par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 2, 10 avril 2014, 12-26362
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Cour de cassation, 2ème chambre civile
10 avril 2014, 12-26.362

Cette décision est visée dans la définition :
Évocation




LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que Jean X...est décédé, le 22 mars 1989, laissant pour lui succéder ses deux enfants issus de son mariage dissous avec Mme Y..., Mme Z...et M. X...(les consorts X...), qui ont renoncé à la succession ; que, par acte notarié des 9 et 12 septembre 1988, son ex-épouse avait consenti à ces derniers un prêt d'un montant de 152 449, 02 euros dont Jean X...avait garanti le remboursement par voie de constitution d'une hypothèque sur sa part indivise d'un immeuble appartenant aux ex-époux ; que le curateur à l'abandon des biens de la succession de Jean X...a assigné Mme Y...en licitation et partage de l'indivision, licitation du bien et paiement d'une indemnité d'occupation puis les consorts X...en intervention forcée ; que Mme Y...s'est opposée à la licitation du bien et a offert d'acquérir la moitié indivise relevant de la succession par compensation avec la créance qu'elle détenait sur la succession à raison de l'engagement de caution, aucun remboursement du prêt n'étant intervenu ; que le curateur à l'abandon des biens a sollicité, par voie d'action paulienne, la déclaration d'inopposabilité de l'acte des 9 et 12 septembre 1988, argué de fraude, et la radiation de l'hypothèque grevant la moitié indivise du bien ;

Sur le second moyen :

Attendu que Mme Y...fait grief à l'arrêt d'évoquer la partie du litige non jugée en première instance, d'ordonner la licitation de l'immeuble situé à Valailles (Eure) sur une mise à prix de 100 000 euros et de la déclarer redevable d'une indemnité mensuelle d'un montant de 550 euros pour l'occupation du bien à compter du 25 novembre 1994, alors, selon le moyen :

1°/ que la cour d'appel ne peut donner une solution définitive à la partie d'un litige ayant fait l'objet d'une mesure d'instruction ordonnée par le tribunal qu'autant qu'elle est saisie du chef du jugement qui a prescrit cette mesure ; qu'il résulte en l'espèce des écritures de l'appelante que cette dernière sollicitait la confirmation du chef du jugement en ce qu'il avait désigné M. A...en qualité d'expert aux fins de déterminer la valeur de l'achat de la moitié indivise de l'immeuble et le montant de l'indemnité d'occupation de ce bien ; qu'en statuant de manière définitive sur la demande de licitation de l'immeuble et sur la demande de versement de l'indemnisation d'occupation sur lesquelles le tribunal avait, avant dire droit, ordonné cette expertise, la cour d'appel a violé l'article 568 du code de procédure civile ;

2°/ que la cour d'appel doit, lorsqu'elle entend faire usage de son pouvoir d'évocation, mettre les parties en mesure de conclure sur les points qu'elle se propose d'évoquer ; qu'il n'apparaît, ni des mentions de l'arrêt, ni des pièces de la procédure que l'appelante, qui n'avait pas conclu sur la partie du litige relative à la licitation de l'immeuble et à l'indemnité d'occupation, ait été mise en mesure de le faire ; qu'en statuant ainsi sans avoir mis l'appelante en mesure de conclure au fond sur la partie du litige sur laquelle elle exerçait son pouvoir d'évocation, la cour d'appel a violé les articles 16 et 568 du code de procédure civile ;

Mais attendu que statuant sur l'appel général d'un jugement mixte ayant pour partie jugé au fond et pour partie ordonné une mesure d'expertise avant-dire droit sur d'autres demandes, la cour d'appel n'a fait qu'user de la faculté que lui confère l'article 568 du code de procédure civile d'évoquer les points non jugés en estimant de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive ;

Et attendu qu'ayant relevé que Mme Y...demandait le débouté du curateur de l'ensemble de ses prétentions, dont celles afférentes à la mise en vente aux enchères publiques des biens immobiliers, qu'elle s'était bornée à conclure au fond sans prendre parti sur la demande du curateur aux fins d'évocation des points non jugés en première instance en l'état du rapport d'expertise déposé en cours d'instance d'appel, c'est sans violer le principe de la contradiction que la cour d'appel, qui a retenu que Mme Y...avait été en mesure de conclure, a statué comme elle l'a fait ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, qui est recevable : (Publication sans intérêt) ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du premier moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a confirmé le jugement ayant déclaré l'acte des 9 et 12 septembre 1988 constatant le prêt consenti, l'engagement de caution et l'affectation hypothécaire inopposable au curateur à l'abandon des biens de la succession de Jean X...et ordonné la radiation de l'hypothèque conventionnelle prise en exécution de cet acte sur la moitié du bien immobilier cadastré section ZE n° 18 lieu-dit « ...»,
l'arrêt rendu le 11 avril 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne Mme D..., ès qualités, aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix avril deux mille quatorze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Roger, Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour Mme Y....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré inopposable au curateur à l'abandon des biens de la succession de monsieur Jean X...l'acte établi les 9 et 12 septembre 1988 constatant le prêt consenti par madame Y...épouse B..., l'engagement de caution de monsieur X...et l'affectation hypothécaire de la moitié indivise du bien situé à Valailles et cadastré section ZE n° 18, lieu-dit « ...», d'avoir ordonné la radiation de l'hypothèque conventionnelle prise en exécution de cet acte, d'avoir ordonné les opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision existante entre les parties sur ce bien, d'avoir ordonné la licitation dudit bien et d'avoir déclaré madame Y...épouse B...redevable envers l'indivision d'une indemnité mensuelle d'un montant de 550 euros pour l'occupation du bien à compter du 25 novembre 1994 ;

Aux motifs que le créancier qui exerce l'action paulienne doit justifier d'une créance certaine en son principe au moment de l'acte litigieux, même si elle n'est pas encore liquide ; qu'il doit établir l'insolvabilité, au moins apparente, de son débiteur au jour de l'acte litigieux ou à la date de l'introduction de la demande, le débiteur devant quant à lui prouver qu'il dispose de biens suffisants pour répondre de son engagement ; que, lorsque l'acte litigieux est à titre onéreux, le créancier doit démontrer la complicité de fraude du tiers acquéreur, alors que, lorsque l'acte est à titre gratuit, il n'a pas à prouver la complicité de fraude du bénéficiaire de l'acte, laquelle est présumée ; que la fraude paulienne n'implique pas nécessairement l'intention de nuire et résulte de la seule connaissance que le débiteur et son cocontractant à titre onéreux ont du préjudice causé au créancier par l'acte litigieux ou de la seule connaissance que le débiteur a du préjudice causé au créancier par l'acte litigieux ; que l'inopposabilité paulienne autorise le créancier poursuivant, par décision de justice et dans la limite de son droit de créance, à échapper aux effets d'une aliénation opérée en fraude de ses droits, afin d'en faire éventuellement saisir l'objet entre les mains du tiers ; qu'en l'espèce, Me D..., es qualités, justifie d'une créance certaine en son principe au moment de l'acte litigieux des 9 et 12 septembre 1988, laquelle est constituée notamment par un protocole du 12 juillet 1983 aux termes duquel Jean X...devient débiteur de Monsieur C...de la somme de 267 801, 30 francs, un jugement rendu le 21 juin 1990 par le tribunal de commerce de Paris condamnant Jean X...à payer à la banque Csia la somme principale de 2 175 000 francs avec intérêts au taux légal à compter du 25 janvier 1988 et un arrêt rendu le 20 juin 1990 par la cour d'appel de Grenoble condamnant Stéphane X..., es qualité d'héritier bénéficiaire de Jean X...à payer à la société France Nougat la somme principale de 273 770, 10 francs avec intérêts de droit à compter du 19 août 1987, outre une somme de 100 000 francs à titre de dommages et intérêts ; que l'inventaire de la succession de Jean X...fait apparaître un passif de près de 5 millions de francs, et qu'il se déduit de l'examen de ce document son insolvabilité au moment de l'acte litigieux ; que, si l'engagement en qualité de caution d'un débiteur constitue un acte gratuit pour lui, en revanche, il constitue un acte à titre onéreux pour le créancier garanti, dont la complicité de fraude doit être démontrée ; qu'à cet égard, madame B...prétend qu'elle était créancière de Jean X...à hauteur de la somme de 1 350 000 francs à la suite de la vente d'un bien indivis leur ayant appartenu, qu'elle a consenti un prêt à ses enfants afin de leur permettre de constituer une société et que, " s'étant en quelque sorte substituée à son ex-époux pour aider à la création de la société constituée par ses enfants ", il " n'était pas anormal " que celui-ci s'engage en qualité de caution hypothécaire ; que, cependant, elle ne rapporte nullement la preuve de ses allégations, de sorte qu'elle apparaît ainsi s'être rendue complice de la fraude commise par Jean X...afin d'organiser son insolvabilité envers de nombreux créanciers ; que, par là même, la fraude paulienne a résulté de la seule connaissance que Jean X...et son ex-épouse ont eu du préjudice causé aux créanciers par l'acte litigieux ;

Alors que, d'une part, le curateur à l'abandon des biens d'une succession vacante ne peut exercer l'action paulienne à l'encontre un acte réalisé par le de cujus prétendument en fraude des droits des héritiers héréditaires ; qu'en déclarant recevable et bien fondée l'action paulienne exercée par le curateur à l'abandon des biens de la succession de monsieur Jean X...à l'encontre d'un acte passé par ce dernier prétendument en fraude des droits de ses créanciers héréditaires, la cour d'appel a violé les articles 812 ancien et 1167 du code civil ;

Alors que, d'autre part, la fraude paulienne suppose un acte passé en fraude des droits du demandeur ; qu'il résultait des propres constatations de l'arrêt que l'acte litigieux avait été passé en fraude des droits des créanciers de monsieur X...avant le décès de ce dernier et l'ouverture de sa succession ; qu'en retenant une fraude aux droits du curateur à l'abandon des biens de la succession vacante, la cour d'appel a violé l'article 1167 du code civil ;

Alors que, en outre, un tiers ne peut être complice de la fraude par laquelle un débiteur organise son insolvabilité que si cette insolvabilité était apparente ou connue de l'intéressé ; qu'en relevant que l'insolvabilité du débiteur à la date de son engagement de caution hypothécaire s'induisait du passif de la succession ouverte à la suite de son décès survenu six mois après la passation de l'acte litigieux et que son ex-épouse, créancier garanti, avait connaissance du préjudice causé aux créanciers sans établir que l'insolvabilité du débiteur était à cette date apparente ou connue de l'intéressée, la cour d'appel a violé l'article 1167 du code civil ;

Alors que, en tout état de cause, la preuve de la complicité d'un tiers à la fraude du débiteur appartient au créancier qui l'invoque ; qu'en déduisant la complicité de fraude de l'absence de production, par madame Y...épouse B..., de preuves des éléments qu'elle avançait pour justifier l'opération litigieuse, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve de la complicité de fraude et a ainsi violé l'article 1315 du code civil ;

Alors que, encore, la reconnaissance de la fraude paulienne ne rend l'acte frauduleux inopposable au demandeur que dans la mesure des droits de créance dont celui-ci se prévaut au soutien de son action ; qu'il résultait des propres constatations de l'arrêt que les créances dont se prévalait le curateur à l'abandon des biens concernaient des créances pour un montant total de 2 816 571, 40 francs là où le passif de la succession s'élevait à la somme de près de cinq millions d'euros ; qu'en déclarant inopposable au curateur à l'abandon de biens, et donc à l'ensemble des créanciers héréditaires, un acte passé en fraude des droits d'une partie seulement de ces derniers, la cour d'appel a violé l'article 1167 du code civil ;

Alors que, enfin, l'action paulienne ne tend qu'à l'inopposabilité de l'acte commis en fraude des droits des créanciers ; qu'en ordonnant la radiation de l'hypothèque conventionnelle constituée en garantie de l'engagement de caution prétendument passé en fraude, la cour d'appel a violé l'article 1167 du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir évoqué la partie du litige non jugée en première instance, ordonné la licitation de l'immeuble situé à Valailles (Eure) sur une mise à prix de 100 000 euros et déclaré madame Y...épouse B...redevable d'une indemnité mensuelle d'un montant de 550 euros pour l'occupation du bien à compter du 25 novembre 1994 ;

Aux motifs que le rapport d'expertise ayant été déposé le 16 juillet 2007, Me D... es qualités demande à la cour d'user de son pouvoir d'évocation ; que madame B..., qui a signifié des conclusions identiques en 2006, 2008 et 2010, a conclu au fond sans prendre parti sur ce point ; que la cour, qui estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive, étant rappelé que le jugement déféré a été rendu le 12 décembre 2002, décide d'évoquer les points non jugés ; que monsieur A..., expert, a indiqué que, compte tenu des caractéristiques générales du bien de Valailles, aucun partage en nature n'était envisageable ; qu'il résulte en effet du rapport d'expertise que le bien n'est pas commodément partageable en nature ; que, si dans ses conclusions, madame B...a offert " d'acquérir, par compensation avec les créances dont elle dispose sur la moitié indivise qui était la propriété de Jean X..., ladite moitié indivise à un prix à déterminer par l'expert ", sa proposition n'a pas été suivie d'effet ; qu'il y a donc lieu d'ordonner la licitation selon les modalités prévues au dispositif ; qu'en particulier, si l'expert a proposé de fixer la mise à prix à 90 000 euros, il y a lieu, eu égard à l'évolution du marché immobilier, de la fixer à 100 000 euros ; qu'il est donc inutile de fixer la valeur vénale du bien ; que, contrairement aux termes de sa mission, l'expert n'a pas émis un avis sur la valeur locative du bien ; qu'eu égard aux caractéristiques du bien figurant sur le rapport, il y a lieu de fixer à 600 euros la valeur locative et à 550 euros le montant de l'indemnité due par madame B...envers l'indivision pour l'occupation du bien à compter du 25 novembre 1994, avec indexation annuelle sur l'indice de référence des loyers ;

Alors que, d'une part, la cour ne peut donner une solution définitive à la partie d'un litige ayant fait l'objet d'une mesure d'instruction ordonnée par le tribunal qu'autant qu'elle est saisie du chef du jugement qui a prescrit cette mesure ; qu'il résulte en l'espèce des écritures de l'appelante que cette dernière sollicitait la confirmation du chef du jugement en ce qu'il avait désigné maître A...en qualité d'expert aux fins de déterminer la valeur de l'achat de la moitié indivise de l'immeuble et le montant de l'indemnité d'occupation de ce bien ; qu'en statuant de manière définitive sur la demande de licitation de l'immeuble et sur la demande de versement de l'indemnisation d'occupation sur lesquelles le tribunal avait, avant dire droit, ordonné cette expertise, la cour d'appel a violé l'article 568 du code de procédure civile ;

Alors que, d'autre part, la cour d'appel doit, lorsqu'elle entend faire usage de son pouvoir d'évocation, mettre les parties en mesure de conclure sur les points qu'elle se propose d'évoquer ; qu'il n'apparaît, ni des mentions de l'arrêt, ni des pièces de la procédure que l'appelante, qui n'avait pas conclu sur la partie du litige relative à la licitation de l'immeuble et à l'indemnité d'occupation, ait été mise en mesure de le faire ; qu'en statuant ainsi sans avoir mis l'appelante en mesure de conclure au fond sur la partie du litige sur laquelle elle exerçait son pouvoir d'évocation, la cour d'appel a violé les articles 16 et 568 du code de procédure civile.



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Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 09/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.