par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. crim., 2 novembre 2011, 10-83219
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Cour de cassation, chambre commerciale
2 novembre 2011, 10-83.219

Cette décision est visée dans la définition :
Accident du travail




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- M. Frédéric X...,
- La société Sorefab, civilement responsable, venant aux droits de la société Sogeloc,

contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 26 février 2010, qui, dans la procédure suivie contre le premier pour blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 4 octobre 2011 où étaient présents : M. Louvel président, Mme Radenne conseiller rapporteur, MM. Palisse, Arnould, Le Corroller, Nunez, Pers, Fossier, Mme Mirguet conseillers de la chambre, Mme Harel-Dutirou, M. Roth conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Lacan ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

Sur le rapport de Mme le conseiller RADENNE, les observations de la société civile professionnelle ODENT et POULET, et de la société civile professionnelle DIDIER et PINET, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LACAN ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire commun aux demandeurs et le mémoire en défense produits ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 4 juillet 2000, M. Y..., mis à disposition de la société Sorefab, a été grièvement blessé lors du détachement d'une nacelle, appartenant à la société Sogeloc ; qu'à la suite de cet accident du travail, la société Sorefab, l'un de ses préposés, M. Z..., ainsi que M. X..., salarié de la société Sogeloc, ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel des chefs de blessures involontaires et infractions à la sécurité des travailleurs ; que, par jugement devenu définitif sur l'action publique, les deux premiers ont été retenus dans les liens de la prévention et le troisième relaxé ;

Attendu que la cour d'appel, après avoir estimé que M. X... avait commis une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité à l'origine directe du dommage subi par M. Y..., a reçu ce dernier en sa constitution de partie civile contre le premier et son civilement responsable, la société Sorefab, venant aux droits de la société Sogeloc, suite à une fusion absorption ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du code civil et 593 du code de procédure pénale, omission de statuer, défaut de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a condamné M. X... et la société Sorefab à régler à M. Y...la somme de 660, 27 euros au titre des dépenses de santé actuelles, la somme de 554 207, 66 euros et une rente de 79 293 euros payable par trimestre, dont le capital constitutif est de 1 504 346, 80 euros diminué du capital constitutif de la majoration tierce personne (194 550, 24 euros) au titre de l'assistance par tierce personne, une rente annuelle de 6 941, 95 euros dont le capital constitutif est de 131 702, 67 euros au titre des dépenses de santé futures, la somme de 170 026, 40 euros, une rente annuelle de 265, 20 euros dont le capital est constitutif de 5 031, 37 euros et une rente annuelle de 358, 80 euros dont le capital est constitutif de 6 807, 15 euros au titre des frais de logement adapté, la somme de 121 078, 16 euros et une rente annuelle de 8 344 euros dont le capital est constitutif de 158 302, 32 euros au titre des frais de véhicule adapté et la somme de 8 450 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

" aux motifs que le préjudice de M. Y..., selon les règles du droit commun et selon les demandes des parties, est constitué des postes suivants, hors ceux déjà réparés par la juridiction prud'homale : DSA, PGPA, ATP, FD, DSF, FLA, FVA, DFT ;
* DSA : ce poste est constitué par les prestations en nature de la CPAM (50 775, 21 euros) et les frais médicaux restés à la charge de la victime (660, 27 euros), soit un total de 51 435, 48 euros ;/ …/
* ATP : M. Y...sollicite la somme correspondant aux frais effectivement engagés depuis l'accident d'octobre 2000 à décembre 2009, sur la base d'une assistance 24 h/ 24 h assurée dans le cadre de l'assistance familiale et d'une aide salariée ; qu'il parvient à un total de 649 094, 89 euros ; que M. X... et la Sorefab proposent de ne retenir que les deux tiers de cette somme pour tenir compte des conclusions du médecin expert qui limite à seize heures par jour l'assistance par tierce personne, le reste de la période journalière pouvant être assurée par le blessé lui-même avec l'aide d'une télésurveillance ; que l'expert architecte n'a pas noté que le système de télésurveillance était en place et il compte parmi les équipements à installer les appareils de domotique, ainsi que le coût de l'abonnement de télé-assistance ; qu'il apparaît donc qu'à ce jour aucun système de télésurveillance permettant une certaine autonomie n'a été mis en place ; qu'eu égard à son état, M. Y...est donc bien fondé à recevoir la somme de 649 094, 89 euros pour couvrir ses dépenses liées à une assistance 24 h/ 24 h, jusqu'en décembre 2009 ; que, pour l'avenir, M. Y...demande une rente trimestrielle de 19 823, 25 euros, calculée sur un coût annuel de 79 293 euros ; que M. X... et la Sorefab acceptent cette somme, mais proposent le versement d'un capital constitutif de 79 293 euros x 18, 972 soit 1 504 346, 80 euros ; que l'indice 18, 972 correspond au barème TD88-90 pour un homme de 36 ans, il n'est pas contesté par M. Y..., et peut être retenu par la cour en raison de ses avantages de sécurité et de rendement ; que, prenant acte de l'accord des parties, la cour homologuera l'indemnité due au titre des arrérages à échoir, de la rente ATP ;/ …/
* DSF :/ …/ M. Y...sollicite une somme de 6 941, 95 euros par an pour le renouvellement périodique de matériels médicaux (sangle et housse, lit électrique médicalisé, housse de matelas anti escarre, fauteuil électrique, fauteuil verticalisateur, vélo d'appartement) non pris en charge par la CPAM ; que M. X... et la Sorefab ont proposé la capitalisation de cette dépense ;/ …/
* FLA (frais de logement adapté) : M. Y...sollicite la somme globale de 167 639, 60 euros TTC retenue par l'expert pour l'ensemble des travaux déjà réalisés et à réaliser en raison de son état de santé ; que M. X... et la Sorefab soutiennent qu'il convient d'appliquer le taux de TVA à 5, 5 % et non celui de 19, 60 % ; or, l'expert a indiqué que, s'agissant de travaux de création et non de rénovation, ils étaient soumis à la TVA au taux de 19, 60 % ; que M. Y...demande aussi le remboursement des « consommables » calculé par l'expert à hauteur de 265, 20 euros par an soit 2 386, 80 euros à ce jour, outre la somme de 265, 20 euros par an pour l'avenir ; que le poste s'établit donc à : 167 639, 60 euros + 2 386, 80 euros = 170 026, 40 euros outre le capital constitutif d'une rente pour l'achat des consommables (265, 20 euros x 18, 972) = 531, 37 euros ; et le capital constitutif d'une rente pour l'abonnement au service de télésurveillance de (358, 80 euros x 18, 972) = 6 807, 15 euros ;
* FVA : les frais engagés par M. Y...pour l'achat de deux véhicules adaptés ont été validés par les experts à hauteur de 121 078, 16 euros, y compris les frais de stage pour l'obtention d'un permis de conduire spécial (1 806, 50 euros) ; que le médecin expert a considéré comme inadaptés à l'état de M. Y...les déplacements avec le fourgon Renault et il a préconisé le recours à l'assistance d'un personnel et d'un matériel spécialisé ; qu'il convient donc de ne valider que les frais d'entretien et de remplacement du véhicule Chrysler, soit un capital de 8 344 euros x 18, 972 = 158 302, 32 euros ;
*DFT : sur la base de 650 euros par mois, l'indemnité réparant le DFT qui s'est prolongé pendant treize mois doit être fixé à 8 450 euros ;

" alors que, selon les dispositions de l'article 1382 du code civil, le préjudice doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; qu'aux termes de l'article 593 du code de procédure pénale sont déclarés nuls les arrêts ayant omis de prononcer sur une demande des parties ; qu'en condamnant M. X... et la société Sorefab à verser différentes sommes à M. Y...sans déduire le montant global des provisions versées par Axa France, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil et le principe de réparation intégrale et a omis de statuer sur la demande de M. X... " ;

Attendu que les demandeurs ne sauraient se faire un grief de ce que la cour d'appel a omis de déduire les provisions d'ores et déjà versées, dès lors que les condamnations prononcées, égales au montant des préjudices, s'entendent en deniers ou quittances ;

Que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais, sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 454-1 du code de la sécurité sociale, 25 de la loi 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a condamné M. X... et la société Sorefab, civilement responsable, à payer à la CPAM de la Gironde les sommes de 50 775, 21 euros au titre des DSA, 11 666, 52 euros au titre de la PGPA, 3 283, 90 euros au titre des FD et 269 051, 51 euros au titre des DSF ;

" aux motifs que le recours de la CPAM relève des dispositions de l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale qui dispose que : « si la responsabilité du tiers est partagée avec l'employeur, la caisse ne peut poursuivre un remboursement que dans la mesure où les indemnités dues par elle en vertu du même code dépassent celles qui auraient été mises à la charge de l'employeur en vertu du droit commun » ; qu'il convient donc de déterminer la part de responsabilité de l'employeur et du tiers, d'évaluer le préjudice de la victime selon les règles de droit commun, de fixer la part incombant à l'employeur et au tiers en fonction de leurs responsabilités respectives, et de rechercher, poste par poste et en accordant à la victime un droit de préférence conformément à l'article 25 de la loi du 21 décembre 2006, le montant du recours en fonction des critères de l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale ; que M. X... et la Sorefab ont conclu en ce sens ; que la CPAM de la Gironde a proposé un tableau de ses recours poste par poste ; que M. Y...a sollicité l'indemnisation des divers postes de son préjudice/ …/ ; que compte tenu du partage de responsabilité ci-dessus, les sommes théoriquement dues par la Sorefab, employeur de M. Y..., selon les règles de droit commun, s'établissent à : DSA : 25 717, 79 euros, PGPA : 5 833, 26 euros, ATP : 324 547, 44 euros et 752 173, 4 euros, FD : 1 641, 5 euros, DSF : 200 377, 09 euros, FLA : 85 013, 20 euros, 2 515, 68 euros et 3 403, 57 euros, FVA : 60 539, 08 euros et 79 151, 16 euros, DFT : 4 225 euros ; que, compte tenu des sommes mises à la charge de la Sorefab, employeur, la CPAM est recevable à exercer son recours sur les postes DSA, PGPA, FD et DSF ;

" 1°) alors que la réforme issue de l'article 25 de la loi du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007 n'a pas modifié l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale ; que si le recours subrogatoire des caisses primaires d'assurance maladie doit être exercé poste par poste quand il s'agit d'un accident du travail, il s'exerce cependant globalement quand il s'agit d'appliquer l'alinéa 6 dudit article ; qu'aux termes de cet alinéa, la caisse ne peut poursuivre un remboursement contre le tiers dont la responsabilité est partagée avec l'employeur que dans la mesure où les indemnités dues par elle dépassent celles qui auraient été mises à la charge de l'employeur en vertu du droit commun ; qu'en retenant que la caisse était recevable à exercer son recours poste par poste, alors même que ce recours devait être globalisé, la caisse étant déjà privée du droit de préférence dès lors que la dette du tiers est limitée à la mesure de sa part de responsabilité, et que la créance globale était inférieure à la dette fictive de l'employeur, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 25 de la loi du 21 décembre 2006 et, par refus d'application, l'article L. 454-1, alinéa 6, du code de la sécurité sociale ;

" 2°) alors que, à supposer que le recours de la caisse contre le tiers devait s'exercer poste par poste, les condamnations prononcées contre ce dernier devaient être limitées à la mesure de la part de responsabilité lui incombant ; qu'en condamnant M. X... à verser à la CPAM de la Gironde des sommes excédant sa part de responsabilité, la cour d'appel a violé l'article L. 454-1, alinéa 6, du code de la sécurité sociale ;

" 3°) alors que les caisses ne sont admises à poursuivre contre le tiers responsable d'un accident du travail que le remboursement de sommes qu'elles ont effectivement déboursées ; que, sauf accord du tiers sur le paiement en capital, les caisses ne peuvent prétendre au remboursement de leurs dépenses qu'au fur et à mesure de leur engagement ; qu'en imposant au tiers responsable, sans son accord préalable, le paiement immédiat de sommes correspondant à un remboursement anticipé de prestations non encore exposées par la CPAM de la Gironde, la cour d'appel a violé l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale " ;

Vu l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que, lorsque la responsabilité d'un accident de travail est partagée entre l'employeur de la victime et un tiers, la caisse primaire d'assurance maladie dispose d'un recours contre ce dernier, mais seulement dans la mesure où les prestations dues par elle en vertu de la loi dépassent la part des indemnités réparant l'atteinte à l'intégrité physique de la victime qui auraient été mises à la charge de l'employeur en vertu du droit commun ;

Attendu que, après avoir déclaré M. X... responsable pour moitié du préjudice subi par M. Y...et évalué le montant des postes du préjudice résultant de l'atteinte à l'intégrité physique de ce dernier, ainsi que les sommes qui, selon les mêmes règles, auraient été dues par l'employeur de la victime, l'arrêt condamne le tiers responsable à payer à la caisse primaire d'assurance maladie la totalité des sommes que celle-ci a engagées au titre des dépenses de santé actuelles et futures, des frais de transport et des pertes de gains professionnels actuels, sans déduire, pour chacun de ces postes, la part d'indemnité qui aurait été mise à la charge de l'employeur en vertu du droit commun ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel, qui au surplus a condamné le prévenu sans son accord au remboursement d'arrérages avant leur échéance, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 26 février 2010, en ses seules dispositions relatives au recours subrogatoire de la CPAM sur les postes indemnisant les dépenses de santé actuelles et futures, les frais de transport et les pertes de gains professionnels actuels, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Poitiers, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale au profit des consorts Y...et de la CPAM de la Gironde ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bordeaux et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le deux novembre deux mille onze ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;



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Cette décision est visée dans la définition :
Accident du travail


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 09/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.