par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles
Cass. soc., 25 novembre 2015, 14-21272
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Cour de cassation, chambre sociale
25 novembre 2015, 14-21.272
Cette décision est visée dans la définition :
Retrait
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 mai 2014), que M. X..., engagé par la société Fives Stein le 7 janvier 2008 en qualité de « superviseur mise en service », a été licencié pour faute grave le 23 février 2010 ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner au paiement de des indemnités de rupture, de rappel de salaires sur mise à pied conservatoire et de dommages-intérêts pour licenciement illicite, alors, selon le moyen :
1°/ que le salarié confronté à un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé a le droit d'arrêter son travail et, si nécessaire, de quitter les lieux pour se mettre en sécurité ; qu'ayant constaté que le salarié en mission à l'étranger avait été immédiatement rapatrié à sa demande en raison de ses craintes d'agressions de caractère raciste, que l'employeur avait jugées par la suite infondées, ce qu'il citait au titre d'un précédent justifiant un licenciement pour faute grave consistant à refuser d'exécuter une autre mission à l'étranger sans motifs légitimes ; en annulant le licenciement comme étant la conséquence de l'exercice d'un droit de retrait, cependant que le travail n'avait pas été interrompu unilatéralement par le salarié, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L. 4131-1 et L. 4131-3 du code du travail ;
2°/ que le fait pour l'employeur d'invoquer au titre du contexte de la faute grave, un droit de retrait accepté par précaution quoique sa légitimité en ait été par la suite contestée, ne lui interdisait pas de prononcer un licenciement pour faute grave sur un autre motif ; qu'en jugeant le licenciement nul, ce qui le dispensait d'examiner le refus fautif d'exécuter une mission à l'étranger, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 1235-1 du code du travail ;
Mais attendu qu'ayant constaté que le salarié avait légitimement exercé son droit de retrait, peu important qu'il ait obtenu l'accord de son employeur pour quitter son poste de travail, et que l'un des reproches formulés par l'employeur dans la lettre de licenciement reposait sur l'exercice de ce droit de retrait, la cour d'appel en a exactement déduit, sans avoir à examiner les autres griefs invoqués, que le licenciement était nul ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Fives Stein aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq novembre deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour la société Fives Stein.
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Société Fives Stein, employeur, à payer à Monsieur Mustapha X..., salarié licencié pour faute grave, les sommes de 1 901, 51 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ; 13 164, 33 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1 316, 43 € de congés payés afférents ; 1 562, 82 € correspondant à la période de mise à pied conservatoire et 23 328, 66 € à titre d'indemnité pour licenciement illicite ;
AUX MOTIFS QUE, Sur la nullité du licenciement, M. Mustapha X...invoque la nullité du licenciement au motif notamment que son contrat de travail était suspendu en l'absence de visite médicale de reprise à la suite de l'accident de travail dont il a été victime en Russie et de l'arrêt de travail qu'il a subi à compter du 21 juillet 2009 mais aussi au motif qu'il a été sanctionné et licencié pour avoir dénoncé un traitement discriminatoire, exercé son droit de retrait et sollicité que cesse le harcèlement disciplinaire dont il faisait l'objet ; que, s'agissant de l'exercice du droit de retrait, l'article L. 4131-1 du code du travail dispose : « le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans le système de protection. Il peut se retirer d'une telle situation » que par ailleurs, l'article L. 4131-3 du même code dispose : « aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux » ; qu'il résulte de ces textes que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection et de sécurité au travail, doit en assurer l'effectivité et que par conséquent, est nul le licenciement prononcé par celui-ci pour un motif lié à l'exercice légitime par le salarié du droit de retrait de son poste de travail dans une situation de danger ; qu'en l'espèce, bien que l'employeur ne s'explique pas sur ce moyen de nullité, il résulte de la lettre de licenciement que celle-ci reposait, notamment sur la circonstance que le salarié avait sollicité son rapatriement en France, en particulier pour des raisons de sécurité alors que selon l'employeur, il s'était avéré qu'en réalité la situation décrite ne correspondait pas à la réalité, qu'elle était sans commune mesure avec ses affirmations et qu'un « tel comportement de (sa) part était extrêmement préjudiciable au bon fonctionnement et l'organisation des chantiers », de sorte qu'il ne pouvait « l'accepter et laisser perdurer une telle situation » ; qu'autrement dit, c'était bien l'exercice par M. Mustapha X... de son droit de retrait qui lui était reproché ; qu'or, il apparaît que quelques jours seulement après son arrivée en Russie, le 29 juin 2008, M. Mustapha X... a écrit à son employeur par message électronique en indiquant : « (...) La plus grave de mes craintes ici est le racisme, je suis sorti 3 fois dans le centre pour aller manger ou aller au magasin et je me suis fait agresser 2 fois et cela en seulement 4 jours de présence ici. La première fois j'étais seul et un Russe s'en est pris gratuitement à moi et voulant me frapper (deux de ses copines l'ont repoussé et se sont excusées). La deuxième fois en présence de mon collègue de travail Xavier, en allant manger hier soir, on a essuyé des jets de projectiles divers ainsi que des crachats et des insultes ; D'autant plus que vous devez savoir qu'un collègue chinois s'est fait agresser physiquement ici en présence de l'équipe Stein » ; que dès le surlendemain, 1er juillet 2009, il exerçait son droit de retrait en demandant à l'employeur de lui adresser un billet d'avion de manière à pouvoir rentrer en France ; qu'en effet, il indiquait dans son message électronique : « hier soir à deux reprises, j'ai encore été pris pour cible, et sans aller bien loin, juste en rentrant chez moi ; C'est deux fois de trop ; Serge de FSB était présent » ; que dans les échanges de correspondance qui ont suivi le retour de M. Mustapha X... sur le territoire national et dans la lettre de licenciement, l'employeur affirmait qu'après s'être renseigné auprès du personnel qui se trouvait présent en Russie, il était apparu qu'en réalité ces craintes étaient infondées ; qu'il se fonde sur la réponse qui lui était adressée par message électronique le 1er juillet 2009 par Mme A... qui indiquait que la région de Stavropol était un lieu de mixité des cultures ; que celle-ci poursuivait cependant de la façon suivante : « Donc, à mon avis, en situation normale (dans la rue, transports, etc.) les locaux sont assez tolérants vis-à-vis des étrangers et des gens dont l'aspect physique pourrait être différent. Néanmoins, un comportement hautain, provocateur et/ ou agressif peut en effet être mal vu et être pris comme une invitation à « se mesurer », suite à quoi il peut y avoir des insultes et même des agressions de la part des gens locaux, surtout de la population jeune » ; que l'employeur se prévaut également de la réponse qui lui était adressée par M. B..., le 1er juillet 2009, celui-ci ayant été cité par M. Mustapha X... comme ayant été victime d'une agression et qui indiquait : « Le policier qui m'a attrapé par le col de mon pull était saoul et je n'ai pas compris la raison de son geste. C'est une personne qui était avec lui qui nous a séparés. Ce genre de soucis arrive principalement le soir surtout le vendredi, samedi et dimanche, la principale activité au village est de boire. Il faut surtout éviter et quitter les lieux où l'alcool coule à flots. En ce moment c'est le début des vacances, beaucoup de lycéens et étudiants sont de retour au village, sachant que leur plus grande occupation est aussi de boire ce qui exacerbe leur nationalisme, tout étranger qui ressemble à un étranger pourrait en faire les frais. H... (FSS) a reçu un soir un coup de poing (...). Dans ce village, il y a majoritairement des Russes, les autres sont arméniens, azerbaïdjanais, daghestanais, kazakhs, tchétchènes ; Ils vivent ensemble mais l'alcool aidant les Tchétchènes sont les premiers à en faire les frais. C'est aussi le cas pour celui qui pourrait ressembler à un tchétchène. Il faut un certain temps aux villageois pour reconnaître un nouveau venu et ses origines. Il faut aussi avoir une attitude et un comportement neutre et aller vers eux pour faire tout doucement partie du « paysage » et du groupe étranger de passage qui travaille pour le four à verre (...) » que contrairement à ce qu'a cru pouvoir en déduire l'employeur, les renseignements ainsi recueillis, non seulement confirmaient l'existence de deux agressions, c'est-àdire celles dont ont été victimes M. B... lui-même et le nommé H..., mais en outre, il en résulte clairement qu'il existait un climat tendu, en particulier à l'égard des étrangers et encore plus à l'égard de ceux qui pouvaient être assimilés à des Tchétchènes et que d'une façon générale, il était nécessaire d'adopter un comportement spécifique, propre à éviter toute prise à partie, autrement dit, de « faire profil bas » que par ailleurs, dans un message électronique du 14 septembre 2009, M. Mustapha X... reproduisait un autre message électronique adressé à l'employeur le 12 août précédent par M. Christophe C... dans lequel celui-ci relatait les difficultés auxquelles les membres de l'équipe qui se trouvaient sur place étaient confrontés, en particulier avec le client YugRosProdukt mais aussi une agression « par trois mafieux Russes » le 7 août précédent ; qu'il relatait des faits d'une particulière gravité les ayant opposés à des représentants de YugRosProdukt, consistant en des menaces de mort, une séquestration et divers autres faits et concluait : « cette situation est absolument inacceptable. Nous sommes clairement menacés par YugRosProdukt et notre sécurité n'est plus assurée. Nous « Xavier E..., Julien D..., Vincent F..., G..., Christophe C...) demandons un rapatriement d'urgence avec l'intervention de l'ambassade de France » qu'il résulte donc que l'ensemble de ces éléments qu'il existait sur place une situation certaine d'insécurité, ce qui était de nature à confirmer les allégations de M. Mustapha X... qui disposait d'un motif raisonnable de penser qu'il existait une menace grave et imminente justifiant l'exercice d'un droit de retrait ; qu'il apparaît que l'exercice d'un droit de retrait par l'intéressé était donc légitime ; que par conséquent, dès lors que l'un des reproches formulés par l'employeur dans la lettre de licenciement reposait sur l'exercice de ce droit de retrait, le licenciement doit être considéré comme nul ; que, Sur les conséquences de la nullité du licenciement, il convient de préciser au préalable que dès lors que le licenciement est nul, il n'y a pas lieu de se prononcer sur son bien-fondé et il en résulte que le salarié ne saurait réclamer à la fois des dommages et intérêts pour licenciement abusif et des dommages et intérêts pour licenciement nul ; qu'il n'est pas contesté que la rémunération brute moyenne perçue par M. Mustapha X... au cours des 12 derniers mois et qui sera retenue comme salaire de référence, s'élevait à 4 388, 11 € ; que par conséquent, celui-ci est fondé à réclamer le paiement de l'indemnité conventionnelle de licenciement dont le calcul n'est pas contesté et qui s'élève à la somme de 1 901, 51 € ; que de la même façon, en application de la convention collective, il y a lieu de lui accorder une indemnité compensatrice de préavis, d'un montant équivalent à trois mois de salaire, soit 13 164, 33 €, outre les congés payés afférents ; qu'en raison de la nullité du licenciement, le salarié peut aussi obtenir le paiement du salaire correspondant à la période pendant laquelle il a été mis à pied à titre conservatoire, ce qui représente la somme de 1 562, 82 € ; que de même, la nullité du licenciement a pour conséquence que le salarié a droit à une indemnité pour licenciement illicite dont le montant ne peut être inférieur à l'équivalent de six mois de salaire ; qu'en l'espèce, c'est donc la somme de 23 328, 66 € qui doit lui être accordée ;
1°) ALORS QUE le salarié confronté à un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé a le droit d'arrêter son travail et, si nécessaire, de quitter les lieux pour se mettre en sécurité ; qu'ayant constaté que le salarié en mission à l'étranger avait été immédiatement rapatrié à sa demande en raison de ses craintes d'agressions de caractère raciste, que l'employeur avait jugées par la suite infondées, ce qu'il citait au titre d'un précédent justifiant un licenciement pour faute grave consistant à refuser d'exécuter une autre mission à l'étranger sans motifs légitimes ; en annulant le licenciement comme étant la conséquence de l'exercice d'un droit de retrait, cependant que le travail n'avait pas été interrompu unilatéralement par le salarié, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L 4131-1 et L 4131-3 du code du travail ;
2°) ALORS AU DEMEURANT QUE le fait pour l'employeur d'invoquer au titre du contexte de la faute grave, un droit de retrait accepté par précaution quoique sa légitimité en ait été par la suite contestée, ne lui interdisait pas de prononcer un licenciement pour faute grave sur un autre motif ; qu'en jugeant le licenciement nul, ce qui le dispensait d'examiner le refus fautif d'exécuter une mission à l'étranger, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L 1234-1, L 1234-5, L 1234-9 et L 1235-1 du code du travail.
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Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 29/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.