par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 3, 14 octobre 2009, 08-12744
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Cour de cassation, 3ème chambre civile
14 octobre 2009, 08-12.744

Cette décision est visée dans la définition :
Bail d'habitation




LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu les articles 1er et 7 b) de la loi du 6 juillet 1989 et l'article 1728 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 15 mars 2007), que la société Soginorpa (la société), propriétaire d'un logement donné à bail à Mme X..., a assigné cette dernière en résiliation de ce bail pour manquement à l'obligation d'usage paisible des lieux loués ;

Attendu que pour prononcer la résiliation du bail, l'arrêt retient que le litige prend place au sein d'une ancienne cité minière dont les logements sont la propriété de la société, que Mme X... ne conteste pas la mésentente qui existe entre ses fils et la famille Y..., que plusieurs condamnations prononcées par le tribunal correctionnel mettent en cause tant les fils de Mme X... que M. Y..., que l'origine du litige qui déchire régulièrement les deux familles n'est pas déterminée, que Mme X... ne peut se contenter d'observer que seuls ses fils sont concernés par les affaires pénales et non elle même, que ceux ci, bien que majeurs, résident au domicile de leur mère, qu'il est indiscutable que le comportement des fils de Mme X... trouble le voisinage tel qu'il ressort de la pétition qui, pour être peu précise quant aux faits reprochés à la famille X..., n'en a pas moins été signée par près de trois cents personnes, que seuls trois résidents de la rue Fauville avaient signé la pétition, que le trouble apporté à trois voisins n'est toutefois pas négligeable, que la plupart des signataires habitent dans les rues adjacentes, à proximité immédiate de l'immeuble loué par Mme X..., que la bailleresse a mis en demeure cette dernière de respecter la tranquillité du voisinage sous peine de procédure d'expulsion, qu'elle a réitéré sa mise en garde rappelant les règles de vie dans la cité ;

Qu'en statuant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à établir l'existence d'un lien entre les troubles constatés et un manquement à l'obligation pour le preneur d'user paisiblement de la chose louée ou de ses accessoires, la cour d'appel, n'a pas donné de base légale à sa décision de ce chef ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE et ANNULE, sauf en ce qu'il a débouté la société Soginorpa de sa demande d'astreinte, l'arrêt rendu le 15 mars 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;

Condamne la société Soginorpa aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile et l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, condamne la société Soginorpa à payer à la SCP Gatineau et Fattaccini la somme de 2 500 euros, la déboute de sa propre demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze octobre deux mille neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux conseils pour Mme X... ;

MOYEN UNIQUE DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR prononcé la résiliation du bail conclu entre la société SOGINORPA et Madame X... et portant sur l'immeuble situé à LIEVIN, ..., D'AVOIR ordonné l'expulsion de Madame X... ainsi que de tous occupants de son chef dans les deux mois du commandement de délaisser avec si besoin est, l'assistance de la force publique et D'AVOIR débouté Madame X... de sa demande de dommages et intérêts

AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article 7 b de la loi du 6 juillet 1989, le locataire est tenu d'user paisiblement des locaux loués suivant la destination qui leur a été donnée par le contrat de location ; Qu'aux termes de l'article 6 b, le bailleur est obligé d'assurer au locataire la jouissance paisible du logement ; que la seule limite à l'obligation du bailleur d'assurer la tranquillité des lieux est posée par l'article 1725 du Code Civil qui énonce que le bailleur n'est pas tenu de garantir le preneur du trouble que des tiers apportent par voies de fait à sa jouissance ; Qu'il en résulte que le bailleur doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour que le locataire ne soit pas gêné par d'autres personnes, à moins qu'il ne s'agisse de tiers et qu'ils se rendent coupables de voies de fait ; qu'en conséquence, il doit répondre de ses autres locataires qui ne sont pas des tiers ; que le litige prend place au sein de la cité du "Deux Cinq", ancienne cité minière dont les logements sont la propriété de la société SOGINORPA, tel qu'il ressort de l'extrait de relevé parcellaire versé aux débats ; que Madame X... ne conteste pas la mésentente qui existe entre ses fils et la famille Y... mais soutient que celle-ci trouverait son origine dans l'attitude de Monsieur Dominique Y... et qu'en tout état de cause, elle n'aurait aucune incidence sur l'usage des lieux, paisible, selon elle ; que plusieurs -condamnations prononcées par le Tribunal Correctionnel de BÉTHUNE sont produites devant la Cour qui mettent en cause tant les fils de Madame X... que Monsieur Dominique Y...; qu'ainsi -le 27 novembre 2001, Dominique Y... a été condamné à 6 mois de prison avec sursis pour des violences avec arme (bâton de bois) sur Renaud X... (mineur de quinze ans) et Réjane X... (faits du 15 octobre 2000), -le 26 septembre 2003, David X... a été condamné à un an d'emprisonnement et 18 mois de sursis avec mise à l'épreuve pour violences, volontaires avec armes (couteau) sur Dominique Y... (faits du 12 novembre. 2000), - le 8 novembre 2004, Dominique X... a été condamné. à 6 mois d'emprisonnement avec mise à l'épreuve pendant 18 mois pour violences avec arme (revolver à grenailles) commises le 4 novembre 2004 sur Demis X..., - le 5 avril 2005, Demis X... a été condamné à quatre mois d'emprisonnement, pour des dégradations graves sur le véhicule de Monsieur A... et le scooter de Madame B..., (faits du 15 septembre 2004), - le 8 avril 2005, un rappel à la loi a été formulé à l'encontre de Demis X... concernant des faits de menaces et chantage ; Que l'origine du litige qui déchire régulièrement les deux familles n'est pas déterminée même si Madame X... évoque une agression datant de 1993 de Monsieur Y... à l'encontre de son défunt mari ayant -donné lieu à une médiation ; Qu'en tout état de cause, force est de constater que depuis lors aucun des protagonistes n'a fait d'efforts pour mettre fin au grave conflit qui les oppose ; que Madame X... ne peut à cet égard se contenter d'observer que seuls ses fils sont concernés par les affaires pénales et non elle-même ; que ceux-ci bien que majeurs résident au domicile de leur mère, tel qu'il ressort des jugements correctionnels ; or que tant le locataire que les personnes qu'il héberge doivent jouir paisiblement des lieux loués ; Qu'il est indiscutable que le comportement des fils de Madame X... trouble le voisinage tel qu'il ressort de la lecture de la pétition versée aux débats par la société SOGINORPA qui, pour être peu précise quant aux faits reprochés à la famille X... (les signataires précisant avoir été "plus ou moins victimes") n'en a pas moins été ratifiée par près de trois cents personnes ; que ce nombre est important pour une ville moyenne comme Liévin ; Que le Tribunal a écarté cette pièce considérant que seuls trois résidents de la rue Fauville avaient signé la pétition ; que le trouble apporté à trois voisins n'est toutefois pas- négligeable mais il convient d'observer surtout que la plupart des signataires habitent dans les rues adjacentes, à proximité immédiate de l'immeuble loué par Madame X... (rue Jacquet, Crepin, Viala, Parent, Desmoutier, Ferry, etc...) ; que cet élément doit être pris en considération ; qu'au demeurant, le maire de LIÉVIN a invité la SOGINORPA à "assainir la situation" ; que la société SOGINORPA a mis en demeure Madame X... de respecter la tranquillité du voisinage par lettre recommandée du 25 octobre 2004,visant en particulier la violence et le tapage, sous peine de procédure d'expulsion ; qu'elle a réitéré sa mise en garde par sommation du 7 décembre 2004 rappelant les règles de vie dans la cité ; Que' pour le surplus les pièces produites ne présentent pas d'intérêt pour la solution du litige s'agissant de dépôts de plainte sans auteur désigné ou d'attestations imprécises ; qu'en conséquence, il est manifeste qu'un trouble grave est apporté au sein de la cité du Deux Cinq par les occupants du logement pris à bail ; que par ailleurs, le comportement de Dominique Y... qui a été sanctionné pénalement et qui est invoqué par Madame X... pour sa défense ne saurait dispenser celle-ci du respect de ses obligations contractuelles et il est tout aussi loisible au bailleur de solliciter les mêmes mesures concernant Monsieur Y... ; que c'est donc à bon droit que la société SOGINORPA sollicite la résiliation du contrat de bail et l'expulsion de la locataire et des occupants de son chef ; qu'il convient de faire droit à ses demandes et d'infirmer le jugement ; qu'il n'y a pas lieu en revanche de faire droit à la demande de suppression du délai de deux mois prévu par l'article 62 de la loi du 9 juillet 1991 et de prononcer une astreinte, le concours de la force publique étant autorisé pour l'expulsion ; Qu'il n'y a pas lieu, au vu de ces motifs, de faire droit à la demande de dommages et intérêts de Madame X...

1°) ALORS QUE seuls des faits commis dans l'immeuble où se situe le local loué sont susceptibles de justifier la résiliation du bail à raison d'un manquement du preneur à son obligation d'user paisiblement des locaux loués ; qu'en se bornant à relever, à l'appui de sa décision, que divers incidents s'étaient produits entre les enfants X... et celui de la famille Y... et qu'une pétition avait été ratifiée par des habitants de la ville de LIEVIN, tous des « voisins » résidant soit « dans les rues adjacentes », soit dans « la rue Fauville » (deux seulement sur plus de 300), sans à aucun moment constater que des faits constitutifs d'un manquement à l'obligation d'user paisiblement de la chose louée auraient été commis à l'intérieur même de l'immeuble loué, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1728 du code civil et des articles 7 b) et 1er la loi du 6 juillet 1989 ;

2°) ALORS QUE la garantie de jouissance paisible du bailleur contre des troubles de fait ne peut être engagée qu'au profit d'autres de ses locataires ; que seuls des faits commis à l'encontre d'autres locataires du bailleur sont donc de nature à caractériser un manquement du preneur à son obligation d'user paisiblement de la chose louée ; qu'en énonçant que le bailleur doit tout faire « pour que le locataire ne soit pas gêné par d'autres personnes, à moins qu'il ne s'agisse de tiers et qu'ils ne rendent coupables de voie de fait » pour accueillir la demande en résiliation du bail fondée sur de prétendues manquements graves de Madame X... à ses obligations contractuelles, sans à aucun moment constater que les prétendues victimes (les pétitionnaires et le fils de Madame Y...) auraient eu la qualité de locataires de la société SOGINORPA, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1728 du code civil et des articles 7 b) et 1er la loi du 6 juillet 1989 ;

3°) ALORS en tout état de cause QUE les troubles de fait du preneur ne sont susceptibles de fonder la résiliation du bail que s'ils sont constitutifs de manquements suffisamment graves à l'obligation d'user paisiblement de la chose louée, cette gravité s'appréciant au regard des manquements du bailleur à sa propre obligation de garantir une jouissance paisible ; qu'en l'espèce, Madame X... invoquait et produisait aux débats un procès-verbal de médiation pénale (prod. n° 7) dont il résultait que son époux avait déjà été victime d'agissements du jeune Dominique Y... ; que la cour d'appel a constaté que la première condamnation pénale pour violences avec armes sur la personne de Renaud et Réjane X... avait été prononcée à l'encontre du fils de Dominique Y... dès le 27 novembre 2001 ; qu'à supposer qu'elle ait retenu que la famille Y... était également locataire de la SOGINORPA, la Cour d'appel , en considérant que « le comportement de Dominique Y... qui a été sanctionné pénalement et qui est invoqué par Madame Y... pour sa défense ne saurait dispenser celle-ci de ses obligations contractuelles », lorsque cette condamnation pouvait révéler un manquement de la société SOGINORPA à son obligation de garantir à Madame X... une jouissance paisible et ôter en conséquence aux faits reprochés à cette dernière le caractère de faute contractuelle et, à tout le moins, de manquement suffisamment grave pour justifier la résiliation du bail aux torts du preneur, a violé les articles 1728 et 1184 du Code civil, ensemble les articles 7 b) et 1er de la loi du 6 juillet 1989 ;

4°) ALORS en outre QUE le juge ne saurait fonder la résiliation du bail pour manquement du preneur à son obligation d'user paisiblement de la chose louée sur des allégations incertaines ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément relevé que les faits allégués par les signataires de la pétition produite par la bailleresse étaient « peu précis », les intéressés se disant « plus ou moins » victimes des fils de Madame X... ; qu'en se bornant à relever que cette pétition n'en avait « pas moins été ratifiée par près de trois cents personnes » pour justifier la résiliation du bail, la cour d'appel a violé les articles 1728 du code civil et les articles 7 b) et 1er de la loi du 6 juillet 1989 ;

5°) ALORS QUE le juge ne peut statuer au vu de pièces qui n'ont pas été communiquées à l'une des parties ; qu'en l'espèce, Madame X... contestait avoir reçu communication des jugements du tribunal correctionnel de BETHUNE en date des septembre 2003 et 5 avril 2005 (conclusions p. 11) ; qu'en se fondant sur ces décisions pour reprocher aux fils de Madame X... des troubles de fait, sans nullement vérifier que ces pièces produites pour la première fois en appel auraient été communiquées à Madame X... (cf. prod. n° 9, bordereau de communication de pièces), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 132 du code de procédure civile.



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Cette décision est visée dans la définition :
Bail d'habitation


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 10/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.