles elles-mêmes distinctes ; que pareille clause reflétait la liberté contractuelle des parties ; que dès lors, en retenant qu'en raison du caractère indivisible du loyer les parties ne pouvaient renvoyer à une fixation judiciaire de la seule partie fixe du loyer, la Cour d'appel a violé le contrat de bail du 2 avril 2001 conclu entre la société Uni Commerce, aux droits de laquelle vient la SCI Marveine et la SA André, violant ainsi l'article 1134 du Code civil ;
ALORS, CINQUIEMEMENT, QUE les parties peuvent déroger aux règles de fixation statutaire du loyer renouvelé, dans la mesure où ils conservent la disposition de leurs droits ; qu'en particulier, les dispositions de l'article L. 145-33 du Code de commerce n'interdisent pas aux parties à un bail commercial d'y déroger ; qu'en considérant néanmoins que les parties ne pouvaient s'écarter des règles de fixation statutaire du loyer renouvelé, la Cour d'appel a violé les articles L. 145-33 et L. 145-15 du Code de commerce.
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Propriété commerciale
Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 28/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.