par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. soc., 22 octobre 2015, 14-11801
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Cour de cassation, chambre sociale
22 octobre 2015, 14-11.801

Cette décision est visée dans la définition :
Licenciement




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., engagé par l'association Accueil aux personnes âgées, le 20 décembre 2010, en qualité de directeur d'établissement, a été licencié pour faute lourde par lettre du 11 janvier 2011 ;

Sur le moyen unique ci-après annexé, pris en ses première, cinquième et deuxième branches, cette dernière en tant qu'elle vise la faute grave :

Attendu que sous le couvert de griefs non fondés d'inversion de la charge de la preuve, de manque de base légale et de défaut de motifs, le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation souveraine par la cour d'appel, qui a motivé sa décision et caractérisé une faute grave du salarié, des éléments de preuve au vu desquels elle a estimé que l'employeur, après avoir été alerté sur les faits commis au cours de l'année 2010, en avait eu une exacte connaissance le 13 décembre 2010, à la suite de l'audit qu'il avait sollicité ;

Mais sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche, en tant qu'elle vise la faute lourde :

Vu l'article L. 3141-26 du code du travail ;

Attendu que pour décider que le licenciement repose sur une faute lourde et limiter la condamnation de l'employeur à payer au salarié une certaine somme à titre d'indemnité de congés payés, l'arrêt, après avoir constaté que celui-ci s'est fait octroyer une augmentation de sa rémunération de sujétion spéciale et de son coefficient ainsi qu'une prime exceptionnelle de 3 000 euros, qu'il s'est accordé des acomptes sur salaires de 15 000 euros sans prévoir les modalités de remboursement, qu'il a fait bénéficier d'avantages anormaux deux salariés, dont sa soeur qu'il avait engagée, retient que de telles dérives financières tant en sa faveur qu'au profit de proches, qui ont préjudicié gravement à l'association sur le plan financier, et l'obtention a posteriori de la garantie du président les 10 et 29 novembre 2010 alors que l'alerte écrite de l'expert-comptable est du 22 novembre 2010, caractérisent une intention de nuire du salarié ;

Attendu, cependant, que la faute lourde est caractérisée par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise ;

Qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans caractériser la volonté de nuire du salarié, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le licenciement repose sur une faute lourde et en ce qu'il limite la condamnation de l'employeur au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés, l'arrêt rendu le 5 décembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;

Condamne l'association aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne l'association Accueil aux personnes âgées à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux octobre deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. X....

Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR dit que le licenciement de Monsieur X... reposait sur une faute lourde et de l'AVOIR débouté de l'ensemble de ses demandes, à l'exception de ses congés payés ;

AUX MOTIFS QUE l'employeur qui se prévaut d'une faute lourde doit prouver l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre de licenciement et doit démontrer que ces faits ont été commis dans l'intention de nuire ; dans la mesure où l'employeur a procédé à un licenciement pour faute disciplinaire, il appartient au juge d'apprécier, d'une part si la faute est caractérisée, et, d'autre part si elle est suffisante pour motiver un licenciement ; la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige énonce les griefs suivants : - s'être vers en juillet 2009, en septembre 2009, en novembre 2009, en janvier 2010, en mars 2010, en juin 2010 des compléments de rémunération de 1 000 euros,2 500 euros, 3 000 euros, 1 500 euros, 2 000 euros et 5 000 euros ; - avoir tenté de camoufler ces pratiques sous couvert d'acomptes ou de prêts remboursables mais non remboursés en totalité ; - avoir obtenu le 17 août 2009 un avenant lui octroyant un complément de 60 points de sujétion spéciale ; - avoir obtenu le 5 mai 2010 un avenant accroissant son coefficient de 792 à 977, soit une augmentation de la rémunération de 23% ; - avoir obtenu le 15 mars 2010 une prime de 3 000 euros ; - avoir accordé en septembre 2009 à monsieur Y... un avenant élevant son coefficient de 547 à 590 et lui attribuant le statut d'adjoint de direction ; - avoir accordé le 5 mai 2010 à monsieur Y... un avenant faisant passer son coefficient à 712, augmentant sa rémunération de 30% et lui attribuant une indemnité contractuelle de départ de 50 000 euros quel que soit le motif du départ ; - avoir, le 3 mai 2010, embauché sa soeur en qualité de cadre infirmier et lui avoir accordé un coefficient de 577+90+11 et non le coefficient conventionnel de 537+11 et une indemnité contractuelle de départ de 50 000 euros quel que soit le motif de départ ; - avoir fait passer les modifications sur le budget prévisionnel de 2010 sans faire de commentaire ; - avoir fait valider les irrégularités le 10 novembre 2010 en abusant de la faiblesse du président. L'article L 1332-4 du code du travail dispose qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ; l'employeur est autorisé à prendre en considération des faits plus anciens si le comportement fautif du salarié a perduré. L'employeur a initié la procédure de licenciement le 18 décembre 2010 par la convocation à l'entretien préalable ; les comptes de l'année 2009 ont été présentés par l'expert comptable au conseil d'administration de l'association lors de sa réunion du 8 avril 2010 ; dès lors, l'employeur avait connaissance le 8 avril 2010 des règlements opérés en faveur de Pierre-Laurent X... en juillet, septembre et novembre 2009, de l'augmentation salariale liée à l'attribution de points supplémentaires de sujétion spéciale accordée à Pierre-Laurent X... en août 2009, de l'augmentation significative du salaire de Frédéric Y... intervenue en septembre 2009 et de l'avance sur salaire ayant bénéficié à Frédéric Y... en novembre 2009. Par lettre du 22 novembre 2010, l'expert comptable de l'association a alerté celle-ci sur les sommes versées à Pierre-Laurent X... et à Frédéric Y... et apparaissant sur les comptes en qualité d'acomptes sur salaires alors que les modalités de remboursement devaient les qualifier d'avances ; l'association a fait diligenter un audit à son expert-comptable ; les résultats ont été rendus le 13 décembre 2010. C'est par l'alerte et l'audit de son expert-comptable que l'association a eu connaissance des faits commis au cours de l'année 2010 et les faits commis en 2009 et en 2010 procèdent du même comportement. L'Association Accueil et Confort Pour Personnes Agées ne peut se voir opposer la prescription des griefs qu'elle a imputé à son salarié au soutien du licenciement. Le contrat de travail du 16 mars 2009 attribuait à Pierre-Laurent X... le coefficient 792 et une sujétion spéciale de 30 points de la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951 ; par avenant du 17 août 2009, signé par le président de l'association, Pierre-Laurent X... a vu sa rémunération de sujétion spéciale passer à 90 points, soit une augmentation de 60 points ; par avenant du 5 mai 2010, signé par le président de l'association, Pierre-Laurent X... a vu son coefficient passer à 977 points, soit une augmentation de 185 points. Le président de l'association a octroyé à Pierre-Laurent X... une prime exceptionnelle de 3 000 euros en mars 2010. Pierre-Laurent X... était placé sous la responsabilité et sous l'autorité du conseil d'administration. Il avait reçu délégation de pouvoirs pour embaucher le personnel. Pierre-Laurent X... s'est accordé des acomptes sur salaire à hauteur de 15 000 euros sans organiser les modalités de remboursement ; d'ailleurs début novembre 2010, il encore était redevable de la somme de 8 250 euros envers son employeur. Par avenant du 5 mai 2010 signé par Pierre-Laurent X..., Frédéric Y..., adjoint de direction, a bénéficié d'une augmentation de son Pierre-Laurent X... coefficient de base de 590 points à 712 points et la clause suivante a été stipulée : « l'Association Accueil aux Personnes Agées s'engage à payer une indemnité particulière en cas de départ prématuré de Frédéric Y... pour quelque motif que ce soit (démission, rupture conventionnelle, licenciement...) à Frédéric Y... pour un montant de 50.000 euros (cinquante mille euros). Cette indemnité s'ajoutant à toute autre indemnité légale et/ou conventionnelle ». Par contrat du 3 mai 2010 signé par Pierre-Laurent X..., sa soeur BéatrIce X... a été embauchée par l'association en qualité de cadre infirmier au coefficient de base de 577 points, plus 90 points de complément encadrement et 11 points de prime fonctionnelle ; le contrat insérait la clause suivante : « l'Association Accueil aux Personnes Agées s'engage à payer une indemnité particulière en cas de départ prématuré de Béatrice Z... pour quelque motif que ce soit (démission, rupture conventionnelle, licenciement¿) à Béatrice Z... pour un montant de 50.000 euros (cinquante mille euros). Cette indemnité s'ajoutant à toute autre indemnité légale et/ou conventionnelle ». Le 10 novembre 2010, le président de l'association a autorisé et validé a posteriori les avances sur salaires accordées à Pierre-Laurent X... en 2009 et 2010 d'un montant total de 8 250 euros et a prévu leur remboursement en deux échéances, l'une de 4 250 euros au 30 novembre 2010 et l'autre de 4 000 euros au 31 décembre 2010. Le 29 novembre 2010, le président de l'association a validé la totalité des bulletins de salaire dans leur intégralité sur l'ensemble de l'exercice 2010 ainsi que les contrats de travail de Frédéric Y... et de Béatrice Z.... Pierre-Laurent X... ne conteste nullement sa participation aux faits reprochés ; il s'abrite derrière le président et le conseil d'administration de l'association. Le président de l'association a validé les agissements de Pierre-Laurent X... ; cependant, il ne détient pas à titre personnel la qualité d'employeur et la faute qu'il a pu commettre ne saurait excuser la faute de Pierre-Laurent X.... Aucun élément ne permet d'affirmer que le conseil d'administration a eu connaissance des faits de l'année 2010 avant novembre 2010 et les aurait avalisés ; au contraire, lors de la réunion extraordinaire du 15 décembre 2010, le conseil d'administration a révoqué le président et en a désigné un autre lequel a diligenté la procédure de licenciement. Les faits reprochés à Pierre-Laurent X... sont avérés ; les dérives financières de Pierre-Laurent X... en sa faveur ou au profit de proches préjudiciaient gravement à l'association sur le plan financier ; ces faits et l'obtention par Pierre-Laurent X... d'une garantie du président de l'association les 10 et 29 novembre 2010 alors que l'alerte écrite de l'expert-comptable est en date du 22 novembre 2010 caractérisent l'intention de nuire. En conséquence le licenciement repose sur une faute lourde et Pierre-Laurent X... doit être débouté de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité de licenciement et de dommages et intérêts. Le jugement doit être infirmé.

ALORS TOUT D'ABORD QU'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement des poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ; que, lorsque les faits ont été commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de ce qu'il n'en a eu connaissance que plus tard ; que la cour d'appel qui, pour dire que la procédure de licenciement n'était pas prescrite parce qu'aucun élément ne permet d'affirmer que le conseil d'administration a eu connaissance des faits de l'année 2010 avant novembre 2010 et les aurait avalisés, a inversé la charge de la preuve pesant sur l'employeur et violé les articles 1315 du code civil et L 1332-4 du code du travail ;

ALORS ENSUITE QU'il appartient à l'employeur, qui entend se prévaloir de la faute grave ou lourde d'un salarié, d'en rapporter la preuve et que la faute lourde ne peut être retenue sans que soit établie l'intention de nuire du salarié ; que le seul fait de s'être fait consentir des avances, d'avoir embauché avec des contrats de travail généreux deux salariés et d'avoir fait valider ces opérations par le président de l'association ne caractérise pas l'intention de nuire ; qu'en statuant autrement la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 3141-26 du code du travail ;

ALORS ENCORE QUE les juges du fond sont tenus par les termes du litige ; que l'Association employeur faisait grief au salarié d'avoir abusé de la faiblesse du président pour lui faire valider les faits invoqués à l'appui du licenciement pour faute lourde ; qu'en constatant l'existence de l'intention de nuire sans rechercher si Monsieur X... avait effectivement abusé de la faiblesse supposée du président de l'Association, la cour d'appel n'a pas caractérisé la faute lourde et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 3141-26 du code du travail ;

ALORS AU SURPLUS QUE pour que la faute lourde soit caractérisée, il ne suffit pas qu'un préjudice, même important, soit constaté, l'élément intentionnel devant être établi ; qu'en se fondant, pour dire que la faute lourde de Monsieur X... était caractérisée, sur le fait que ses dérives financières en sa faveur ou au profit de proches préjudiciaient gravement à l'association sur le plan financier, la cour d'appel a violé l'article L 3141-26 du code du travail ;


ALORS ENFIN QUE l'aval donné par le président de l'association, qui représente celle-ci dans tous les actes de la vie civile et est investi de tous les pouvoirs prévus à cet effet, rédigé sur le papier à en tête de celle-ci, engageait l'association vis-à-vis de Monsieur X... qui disposait lui-même de pouvoirs pour embaucher le personnel ; que la cour d'appel qui n'a pas examiné ce moyen déterminant a privé sa décision de motifs et violé l'article 455 du code de procédure civile.



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Cette décision est visée dans la définition :
Licenciement


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 29/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.