par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles
MOYENS ET MOTIFS DEFINITION
Dictionnaire juridique
Définition de Moyens et motifs
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Les "moyens" sont les raisons de fait ou de droit dont un juge doit expliciter sa décision et celles dont les parties se prévalent pour fonder leurs prétention ou leurs défenses. Dans le jugement qu'il rend, le juge doit répondre par des "motifs" à l'ensemble des moyens invoqués. Ces motifs constituent le soutien de sa décision (ordonnance, jugement ou arrêt). Les défenses au fond peuvent être invoquées en tout état de cause, ainsi, le bailleur d'un local commercial qui a délivré à son locataire un congé avec refus de renouvellement peut, au cours de l'instance en fixation de l'indemnité d'éviction, dénier l'application du statut des baux commerciaux. (3eChambre civile 3 novembre 2016, pourvoi n°15-25427, BICC n°859 du 1er avril 2017 et Legifrance) Mais, répondre aux moyens ne signifie cependant pas répondre à tous les arguments lesquels ne constituent que des considérations venant à l'appui du moyen. Le juge qui doit répondre aux moyens n'a pas à répondre au détail de l'argumentation des parties. (Voir "Attendu que..").
C'est aux parties qu'il incombe de présenter au Tribunal (ou à la Cour d'appel en cas d'appel ou à la Cour de cassation en cas de pourvoi) les moyens qu'elles font valoir à l'appui de leurs prétentions et à propos desquelles la juridiction saisie est amenée à se prononcer. Sauf si des moyens ou des défenses sont d'ordre public, seules les parties sont en droit de les invoquer. Le juge ne peut faire état dans sa décision, d'un moyen, même d'ordre public, sans que les parties au litige aient été invitées par le juge à en discutter au cours d'un débat contradictoire.
Sauf règles particulières, si le juge n'a pas, l'obligation de changer le fondement juridique des demandes dont il est saisi, il est tenu, lorsque les faits le justifient, de faire application des règles d'ordre public issues du droit de l'Union européenne, telle la responsabilité du fait des produits défectueux, même si le demandeur ne les a pas invoquées. (Chambre Mixte 7 juillet 2017, pourvoi n°15-25651; Legifrance). Concernant cet arret, consulter :
Relativement aux défenses, il incombe au défendeur de présenter, dès le début de l'instance, l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à justifier le rejet total ou partiel des prétentions de son adversaire. En vertu du principe de l'Unicité de l'instance, le défendeur dont la prétention a été rejetée lors d'une première procédure, ne saurait, sans se heurter à la fin de non-recevoir tirée de la Chose jugée, introduire un second procès fondé sur la même cause, opposant les mêmes parties, alors que, au cours de cette procèdure antérieure, les demandes et les défenses avaient été formées par ces parties et contre elles en la même qualité. (1ère Chambre civile 1er octobre 2014, pourvoi n°13-22388, BICC n°814 du 15 janvier 2015).
L'ensemble des moyens d'une décision judiciaire porte le nom de "motivation". L'expression de la motivation est une condition essentielle à la légalité de la décision, son absence constitue, dans la jurisprudence la plus récente, un vice de forme. Dans le cas d'une procédure orale, l'absence de motivation est une cause de cassation et la contradiction de motifs est assimilée à l'absence de motifs. Ne satisfait pas aux exigences des articles 455, alinéa premier, et 458 du code de procédure civile le tribunal qui statue sur la demande d'une partie sans exposer, même succinctement, les prétentions et moyens de l'autre, alors qu'il avait constaté qu'elle était représentée à l'audience. (3e Chambre civile. 27 mai 2009, pourvoi n°08-15732, BICC n°711 et Legifrance). Le juge du fond ne saurait se borner, à reproduire sur tous les points en litige les conclusions de l'appelant : ce faisant, il ne ferait qu'assortir sa décision d'une motivation apparente pouvant faire peser un doute légitime sur son impartialité et il violerait l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles 455 et 458 du code de procédure civile (3ème Chambre civile, pourvoi n°10-18648, BICC n°758 du 15 mars 2012 et Legifrance ; 3e Chambre civile, 18 novembre 2009, pourvoi n°08-18029. BICC n°721 du 1er mai 2010 ; Chambre commerciale 23 mars 2010, pourvoi n°09-11508, BICC n°726 du 15 juillet 2010 ; Ière Chambre civile 17 mars 2011, pourvoi n°10-10583 et Legifrance).
Est nul l'arrêt d'une Cour d'appel qui, dans sa motivation, n'a pas visé, avec l'indication de leur date, les conclusions déposées par l'une des parties, qui n'a pas exposé succinctement les prétentions et les moyens figurant dans ses dernières conclusions (3ème Chambre civile 31 mai 2011, pourvoi n°10-20846, BICC n°749 du 15 octobre 2011 et Legifrance). Une Cour d'appel ne peut se limiter à énoncer qu'elle adopte l'exposé des faits et des moyens des parties exposés aux premiers juges ainsi que leurs motifs qui ne sont pas contraires à son arrêt. En statuant, la Cour d'appel méconnait les exigences de l'article 455 du code de procédure civile (3ème Chambre civile 21 septembre 2011, pourvoi n°10-25195, BICC n°753 du 15 décembre 2011 et Legifrance). Cependant, le juge peut motiver sa décision en se référant aux motifs contenus dans une précédente décision rendue dans la même instance (2e Chambre civile 28 janvier 2016, pourvoi n°15-10182, BICC n°843 du 1er juin 2016 et Legifrance. Consulter la note de M. Perrot référencée dans la Bibliographie ci-après.
Un motif est "surabondant" lorsque les raisons déjà évoquées par le Tribunal oui par la Cour pour étayer leur décision étaient suffisantes et que ce motif n'ajoute rien au raisonnement aboutissant à cette décision. A titre d'exemple. consulter l'arrêt du 22 janvier 2003 (Civ.3. - 22 janvier 2003 - BICC n°578 du 1er juin 2003) dans lequel la Cour de cassation a jugé qu'une cour d'appel, qui relève qu'une parcelle, faisant partie d'un site préhistorique classé parmi les monuments historiques, a été classée avec l'accord de la propriétaire de l'époque non en raison du site lui-même, fixé sur une autre parcelle, mais parce qu'elle en était l'accès naturel, normal, logique et archéologiquement intéressant depuis la route desservant le site, peut en déduire, abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant selon lequel l'arrêté de classement porte à la fois le titre de la servitude et son assiette, que les propriétaires de cette parcelle ne sont pas fondés à faire défense de passer aux propriétaires de la parcelle sur laquelle le site est situé. Lorsqu'un motif est erroné, la Cour de cassation qui estime que la décision qui lui a été déférée est juste mais mal ou insuffisamment motivée, peut y substituer un autre motif.
La motivation est aussi prise en compte pour l'appréciation d'un droit. par exemple en droit du travail, le licenciement d'un salarié n'est légitime que s'il est fondé sur un motif réel et sérieux. La motivation implicite d'une convention doit être recherchée par le juge pour interpréter la commune intention des parties.
L'article 12 du nouveau Code de procédure civile oblige le juge à donner ou à restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions et lorsqu'il ne se prononce pas sur le fond du litige, mais que la détermination de la compétence dépend d'une question de fond, le juge doit, dans le dispositif du jugement, statuer sur cette question de fond et sur la compétence par des dispositions distinctes (3°chambre civile 10 juin 2009 pourvoi n°08-15405 (BICC n°712 du 1er décembre 2009 et Legifrance). Consulter aussi 3e Civ., 22 mars 2006, pourvoi n°05-12178, Bull. 2006, III, n°80.
Cependant, il faut rappeler que selon l'article 4 du nouveau Code de procédure civile, « le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ». Ainsi, et. sauf règles particulières concernant l'évocation d'office des moyens dits d'ordre public, l'article 12 ne lui fait pas obligation, de se substituer à celles ci et de changer la dénomination ou le fondement juridique de leurs demandes. Dès lors que le juge du fond avait constaté, par motifs propres et adoptés, qu'elle était saisie d'une demande fondée sur l'existence d'un vice caché dont la preuve n'était pas rapportée, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de rechercher si cette action pouvait être fondée sur un manquement du vendeur à son obligation de délivrance d'un véhicule conforme aux stipulations contractuelles, avait légalement justifié sa décision rejetant la demande basée sur un motif qu'elle avait estimé infondé et ce alors même qu'elle pouvait être fondée sur un autre moyen que le demandeur n'avait pas invoqué. (Ass. plén., 21 décembre 2007, BICC n°681 du 15 avril 2008. Rapport de M. Loriferne. Conseiller rapporteur, et avis de M. de Gouttes Premier avocat général et les observations de Madame Laura Weiller sous cette décision rapportée par la Semaine juridique, éd. G., 9 janvier 2008, n°2, p. 25-28.
Relativement aux effets internationaux des jugements, la Première Chambre de la Cour de cassation a jugé que l'exigence de motivation des jugements en droit procédural français n'était pas d'ordre public international ; le défaut de motivation constituait seulement un obstacle à l'efficacité en France d'une décision étrangère lorsque ne sont pas produits des documents de nature à servir d'équivalent à la motivation défaillante. (1ère Chambre civile 20 septembre 2006, BICC n°652 du 15 décembre 2006, Legifrance).
La Loi constitutionnelle 2008-724 du 23 juillet 2008 complétée par la Loi organique du 10 décembre 2009 a institué l'exception d'inconstitutionnalité, moyen qui peut être soulevé devant toutes les juridictions civiles.
Textes
Bibliographie