par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 3, 10 mars 2010, 09-13082
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Cour de cassation, 3ème chambre civile
10 mars 2010, 09-13.082

Cette décision est visée dans la définition :
Expert judiciaire




LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bastia, 3 avril 2008), que M. X... a demandé à la juridiction des baux ruraux de résilier le bail rural consenti à Mme Rose Y..., en raison en particulier d'agissements de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen, qu'en application du principe de l'égalité des armes résultant du droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, une partie ne peut se voir interdire de faire la preuve d'un fait essentiel pour le succès de ses prétentions, ni plus généralement, être placée en situation de net désavantage par rapport à son adversaire ; qu'ainsi, ne saurait être écartée des débats l'expertise de son fonds que le bailleur à ferme produit au soutien de sa demande de résiliation du bail et à seule fin d'établir que la bonne exploitation dudit fonds est compromise, au prétexte que le preneur ne l'aurait pas autorisé à entrer dans les lieux pour faire réaliser cette expertise ; qu'en l'espèce, en décidant au contraire d'écarter des débats les deux expertises de M. Z..., qui relevaient des faits de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds et que M. X... produisait à l'appui de sa demande de résiliation du bail, parce que lui-même et l'expert n'auraient pas été autorisés par Mme Y... à pénétrer sur le fonds, la cour d'appel a violé le principe et le texte susmentionnés ;

Mais attendu qu'ayant constaté qu'il ressortait des termes mêmes du rapport d'expertise de M. Z... du 10 janvier 2006 que ses opérations s'étaient déroulées sur place en compagnie de M. X... après un simple avis téléphonique à Mme Y... qui les avaient priés par la suite de quitter les lieux, qu'une telle autorisation n'avait pas été sollicitée non plus lors de sa deuxième intervention le 7 novembre 2006, la cour d'appel, qui a retenu justement que M. X... ne pouvait pénétrer avec M. Z... sur la parcelle louée à Mme Y... qu'après accord préalable de celle-ci, en a exactement déduit, sans violer le principe de l'égalité des armes résultant du droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme, alors qu'une autorisation judiciaire n'avait pas été sollicitée, que ces deux rapports devaient être écartés des débats ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix mars deux mille dix.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour M. X...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Monsieur Jean-Marie X... de toutes ses demandes ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE : « Monsieur X... invoque, en second lieu, les manquements de Mme Y... de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds ; qu'il invoque la disparition de 41 des 390 oliviers recensés le 20 août 1993 lors d'une déclaration en mairie et le mauvais entretien général de la parcelle ; qu'il verse aux débats deux constats établis les 6 septembre 1999 et 24 décembre 1999 par Me C..., huissier de justice à l'Ile Rousse, qui dénombre 349 oliviers le jour de sa visite et relève la présence d'herbes hautes plus particulièrement autour de certains arbres, la présence de deux oliviers déracinés, des murets effondrés et les marques de passage régulier d'un troupeau de brebis ; qu'il se prévaut également de deux rapports de Monsieur Z..., sollicité par ses soins, qui fait état le 10 janvier 2006 et le 1er décembre 2006 d'une absence de drainage, d'un entretien du sol se limitant à un girobroyage et un passage de griffe une fois par an, d'une inexécution totale de la taille des arbres, de la présence de bois desséchés traduisant l'absence d'arrosage et d'un parasitisme développé sur les bois et les fruits notamment ; qu'il produit enfin un constat de Me D..., huissier de justice à l'Ile Rousse, du 25 octobre 2006, reprenant les constatations déjà évoquées et relatives à l'absence de drainage, à une taille des arbres inadaptée, à un parasitisme des fruits, ainsi qu'une attestation de Mme Marie-Antoinette E..., propriétaire d'une parcelle louée à Mme Y..., faisant état d'une mauvaise exploitation de son fonds ; que l'intimée répond qu'il n'a pas été établi d'état des lieux lors de l'entrée en jouissance de sorte que les dégradations constatées ne peuvent lui être imputées et qu'elle exploite la parcelle en " bon père de famille " ; qu'elle sollicite de voir écartés des débats les deux rapports de Monsieur Z... dans la mesure où les opérations d'expertise se sont déroulées sur place hors son accord ; qu'à défaut d'état des lieux établi lors de l'entrée en jouissance, les preneurs d'un bail rural ne sont pas soumis à la présomption de bon état édictée par l'article 1731 du Code civile et qu'il appartient dans ce cas au bailleur de faire la preuve des détériorations invoquées ; qu'il ne résulte pas des pièces versées au débat que les murets entourant la parcelle et l'aire à battre qui y était implantée étaient lors de l'entrée dans les lieux de Mme Y... dans un autre état que celui décrit par Me C... lors de son constat du 6 septembre 1999 ; qu'il en est de même des oliviers qui y sont plantés ; que surtout, il n'est pas démontré que la disparition d'un certain nombre d'arbres, à la supposer avérée, est due à un mauvais entretien alors qu'elle peut tout aussi bien résulter d'événements climatiques ou de la fin d'un cycle biologique ; que le bailleur, aux termes de l'article 1719 du Code civil, doit délivrer au preneur la chose louée et l'en faire jouir paisiblement pendant la durée du bail ; que Monsieur X... ne pouvait pénétrer avec Monsieur Z... sur la parcelle louée à Mme Y... qu'après accord préalable de celle-ci ; qu'il ressort des termes mêmes du rapport de Monsieur Z... du 10 janvier 2006 que ses opérations se sont déroulées sur place en compagnie de l'appelant après un simple avis téléphonique à Mme Y... qui les a priés par la suite de quitter les lieux ; qu'une telle autorisation n'a pas été sollicitée non plus lors de sa deuxième intervention le 7 novembre 2006 ; qu'en conséquence ces deux rapports ne peuvent être qu'écartés des débats ; que les constats de Me C..., par ailleurs anciens, et celui de Me D... sont contredits par un compte-rendu de visite de Mme Joëlle F..., technicienne oléicole de la chambre d'agriculture de Haute Corse qui relève, le 22 novembre 2005, que " la parcelle est dans un état d'entretien normal, le sol est travaillé sur la quasi-totalité de la surface … ; les fruits ont été protégés efficacement contre Bactrocera Oleae " ; que l'attestation de Mme E... ne saurait être retenue comme comportant de simples affirmations relatives à l'exploitation d'une parcelle étrangère au litige ; qu'au vu de l'ensemble de ces éléments ainsi analysés Monsieur X... n'apporte pas la preuve des dégradations et manquements reprochés à Mme Y... » ;

ET AUX MOTIFS REPUTES ADOPTES QUE : « Mr X... fait état en premier lieu de dégradations de murs, clôtures et d'une aire à battre matérialisée par des ouvrages en pierres, ainsi que d'oliviers mal taillés voire déracinés ou présentant des branches cassées ; mais que s'il ressort tout au plus de l'échange de certains courriers anciens entre Mme Y... et Mme X... Marie-Rose que le champ en question était planté notamment de certains arbres remarquables, aucun élément ne permet d'affirmer qu'il a été donné en location en parfait état d'entretien ; qu'au contraire il est permis de penser que ce n'était pas tout à fait le cas dans la mesure où Mme Marie-Rose X... écrit dans une lettre de septembre 1994 : " ce que je veux c'est voir ce champ encore plus beau que ceux qui l'entourent " ce qui laisse supposer que la mise en valeur de l'oliveraie était à parfaire ce qui apparaissait d'ailleurs comme étant la mission conférée à Mme Y... par Mme Marie-Rose X... ; que par ailleurs force est de constater que Me D..., huissier de justice pourtant spécialement mandaté pour opérer un état des lieux de sortie, ne fait état que d'un manque d'entretien général des lieux caractérisé à ses yeux par la présence d'un petit portail en mauvais état, la présence de ronces épaisses en guise de clôture, la présence d'herbes hautes et de traces de passages de troupeaux de brebis ; qu'il ne fait pas mention de murs, clôtures ou d'aire à battre, ouvrages sans doute alors peu primordiaux dans l'esprit du bailleur ; qu'il n'observe pas non plus de dégradations ou de défauts sur les oliviers eux-mêmes ; que la présence de ronces épaisses en clôture n'est pas susceptible d'affecter l'exploitation elle-même et remonte sans doute à une date antérieure à 1993 ; que le preneur à ferme ne saurait en outre être tenu de clore la parcelle louée ; qu'il appartient au propriétaire d'entreprendre s'il y a lieu ces travaux ; que le petit portail en mauvais état, l'existence d'herbes hautes et le passage de troupeaux de brebis apparaissent comme des éléments anecdotiques ou inhérents à la vie rurale et aux paysages bucoliques ; qu'en outre le constat est ancien comme datant du 06. 09. 1999 et constitue la seule pièce officielle et objective produite à l'appui des prétentions de M. X... ; qu'également il sera rappelé les termes de l'article L. 415. 4 du Code rural : " seules les réparations locatives ou de menu entretien, si elles ne sont pas occasionnées par la vétusté ou la force majeure, sont à la charge du preneur ; qu'à cet égard, au-delà du fait que les photographies versées au débat par le demandeur aux fins d'établir le bien fondé de ses allégations doivent être prises avec réserve car non-contradictoires et sans date certaine, il y a lieu de relever qu'elles décrivent des ouvrages en pierre " ancestraux " selon la propre qualification de M. X..., dont il sera jugé que la dégradation relève davantage de l'usure du temps que du fait fautif de Mme Y... compte tenu des développements qui précèdent et de l'absence de preuve contraire apportée par le requérant ; qu'on observera également que les photographies, au nombre de 11 pour celles qui tendent à démontrer le manque d'entretien des oliviers, sont insuffisantes pour emporter la conviction du tribunal alors qu'il sera rappelé que l'oliveraie comporte entre 300 et 400 arbres, que certains clichés se rapportent au même arbre de sorte qu'on identifie seulement 9 oliviers qui présenteraient des dommages, que la thèse du demandeur est démentie par un compte-rendu de visite en date du 22. 11. 2005 émanant d'une technicienne oléicole de la Chambre d'agriculture de la Haute Corse qui relate en substance que la parcelle est en bon état général ; qu'enfin l'attestation E... n'est pas opérante car ne se rapportant pas à la parcelle litigieuse et émanant d'une personne qui a un différend avec Mme Y... ; que M. X... fait état en second lieu d'une perte de 41 oliviers ; qu'ainsi l'oliveraie aurait été donnée à bail avec 390 arbres et l'huissier en aurait dénombré 349 en 1999 ; mais qu'il sera à nouveau pris en considération l'absence d'état des lieux d'entrée et donc de preuve formelle que la parcelle comptait réellement 390 arbres ; que la déclaration conjointe du propriétaire et de l'exploitant faite en l'espèce à l'origine du bail auprès de la société interprofessionnelle des oléagineux ne saurait être prise comme une preuve incontournable ; qu'ainsi si les arbres y sont dénombrés, ils n'y sont pas décrits et il est probable qu'entre 1993 et 1999 la restructuration de l'exploitation et l'élimination naturelle des pieds trop faibles ou trop vieux aient ramené le nombre d'oliviers à 349 ; qu'à cet égard il est significatif que l'huissier a certes dénombré les arbres lors de son état des lieux sans pour autant faire expressément mention d'un manque, que l'officier ministériel n'a pas davantage relevé de traces d'arrachage alors pourtant que M. X... fait valoir que Mme Y... se serait approprié des arbres pour les replanter sur une parcelle cadastrée A 103 lui appartenant ; que cette dernière affirmation apparaît fantaisiste et décrédibilise l'argument tiré d'un défaut de conservation des arbres donnés à exploiter ; qu'ainsi le fait que sur les déclarations successives en mairie la parcelle A 103 de Mme Y... est mentionnée comme plantée de 12 arbres puis de 50 peut parfaitement s'expliquer par le fait que le formulaire sur lequel 50 arbres sont affectés à la parcelle A 103 ne fait plus apparaître la parcelle A 100 qui comportait 36 oliviers ; qu'en tout état de cause il est tout à fait vraisemblable que Mme Y... ait procédé à l'arrachage de 41 oliviers pour se les approprier sans que le propriétaire, bien qu'informé de ce qui se passe sur ses terres ainsi que cela ressort de ses correspondances, ne réagisse vivement et immédiatement et au plus tard aussitôt établi le constat de Me D... ; qu'il suit de tout ceci qu'il y a lieu de débouter M. X... défaillant dans l'administration de la preuve d'un manquement suffisamment grave du preneur de nature à légitimer une résiliation du bail rural » ;

ALORS QUE : en application du principe de l'égalité des armes résultant du droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, une partie ne peut se voir interdire de faire la preuve d'un fait essentiel pour le succès de ses prétentions, ni plus généralement, être placée en situation de net désavantage par rapport à son adversaire ; qu'ainsi, ne saurait être écartée des débats l'expertise de son fonds que le bailleur à ferme produite au soutien de sa demande de résiliation du bail et à seule fin d'établir que la bonne exploitation dudit fonds est compromise, au prétexte que le preneur ne l'aurait pas autorisé à entrer dans les lieux pour faire réaliser cette expertise ; qu'en l'espèce, en décidant au contraire d'écarter des débats les deux expertises de Monsieur Z..., qui relevaient des faits de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds et que Monsieur X... produisait à l'appui de sa demande de résiliation du bail, parce que lui-même et l'expert n'auraient pas été autorisés par Madame Y... à pénétrer sur le fonds, la cour d'appel a violé le principe et le texte susmentionnés.



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Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 10/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.