par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. soc., 31 mars 2016, 14-25238
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Cour de cassation, chambre sociale
31 mars 2016, 14-25.238

Cette décision est visée dans la définition :
Prud'hommes (Conseil de - )




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Vu leur connexité, joint les pourvois n° W 14-25. 237 à P 14-25. 253 et X 14-25. 261 à N 14-25. 275 ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon les ordonnances de référé attaquées (conseil de prud'hommes de Bobigny, 1er août 2014), que MM. X..., et autres, agents de la RATP exerçant leurs fonctions au sein de l'établissement matériel roulant ferroviaire à l'atelier Pleyel, à Saint-Denis, arguant de ce qu'ils constataient, dans le cadre de l'exécution de leur travail, une situation potentiellement dangereuse du fait de l'écaillage de peinture amiantée sur les rames en maintenance et que toutes leurs interventions s'étaient avérées vaines, ont utilisé leur droit de retrait selon les dispositions de l'article L. 4131-1 du code du travail ; que la RATP, contestant le motif raisonnable de l'utilisation du droit de retrait, a effectué une retenue de salaire pour absence injustifiée ; que les salariés ont saisi la juridiction prud'homale, en référé, de diverses demandes ;

Attendu que l'employeur fait grief aux ordonnances de lui ordonner de verser à chacun des salariés une provision à titre de rappel de salaire, alors, selon le moyen :

1°/ que le salarié qui se retire d'une situation de travail au motif qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé peut faire l'objet d'une retenue sur salaire s'il n'avait pas un motif raisonnable de penser que la situation présentait un tel danger ; qu'en cas de litige, la juridiction prud'homale, statuant au fond, est seule compétente pour se prononcer sur l'existence d'un motif raisonnable ; qu'au cas présent, la RATP faisait valoir que la formation des référés du conseil de prud'hommes ne pouvait se prononcer sur l'existence pour les salariés d'un motif raisonnable de penser qu'ils se trouvaient dans une situation qui présentait un danger pour leur vie ou leur santé ; qu'en estimant néanmoins que " c'est à bon droit que les salariés ont opéré leur droit de retrait pour danger grave et imminent " pour ordonner à la RATP le versement d'une somme à titre de provision sur la retenue de salaire, la formation des référés du conseil de prud'hommes a excédé ses pouvoirs et violé les articles R. 1455-5, R. 1455-6 et L. 4131-1 du code du travail ;

2°/ que le conseil de prud'hommes ne peut ordonner en référé le versement d'une provision sans vérifier si les conditions de compétence de la formation des référés sont remplies ; qu'en ordonnant à la RATP le versement d'une somme à titre de provision sur la retenue de salaire, sans caractériser l'existence des conditions relatives à la compétence de la formation des référés, le conseil de prud'hommes a privé sa décision de base légale au regard des articles R. 1455-5 et R. 1455-6 du code du travail ;

3°/ que le salarié qui se retire d'une situation de travail au motif qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé peut faire l'objet d'une retenue sur salaire s'il n'avait pas un motif raisonnable de penser que la situation présentait un tel danger ; qu'au cas présent, il est constant que la présence de peinture insonastic contenant de l'amiante se situait à des endroits précisément identifiés mais non accessibles aux agents et qui ne pouvaient donc donner lieu à aucune intervention susceptible de libérer des fibres d'amiante, que les salariés des ateliers de Châtillon et Pleyel effectuaient des travaux d'entretien et de maintenance identiques sur les mêmes rames et que les prélèvements réalisés en situation de travail au sein de l'atelier de Châtillon n'avaient révélé aucune présence de fibre d'amiante ; qu'il résultait de ces prélèvements portés à la connaissance des salariés, que la présence de peinture insonastic au sein de rames de la ligne 13 ne faisait courir aux salariés en charge de la maintenance et de l'entretien de ces rames aucun risque d'inhalation de fibres d'amiante ; qu'en énonçant néanmoins, pour déclarer les salariés fondés à exercer leur droit de retrait, que les tests pratiqués au sein de l'atelier de Châtillon " ne peuvent être considérés comme pouvant être transcrits au site de Pleyel " au motif que " la société ne rapportait pas la preuve que les conditions de travail identiques produisent les mêmes résultats de test et cela quelque soit l'environnement de travail ", sans caractériser la moindre circonstance relative à l'environnement de travail au sein de l'atelier de Pleyel de nature à laisser penser aux salariés de cet atelier qu'ils étaient exposés à un risque particulier, le conseil de prud'hommes a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4131-1 et L. 4131-3 du code du travail ;

4°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'au cas présent, les salariés ne contestaient pas, dans leurs conclusions écrites et orales, que les conditions de travail étaient identiques au sein des ateliers de Châtillon et de Pleyel, et n'ont jamais fait part d'une quelconque différence liée à l'environnement de travail au sein de ces deux ateliers, ni n'ont soutenu que les tests réalisés au sein de l'atelier de Châtillon ne pouvaient pas être transposés au sein de l'atelier de Pleyel ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la formation de référé du conseil de prud'hommes a violé les articles 4 et 7 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'en l'absence de dispositions excluant l'exercice de ses pouvoirs, prévus par les articles R. 1455-5 à R. 1455-8 du code du travail, la formation de référé du conseil de prud'hommes ne peut se voir interdire de statuer ;

Et attendu que la formation de référé, qui, sans modifier l'objet du litige, a relevé que le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l'établissement avait constaté un danger grave et imminent d'exposition des travailleurs de Pleyel à l'amiante et qu'un recours de l'employeur sur la validité de la procédure initiée par ce comité n'avait toujours pas abouti, n'a pas excédé ses pouvoirs tirés de l'article R. 1455-7 du code du travail en allouant aux salariés une provision sur le salaire qui leur avait été retenu par l'employeur ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la RATP aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la RATP à payer une somme globale de 3 000 euros à MM. X..., et autres ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un mars deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen commun produit par la SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, avocat aux Conseils, pour la Régie autonome des transports parisiens, demanderesse aux pourvois n° W 14-25. 237 à P 14-25. 253 et X 14-25. 261 à N 14-25. 275,

Il est fait grief aux ordonnances attaquées d'AVOIR ordonné à la RATP de verser à chacun des salariés défendeurs aux pourvois une provision à titre de rappel de salaire ;

AUX MOTIFS QUE « sur la compétence de la formation des référés. Qu'il ressort des dispositions de l'article R. 1455-5 du code du travail que dans tous les cas d'urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud'hommes, ordonner des mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend ; que dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, elle peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire (Art. 1455-7) ; que l'article R. 1455-6 du code du travail énonce que la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. En l'espèce, l'absence de trouble manifestement illicite et la prévention d'un dommage imminent ainsi que le caractère sérieux des contestations évoquées par la partie défenderesse ne pouvant être déterminé qu'après avoir entendu les plaidoiries des parties. La formation des référés se dit compétente pour connaître du litige. Sur la demande de constater l'existence d'un motif raisonnable et la légitimité du droit de retrait et la demande de rappel de salaire. Que l'article L. 4131-1 du code du travail dispose : « Le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d'une telle situation. L'employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d'une défectuosité du système de protection ». Que l'article L. 4131-2 du code du travail dispose que le représentant du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, qui constate qu'il existe une cause de danger grave et imminent, notamment par l'intermédiaire d'un travailleur, en alerte immédiatement l'employeur selon la procédure prévue au premier alinéa de l'article L. 4132-2 ; que l'article L. 4131-3 du code du travail dispose : « Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux ». En l'espèce, le CHS-CT de l'établissement de Pleyel constatait un danger grave et imminent d'exposition des travailleurs de Pleyel à l'amiante suite à une enquête réalisée par ses soins, et après avoir relevé la présence d'écaillage d'insonastic amianté, bien que des recouvrements aient été apposés par la société en responsabilité du désamiantage des rames. Dans ces conditions, il préconisait de faire cesser toute activité de maintenance sur les trains de la ligne 13 dans l'attente de la mise en oeuvre des travaux ou protections recommandées. De plus, dans les conclusions de la partie défenderesse, il est indiqué que « la technicité d'une rame de métro rend impossible le remontage de toutes les pièces, de la peinture insonastic contenant de l'amiante à hauteur de 12 à 25 % d'amiante est restée présente au niveau des sous caisses des rames ». Cet état de fait laissant planer le doute sur le risque possible de contamination de l'environnement par des fibres d'amiante, la société a fait réaliser des prélèvements aux fins de déterminer la présence de fibre d'amiante dans l'air ambiant, ces prélèvements, effectués par le laboratoire indépendant BJL, ont été réalisés dans les ateliers de Chatillon et non dans les ateliers de maintenance de Pleyel, lieu de travail de Monsieur X.... Ces tests qui n'ont révélé aucune présence de fibre amiante dans les ateliers de Chatillon, ne peuvent être considérés comme pouvant être transcrits sur le site de Pleyel, la société n'apportant pas la preuve que les conditions de travail identiques produisent les mêmes résultats de test et cela quelque soit l'environnement de travail. Enfin, le recours effectué par la société devant le TGI, suite au vote du CHSCT sur le danger grave et imminent, n'a pas à ce jour apporté de réponse quant à la validité ou non de la procédure initiée. En conséquence, le conseil en sa formation des référés, constate que c'est à bon droit que les salariés ont opéré leur droit de retrait pour danger grave et imminent ; que la société ne pouvait dès lors opérer de retenue de salaire au titre du code 800, correspondant à des absences. Ordonne le versement de la somme de 121, 08 € à titre de provision sur la retenue de salaire » ;

ALORS, D'UNE PART, QUE le salarié qui se retire d'une situation de travail au motif qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé peut faire l'objet d'une retenue sur salaire s'il n'avait pas un motif raisonnable de penser que la situation présentait un tel danger ; qu'en cas de litige, la juridiction prud'homale statuant au fond est seule compétente pour se prononcer sur l'existence d'un motif raisonnable ; qu'au cas présent, la RATP faisait valoir que la formation des référés du conseils de prud'hommes ne pouvait se prononcer sur l'existence pour les salariés d'un motif raisonnable de penser qu'ils se trouvaient dans une situation qui présentait un danger pour leur vie ou leur santé ; qu'en estimant néanmoins que « c'est à bon droit que les salariés ont opéré leur droit de retrait pour danger grave et imminent » pour ordonner à la RATP le versement d'une somme à titre de provision sur la retenue de salaire, la formation des référés du conseil de prud'hommes a excédé ses pouvoirs et violé les articles R. 1455-5, R. 1455-6 et L. 4131-1 du code du travail ;

ALORS, D'AUTRE PART ET EN TOUTE HYPOTHESE, QUE le conseil de prud'hommes ne peut ordonner en référé le versement d'une provision sans vérifier si les conditions de compétence de la formation des référés sont remplies ; qu'en ordonnant à la RATP le versement d'une somme à titre de provision sur la retenue de salaire, sans caractériser l'existence des conditions relatives à la compétence de la formation des référés, la conseil de prud'hommes a privé sa décision de base légale au regard des articles R. 1455-5 et R. 1455-6 du code du travail ;

ALORS, DE TROISIEME PART, QUE le salarié qui se retire d'une situation de travail au motif qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé peut faire l'objet d'une retenue sur salaire s'il n'avait pas un motif raisonnable de penser que la situation présentait un tel danger ; qu'au cas présent, il est constant que la présence de peinture insonastic contenant de l'amiante se situait à des endroits précisément identifiés mais non accessibles aux agents et qui ne pouvaient donc donner lieu à aucune intervention susceptible de libérer des fibres d'amiante, que les salariés des ateliers de Chatillon et Pleyel effectuaient des travaux d'entretien et de maintenance identiques sur les mêmes rames et que les prélèvements réalisés en situation de travail au sein de l'atelier de Chatillon n'avaient révélé aucune présence de fibre d'amiante ; qu'il résultait de ces prélèvements portés à la connaissance des salariés, que la présence de peinture insonastic au sein de rames de la ligne 13 ne faisait courir aux salariés en charge de la maintenance et de l'entretien de ces rames aucun risque d'inhalation de fibres d'amiante ; qu'en énonçant néanmoins, pour déclarer les salariés fondés à exercer leur droit de retrait, que les tests pratiqués au sein de l'atelier de Chatillon « ne peuvent être considérés comme pouvant être transcrits au site de Pleyel » au motif que « la société ne rapportait pas la preuve que les conditions de travail identiques produisent les mêmes résultats de test et cela quelque soit l'environnement de travail », sans caractériser la moindre circonstance relative à l'environnement de travail au sein de l'atelier de Pleyel de nature à laisser penser aux salariés de cet atelier qu'ils étaient exposés à un risque particulier, le conseil de prud'hommes a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4131-1 et L. 4131-3 du code du travail ;

ALORS, ENFIN ET EN TOUTE HYPOTHESE, QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'au cas présent, les salariés ne contestaient pas, dans leurs conclusions écrites et orales, que les conditions de travail étaient identiques au sein des ateliers de Chatillon et de Pleyel, et n'ont jamais fait part d'une quelconque différence liée à l'environnement de travail au sein de ces deux ateliers, ni n'ont soutenu que les tests réalisés au sein de l'atelier de Chatillon ne pouvaient pas être transposés au sein de l'atelier de Pleyel ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la formation de référé du conseil de prud'hommes a violé les articles 4 et 7 du code de procédure civile.



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Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 09/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.