par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles
Cass. civ. 2, 21 mai 2015, 14-18339
Dictionnaire Juridique
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Cour de cassation, 2ème chambre civile
21 mai 2015, 14-18.339
Cette décision est visée dans la définition :
Chose jugée
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles 1351 du code civil et 4 du code de procédure pénale, ensemble l'article 706-3 de ce code ;
Attendu que les décisions pénales ont, au civil, autorité absolue relativement à ce qui a été jugé quant à l'existence de l'infraction et à la culpabilité de la personne poursuivie ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un accusé renvoyé devant une cour d'assises du chef de viol commis sur la personne de Mme X... a été acquitté ; qu'après cet acquittement, cette dernière a saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infraction (CIVI) d'une demande en réparation du préjudice causé par cette infraction ;
Attendu que pour accueillir cette demande, l'arrêt énonce que la cour d'assises n'a pas acquitté l'accusé au motif que les faits de viol n'étaient pas constitués mais seulement en raison de la réponse négative apportée à la question de savoir si ce dernier était coupable d'avoir à Martigas-les-Jalles dans la nuit du 20 au 21 novembre 2006 commis sur la personne de Mme X... par violence, contrainte, menace ou surprise un acte de pénétration sexuelle ; qu'aucune indication ne peut être tirée de cette décision quant à la matérialité de l'infraction elle-même ; qu'on ne peut considérer que l'arrêt de la cour d'assises impose à la CIVI de constater que les faits ne présentent pas le caractère d'une infraction ; que les constatations matérielles et objectives sur la personne de Mme X... démontrent que cette dernière a été victime en ce lieu et à cette date de faits présentant le caractère matériel d'un viol même si la cour d'assises a pu considérer que l'accusé n'aurait pas eu conscience du désaccord de celle-ci pour la relation sexuelle qu'il a reconnue avoir eu avec elle ; que l'hypothèse non vérifiée selon laquelle cette dernière aurait été victime, après cette relation sexuelle, de l'intervention d'un autre homme qui l'aurait agressée et violée est sans incidence sur la matérialité des faits ;
Qu'en statuant ainsi, en estimant rapportée la preuve de faits présentant le caractère matériel d'un viol, alors qu'il résultait de ses propres constatations que la seule personne mise en cause par Mme X... pour l'avoir violée avait été acquittée par une décision définitive, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du même code ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 février 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare irrecevable la demande en dommages-intérêts de Mme X... ;
Laisse les dépens exposés devant les juges du fond et la Cour de cassation à la charge du Trésor public ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile devant les juges du fond ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschottes-Desbois ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un mai deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils, pour le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé la décision déférée sauf sur le montant de l'indemnité allouée à Mme X... en réparation de son préjudice et d'avoir, statuant à nouveau, alloué à l'intéressée la somme de 25 000 € en réparation du préjudice subi ;
Aux motifs que « le Fonds de Garantie soutient que l'arrêt de la cour d'assises de la Charente qui a prononcé l'acquittement de Ludovic Y... au motif que les faits de viol ne sont pas constitués, s'impose au juge civil et qu'ainsi la matérialité d'une infraction n'est pas établie ; que l'article 706-3 du code de procédure pénale dispose : " Toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne lorsque sont réunies les conditions suivantes : (...) 2° Ces faits soit ont entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel, égale ou supérieure à un mois, soit sont prévus et réprimés par les articles 222. 22 à 222. 30, 225. 4. 1, 225. 4. 5 et 227. 25 à 227. 27 du Code Pénal (...) " ; que l'article 706-3 du code de procédure pénale exige du requérant, pour prétendre à une indemnisation, qu'il ait été victime d'une infraction pénale visée expressément et limitativement dans ce texte ; que contrairement à ce que soutient le Fonds de Garantie, la Cour d'Assises de la Charente n'a pas acquitté M. Y... au motif que les faits de viol n'étaient pas constitués, mais seulement en raison de la réponse donnée par la Cour et le jury à la question suivante posée par le Président : " L'accusé Ludovic Y... est-il coupable d'avoir à Martignas-sur-Jalles (Gironde) dans la nuit du au 21 novembre 2006 commis sur la personne de Béatrice X... épouse A... par violence contrainte menace ou surprise un acte de pénétration sexuelle de quelque nature, qu'il soit ? " ; que le jury a répondu par la négative à cette question ; qu'aucune indication ne peut être tirée de cette décision quant à la matérialité de l'infraction ellemême ; qu'ainsi on ne peut pas considérer qu'à l'instar de ce qui se produit dans le cas d'une décision correctionnelle motivée par la non constitution de l'élément matériel du délit, que sic l'arrêt susvisé de la Cour d'Assises impose à la CIVI de constater que les faits soumis ne présentent pas " le caractère matériel de l'infraction de viol " ; que l'article 706-3 du code de procédure pénale requiert de la CIVI qu'elle procède au contrôle des faits qui lui sont soumis pour déterminer s'ils présentent le caractère matériel d'une infraction pénale visée par ce texte ; que la décision déférée a fait une analyse complète des éléments de l'enquête pénale et notamment des constations matérielles faites par les gendarmes suite au dépôt de plainte que Mme X... a fait immédiatement après les faits ; qu'en effet il résulte de l'ensemble des pièces produites que les gendarmes appelés aussitôt après les faits au domicile de Mme X... ont fait les constatations suivantes : " La victime présentait les blessures apparentes suivantes : 1°) hématomes à la base du cou, pouvant avoir été provoqués par des gestes de strangulation ; 2°) hématome au niveau de la clavicule gauche ; 3°) hématome accompagné de tuméfaction sur la face externe du bras droit ; 4°) tuméfaction au niveau de la lèvre supérieure gauche ; elle se plaint de griffures aux membres inférieurs non constatés " ; que l'enquête se poursuit et les gendarmes prennent des photographies de Mme X... le 20 novembre 2006 à 23h30, qui montrent son visage tuméfié et un hématome de sa lèvre supérieure gauche ; que les analyses des vêtements portés par Mme X... révèlent que du sperme a été retrouvé sur ses collants, ses sous-vêtements mais aussi sur son manteau et sa ceinture ; que le collant qu'elle portait lors des faits et qui a été saisi par les enquêteurs est déchiré à l'entrejambe et au niveau des cuisses ; que l'examen médico-légal du Docteur Z..., retenant une ITT de 10 jours, fait les constatations suivantes : 1°) sur son état psychologique : " elle a les yeux très rouges du fait des pleurs, la voix est cassée, presque haletante et bégayante, elle pleure constamment en se tenant la tête et en se bouchant les oreilles, comme pour ne plus entendre la voix de son agresseur " ; 2°) sur son état physique : " un hématome de la lèvre supérieure gauche de 30x20 mm, sur le cou présence de plusieurs lésions érythémateuses cervicales latérales inférieures bilatérales, sans dermabrasion ni ecchymose, sur le membre supérieur droit : un hématome de la face externe du tiers supérieur du bras droit de 80 mm de diamètre, très douloureux à la palpation, sur le membre inférieur droit : une douzaine de dermabrasions de la face externe de toute la cuisse, avec orientation préférentiellement verticale, de 60 à 150 mm de longueur, deux ecchymoses pétéchiales de la face interne de la cuisse droite, de 80 et mm, deux dermabrasions horizontales de la face postérieure du tiers supérieur de la cuisse droite, parallèles, de 60 mm et 80 mm, sur 5 mm de largeur, sur le membre inférieur gauche : plusieurs dermabrasions linéaires de la face externe de la cuisse, au nombre e six, pour des longueurs variables de 60 à 200 mm ; elles sont verticales, linéaires et plus ou moins parallèles, cinq dermabrasions de la face antérieure du tiers supérieur et du tiers moyen de la cuisse gauche, de 50 à 80 mm de longueur, sept dermabrasions ecchymotiques de la face interne du tiers moyen et du tiers inférieur de la cuisse gauche, de 150 et 130 mm, une dizaine de dermabrasions érythémateuses très sensibles à la palpation, à la face postérieure des tiers moyens et supérieurs de la cuisse, parallèles, horizontales, de 40 à 90 mm sur 3 à 5 mm de largeur " ; qu'à la suite de cet examen Mme X... est hospitalisée au CHS Charles Perrens pour 10 jours, en raison d'un état anxieux important ; qu'elle a été ré-hospitalisée aux Urgences de l'hôpital de Périgueux le 4 juillet 2007 suite à une tentative de suicide médicamenteuse dans un contexte de dépression sévère post-traumatique consécutive à l'agression avec viol subie 6 mois auparavant ; qu'ainsi ces constatations matérielles et objectives ne sont pas incompatibles avec la décision de la cour d'Assises, même si elle a pu considérer que M. 3 Y... n'aurait pas eu conscience du désaccord de celle-ci pour la relation sexuelle qu'il a reconnu avoir pratiqué sur sa personne ; que de même l'hypothèse émise en toute fin de procédure et donc, non vérifiée, selon laquelle elle aurait été victime après cette relation sexuelle de l'intervention d'un autre homme qui l'aurait agressée et violée, est sans incidence sur la matérialité des faits ; que la démonstration de l'infraction telle que requise dans le contrôle que doit opérer la CIVI relève d'éléments objectifs indépendamment de la question de leur auteur ; qu'à cet égard les traces de violence et marques constatées sur Mme X... immédiatement après les faits, les constatations matérielles sur sa personne et ses vêtements et sous-vêtements déchirés, son état de prostration dans les heures ayant suivi les faits du 20 novembre 2006 ainsi que son état post traumatique et sa grave dépression dans les mois et années postérieurs, démontrent qu'elle a été victime le 20 novembre 2006 vers 23 heures à Martignas-en-Jalles, de faits présentant le caractère matériel d'une infraction en l'espèce le crime de viol ; qu'en conséquence, Mme X... rapporte la preuve d'avoir subi une infraction pénale rentrant dans les prescriptions de l'article 706-3 du code de procédure pénale ; qu'il s'ensuit que c'est à juste titre que la décision déférée a fait droit à la demande d'indemnisation de Mme X... ; que concernant le montant de l'indemnité allouée à cette dernière, il convient de constater que les faits ont eu un très grave retentissement sur Mme X... ; qu'en effet, l'expert psychologue l'ayant examinée dans le cadre de l'instruction criminelle l'a décrite comme une femme en situation psychologique précaire, relevant que " depuis les faits elle semblait s'être retranchée du monde extérieur et rejeter son corps, ce qui allait dans le sens d'un traumatisme important, bouleversements dont le viol pourrait avoir été le facteur déclenchant " ; qu'elle produit des certificats médicaux et notamment ceux établis les décembre 2006, le 3 avril 2007, le 4 juillet 2007 faisant état la concernant de dépression sévère ; qu'en conséquence il lui sera fait à sa demande d'indemnisation en lui allouant la somme de 25 000 € en réparation de son préjudice ; que la décision déférée sera donc infirmée sur ce seul point » (arrêt attaqué, pages 3 à 6) ;
Alors que la décision de la juridiction pénale ayant acquitté un prévenu établit au regard de tous l'inexistence de l'infraction poursuivie ; que pour acquitter M. Y... de poursuites du chef de viol, la cour d'assises de la Charente a relevé qu'il avait été répondu négativement, par la cour et le jury, à la question de savoir si l'accusé était coupable d'avoir commis sur la personne de Mme X..., par violence, contrainte, menace ou surprise, un acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu'il soit ; qu'en retenant, pour lui allouer une indemnité, que Mme X... rapporte la preuve d'avoir subi une infraction pénale rentrant dans les prévisions de l'article 706-3 du code de procédure pénale, à savoir le crime de viol, bien que la réalité de cette infraction ait été écartée par le juge répressif, la cour d'appel a violé les articles 1351 du code civil et 4 du code de procédure pénale.
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Cette décision est visée dans la définition :
Chose jugée
Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 29/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.