par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 15 décembre 2010, 09-10439
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
15 décembre 2010, 09-10.439

Cette décision est visée dans la définition :
Adoption




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le moyen unique, pris en ses diverses branches :

Attendu que les époux X... ont recueilli, par acte de kafala, un enfant algérien, né le 5 janvier 2005, sans filiation connue ; qu'ils ont été autorisés, par ordonnance du président du tribunal de Batna, à lui donner leur nom ; qu'ils ont formé, le 9 février 2007, une requête en adoption plénière et, subsidiairement, en adoption simple de cet enfant ;

Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt attaqué (Chambéry, 18 novembre 2008) d'avoir rejeté leur requête, alors, selon le moyen :

1°/ que dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ; qu'en refusant le bénéfice d'une adoption plénière ou simple à une enfant algérienne abandonnée, recueillie à titre définitif en France par des français en vertu d'une décision de kafala, la cour d'appel a violé l'article 3-1 de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 ;

2°/ que l'adoption constitue, pour une enfant abandonnée recueillie en France par un couple d'époux français, le meilleur moyen de l'intégrer à une famille ; qu'en refusant l'adoption plénière ou simple de la petite Neïla par les époux X... au motif que la kafala respecte aussi l'intérêt de l'enfant à bénéficier d'une famille, les juges d'appel ont violé les articles 3-1 et 20 de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 ;

3°/ que l'enfant abandonné et la famille qui l'a recueilli ont droit à une vie familiale normale ; qu'en refusant, sur le fondement des dispositions de l'article 370-3, alinéa 2, du code civil, de prononcer l'adoption plénière ou simple de l'enfant Neïla par les époux X..., la cour d'appel a violé les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

4°/ que le texte qui empêche un enfant abandonné dans son pays d'origine, qui a vécu depuis son plus jeune âge sur le territoire français, d'être adopté par un couple français qui l'a recueilli, au motif que le statut personnel de l'enfant prohibe l'adoption, a pour effet d'établir une discrimination entre enfants , dès lors que les enfants nés dans des pays ne prohibant pas un telle institution peuvent être adoptés en France ; qu'en refusant , sur le fondement des dispositions de l'article 370-3, alinéa 2, du code civil, l'adoption plénière ou simple de l'enfant Neïla par les époux X..., les juges d'appel ont violé les stipulations des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que la règle de conflit de l'article 370-3, alinéa 2, du code civil renvoyant à la loi personnelle de l'adopté, était la traduction, en droit interne, des règles édictées par la convention de la Haye du 29 mai 1993 relative à la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale qui dispose, notamment dans son article 4 a), que l'adoption ne peut être prononcée que si l'enfant est adoptable, c'est sans méconnaître son intérêt primordial, ni établir de différence de traitement au regard de sa vie familiale, ni compromettre son intégration dans une famille, que l'arrêt, constatant que l'article 46 du code de la famille algérien interdit l'adoption, tandis que l'article 116 de ce même code définit la kafala comme l'engagement bénévole de prendre en charge l'entretien, l'éducation et la protection de l'enfant comme le ferait un père pour son fils, a rejeté la requête en adoption, dès lors que la kafala, expressément reconnue par l'article 20, alinéa 3, de la convention de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, préserve son intérêt supérieur; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les époux X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze décembre deux mille dix.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Jacoupy, avocat aux conseils pour les époux X...,

Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir rejeté la requête en adoption plénière ou en adoption simple de l'enfant Neïla X... présentée par Monsieur et Madame X... ;

AUX MOTIFS QUE

«L'article 370-3, alinéa 2, du Code Civil est clair et ne souffre d'aucune difficulté d'interprétation : l'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si le mineur est né et réside habituellement en France.

Cette règle n'est que la traduction en droit interne des règles édictées par la convention internationale de la La Haye du 29 mai 1993 relative à la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, son article 4 a) prescrivant que l'adoption ne peut être prononcée que si les autorités compétentes de l 'Etat d'origine de l'enfant ont établi que l'enfant est adoptable.

Cette convention internationale traite de la protection des enfants, et leur intérêt est pris en compte en ce qu'elle tend à éviter des abus en matière d'adoption internationale, l'intérêt d'un enfant étranger pouvant être de conserver les liens avec son pays d'origine et de ne pas être adopté en tenant compte des règles applicables de son pays, l'intérêt de l'enfant correspondant alors à la nécessité de ne pas créer une rupture définitive du lien de filiation en ne tenant compte que de la loi du pays d'accueil et de la volonté des candidats à l'adoption.

Pour un enfant né en pays étranger, il ne suffit pas d'affirmer que son intérêt supérieur n 'est pas pris en compte par les lois du pays d'accueil, encore faut-il l'établir ou au moins le démontrer.

Sur ce point, l'enfant recueilli par les époux X... aux termes d'un acte de kafala du 26 janvier 2005 est soumis à sa loi personnelle : le code de la famille algérien.

L'article 46 du code de la famille algérien interdisant l'adoption ne peut être écarté par le juge français en considérant que seuls les pays édictant des règles internes conformes en matière d'adoption aux propres règles d'un état laïc comme la France aurait des législations légitimes.

En effet, quand bien même la règle de la prohibition de l'adoption est en Algérie d'origine religieuse, aucune donné objective ne donne le droit de considérer que la prohibition de l'adoption est ipso facto contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par la convention internationale des droits de l'enfant.

Une telle interprétation constituerait un non respect flagrant de la convention internationale de La Have.

Elle partirait du postulat qu'en matière d'abandon seules les adoptions permettent de donner à l'enfant un statut respectant son intérêt supérieur, alors même que des adoptions peuvent se révéler dans des cas d'espèce contraires à l'intérêt de l'enfant.
La kafala permet à un parent, à des proches ou un tiers de prendre en charge un enfant abandonné ou un enfant confié par ses parents ou un tuteur. Elle constitue, aux termes même de l'article 116 du code de la famille algérien « l'engagement de prendre bénévolement en charge l'entretien, l'éducation et la protection d'un enfant mineur au même titre que le ferait un père pour son fils ».

Elle constitue une tutelle légale et donne droit aux prestations familiales et scolaires.
Si elle est néanmoins révocable, et ne crée aucun lien de filiation, et ne peut être assimilable à une adoption même simple, elle apporte à l'enfant un statut reconnu par le droit algérien, que les autorités administratives et judiciaires françaises doivent respecter.
Elle donne ainsi plus de droits qu'une délégation d'autorité parentale, et est proche de la tutelle en droit français en ce qu 'elle permet d'éduquer l'enfant, de le protéger, et d'administrer ses biens.

Elle permet aussi aux bénéficiaires de la kafala d'obtenir que l'enfant porte leur nom, ce que les époux X... ont obtenu, ce qui permet de signifier à l'enfant son appartenance à la famille qui l'a recueilli en vertu d'une kafala.

Il n'est dès lors pas établi que seule l'adoption respecte l'intérêt supérieur de l'enfant, la kafala respectant aussi l'intérêt de l'enfant à bénéficier d'une famille qui le prend en charge comme s'il était un enfant issu de l'union du couple.
Pour le même motif, le droit pour l'enfant de bénéficier d'une vie familiale normale au sens de la convention européenne des droits de l'homme n'est pas remis en cause.
Enfin, la kafala résultant d'une décision étrangère bénéficie en France d'une reconnaissance de plein droit, en l'absence de contestations soumises et reconnues par une juridiction française, et comme n 'étant pas contraire à l'ordre public et aux principes fondamentaux du droit français.

Sur ce dernier point, il n'appartient pas au juge de considérer, au seul prétexte que certaines administrations serait réticente à reconnaître la reconnaissance de plein droit suscitée, que seule l'adoption serait conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant, le juge ne pouvant en aucun cas écarter un statut suffisamment protecteur de l'enfant pour lui substituer l'institution de l'adoption alors que le législateur ne l'a pas prévu dans le but de pallier à des difficultés administratives dont la résolution ressort de la responsabilité du pouvoir exécutif»,

ALORS, DE PREMIERE PART, QUE, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ; qu'en refusant le bénéfice d'une adoption plénière ou simple à une enfant algérienne abandonnée, recueillie à titre définitif en France par des Français en vertu d'une décision de kafala, la cour d'appel a violé l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant ;

ALORS, DE DEUXIEME PART, QUE l'adoption constitue, pour une enfant abandonnée recueillie en France par un couple d'époux français, le meilleur moyen de l'intégrer à une famille ; qu'en refusant l'adoption plénière ou simple de la petite Neïla par les époux X... au motif que la kafala respecte aussi l'intérêt de l'enfant à bénéficier d'une famille, les juges d'appel ont violé les articles 3-1 et 20 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

ALORS, DE TROISIEME PART, QUE l'enfant abandonné et la famille qui l'a recueilli ont droit à une vie familiale normale ; qu'en refusant, sur le fondement des dispositions de l'article 370-3 alinéa 2 du Code civil, de prononcer l'adoption plénière ou simple de l'enfant Neïla par les époux X..., la Cour d'appel a violé les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;


ALORS, ENFIN, QUE le texte qui empêche un enfant abandonné dans son pays d'origine, qui a vécu depuis son plus jeune âge sur le territoire français, d'être adopté par un couple français qui l'a recueilli, au motif que le statut personnel de l'enfant prohibe l'adoption, a pour effet d'établir une discrimination entre enfants, dès lors que les enfants nés dans des pays ne prohibant pas une telle institution peuvent être adoptés en France ; qu'en refusant, sur le fondement des dispositions de l'article 370-3 alinéa 2 du Code civil, l'adoption plénière ou simple de l'enfant Neila par les époux X..., les juges d'appel ont violé les stipulations des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.



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Cette décision est visée dans la définition :
Adoption


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 10/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.