par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. com., 5 mai 2009, 08-15313
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Cour de cassation, chambre commerciale
5 mai 2009, 08-15.313

Cette décision est visée dans les définitions suivantes :
Expertise de gestion (sociétés)
Société commerciale




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que MM. X..., Y... et Z... et Mme A... détiennent chacun un quart des parts composant le capital de la société à responsabilité limitée Espace conseil expertise (la société ECE) ; qu'en 2005, M. X..., alors seul gérant de la société ECE, a été condamné par arrêt irrévocable pour des faits d'abus de biens sociaux et pour avoir manqué à ses obligations fiscales ; qu'à la suite de cette condamnation et du redressement fiscal qui s'en est suivi, et l'administration fiscale ayant pris un nantissement sur le fonds social, la société ECE a conclu, d'une part, un contrat de mise à disposition de moyens avec la société Espace conseil expertise II (la société ECE II), constituée entre MM. Y... et Z..., d'autre part, un contrat de mise à disposition de clientèle avec la société Cabinet A..., constituée par Mme A..., enfin un contrat de sous-traitance informatique avec la société civile Z... Y... ; que sur rapport de la gérance, ces conventions ont été approuvées, en l'absence de M. X..., par la collectivité des associés de la société ECE ; que M. X... a saisi le président du tribunal de commerce d'une demande de désignation d'un expert avec pour mission de se prononcer sur l'existence, le bien-fondé et la réalité de ces contrats ainsi que sur leur intérêt pour la société ECE ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article L. 223-37 du code de commerce ;

Attendu que pour rejeter cette demande, l'arrêt retient que par les procès-verbaux des assemblées auxquelles ne s'est pas rendu M. X..., il a été répondu à ses questions, que les causes de la conclusion de ces conventions ont été rappelées ainsi que leurs contreparties financières, que M. X... a eu connaissance de ces conventions et donc des modalités financières concernant les cocontractants et qu'il n'a exercé aucun recours contre ces décisions ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que ni la circonstance qu'un associé se soit abstenu de participer aux assemblées ayant approuvé les opérations de gestion litigieuses ni le fait qu'il n'ait exercé aucun recours contre les décisions d'approbation ne sont de nature à faire obstacle à sa demande d'expertise de gestion, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Sur la deuxième branche du moyen :

Vu l'article L. 223-37 du code de commerce ;

Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, sans rechercher si, comme il le soutenait, M. X... n'avait pu avoir communication de la convention conclue avec la société Cabinet A..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Sur la troisième branche du moyen :

Vu l'article L. 223-37 du code de commerce ;

Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient encore que les conventions litigieuses ont été approuvées par la collectivité des associés ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la circonstance qu'une convention réglementée ait reçu l'approbation de la collectivité des associés, n'est pas de nature à exclure que cet acte de gestion puisse faire l'objet d'une mesure d'expertise, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur la quatrième branche du moyen :

Vu l'article L. 223-37 du code de commerce ;

Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient enfin qu'aucun caractère suspect des conventions passées entre les sociétés n'est établi, l'existence des conventions ayant été expliquée par la nécessité impérative de concilier le maintien du gage pris par l'administration fiscale et la disparition de toute affectio societatis entre les associés ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si à compter de la conclusion des conventions avec des sociétés concurrentes constituées par les dirigeants de la société ECE, le chiffre d'affaires de cette dernière n'avait pas brutalement baissé et si cette circonstance n'était pas de nature à faire présumer l'existence d'irrégularités préjudiciables à l'intérêt de cette société, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la cinquième branche :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 janvier 2008, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne la société Espace conseil expertise aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mai deux mille neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Coutard, Mayer et Munier-Apaire, avocat aux Conseils pour M. X....

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Monsieur X... de sa demande d'expertise de gestion fondée sur l'article L. 223-37 du code de commerce ;

Aux MOTIFS QUE « Christian X... a été condamné le 24 octobre 2003 par le Tribunal correctionnel pour des faits d'abus de biens sociaux commis en 1998 et 1999 et pour avoir, en 1997 et 1998 à une époque où il était seul gérant de la société alors dénommée SARL CM AUDIT, minoré le chiffre d'affaire taxable de la société et de s'être ainsi soustrait à l'établissement et au paiement de la TVA sur les sociétés ; que la Cour d'appel a, par un arrêt du 21 septembre 2005, confirmé ce jugement sur la culpabilité ; qu'en suite de cette condamnation pénale et du redressement fiscal qui s'en est suivi, avec la prise par l'administration fiscale d'un nantissement sur le fonds d'ECE et de la dissension existant entre les associés, la SARL ECE a signé :-15 janvier 2004 avec la société ESPACE CONSEIL EXPERTISE II (créée par Philippe Z... et Patrick Y...) un contrat de mise à disposition de moyens après qu'ait été rappelé en préambule de cette convention : * « en raison notamment de la condamnation pénale en première instance de Monsieur Christian X... pour abus de confiance ou de crédit de la SARL ECE, et de la volonté, matérialisée par un contrat de location de clientèle, de Madame A... d'exercer de manière indépendante, il ne parait plus envisageable de continuer à développer cette société en raison de la disparition de l'affectio societatis, base indispensable au contrat de société au sens de l'article 1832 du code civil », * « la nécessité de conserver le gage pris par l'administration sur le fonds d'ECE » ;- le 29 décembre 2003 avec la société « cabinet A... » représentée par Madame A... gérante et associée unique, un contrat de « mise à disposition de clientèle » moyennant une redevance annuelle de 10 800 euros HT ;- un contrat de sous-traitance informatique avec la société civile Z... Y... à compter d'octobre 2004 ; qu'après rédaction de rapports spéciaux de gérance rendus en application de l'article L. 223-19 du code de commerce, les associés d'ECE réunis en assemblée générale les 16 décembre 2004 et 29 novembre 2005 ont approuvé ces rapports, les comptes de l'exercice et ont adopté les conventions passées ; que par les procès-verbaux des assemblées auxquelles ne s'est pas rendu Christian X... il a été répondu à ses questions, les causes de la signature de ces conventions ont été rappelées comme les honoraires perçus par les gérants et les contreparties financières des contrats ; que Christian X... a eu connaissance de ces conventions et donc des modalités financières concernant les cocontractants ; qu'il n'a exercé aucun recours contre ces décisions ; que ne relève pas en conséquence de l'expertise de gestion au sens de l'article L. 223-37, l'examen des conditions du contrat de mise à disposition de clientèle conclu entre la société ECE et le cabinet A... ; qu'il en est de même de la vérification de ces conditions avec les habitudes de la profession d'autant que l'article 12 du contrat de mise à disposition de clientèle précise que le présent contrat sera soumis au conseil supérieur de l'ordre des experts comptables pour avis ; qu'enfin, à ce contrat il est indiqué que la clientèle mise à disposition qui était celle précédemment gérée par Madame A... fait l'objet d'une liste nominative figurant en annexe ; que Christian X... n'a pas réclamé la communication de cette annexe ; que les critères de répartition de la clientèle entre les sociétés susvisées ne constituent pas une opération de gestion au sens de l'article L. 223-37 susceptibles de faire l'objet d'une mission d'expertise de gestion ; que compte tenu de la connaissance des modalités financières de ces conventions par leur lecture, il n'est pas utile de recourir à une expertise pour déterminer si ECE fait payer ou non un loyer à ECE II ; qu'il ressort des assemblées générales produites aux débats que les conventions conclues entre ECE, le cabinet A... et ECE II susvisées ont été autorisées par les actionnaires ; que par ailleurs, en l'absence de toute précision sur les autres opérations concernées passées entre ces sociétés et donc en l'absence d'élément permettant de justifier de leur qualification d'opérations de gestion, il n'y a pas lieu d'ordonner d'expertise de ce chef ; qu'est étranger à l'intérêt social de la SARL ECE la vérification de la cause des récentes immobilisations incorporelles effectuées par ECE II pour 160 000 euros tout comme le point de savoir si l'exploitation d'ECE constitue l'activité principale de Messieurs Y... et Z... ; que le contrôle de l'exécution de ces conventions ne constitue pas une opération de gestion et par voie de conséquence n'est pas justifié le recours à l'expertise pour se prononcer sur l'existence et la réalité de ces contrats, et, pour rechercher si les conventions de prestations informatiques correspondent à une prestation effectuée ; qu'en outre aucun caractère suspect des conventions passées entre ces sociétés n'est établi ; que l'existence de ces conventions a en effet été expliquée par la nécessité impérative de concilier le maintien du gage pris par l'Administration Fiscale et l'absence de tout affectio societatis entre les associés ; que par ailleurs, en l'absence de changement démontré des modalités de rémunération des gérants comme des honoraires de commissariat aux comptes, et, en l'absence en toute hypothèse de stratégie à cet égard pouvant s'analyser en opération de gestion, il n'appartient pas à l'expert de se prononcer sur les modalités de rémunération ; qu'il n'est produit aucun élément venant corroborer l'affirmation de la baisse des honoraires juridiques et par voie de conséquence, l'expertise n'est pas fondée de ce chef ; qu'enfin l'établissement du montant du compte courant de Monsieur X... ne relève pas de l'expertise de gestion ; que l'ordonnance querellée sera confirmée »

ET AUX MOTIFS NON CONTRAIRES QUE « Monsieur Christian X... détient 250 parts sociales composant le capital social de la SARL ESPACE CONSEIL EXPERTISE qui en totalise 1000 ; qu'en application des dispositions de l'article L. 223-37, Monsieur Christian X... a sollicité que soit ordonnée une expertise de gestion au sein de la SARL ESPACE CONSEIL EXPERTISE ; que la demande de Monsieur Christian X... est recevable ; que Monsieur Christian X..., par courrier en date du 16 novembre 2005, demande à la SARL ESPACE CONSEIL EXPERTISE la communication de différents documents et contrats ; que ce courrier vise l'assemblée générale des associés de la SARL ESPACE CONSEIL EXPERTISE à laquelle Monsieur Christian X... a été convoqué pour le 29 novembre 2005 ; que l'assemblée a été régulièrement convoquée et les documents obligatoires établis et communiqués aux associés présents, notamment le rapport spécial concernant les conventions nouvelles et anciennes conclues avec des associés ; que Monsieur Christian X... n'a pas assisté à ladite assemblée générale, que l'article 145 du NCPC exige, pour voir ordonner des mesures d'instruction, qu'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, qu'aucun litige n'est évoqué par le demandeur ; que l'étendue de la mission revient à examiner la gestion de la SARL ESPACE CONSEIL EXPERTISE ; que la jurisprudence indique qu'une expertise de gestion ne peut être appliquée qu'exceptionnellement, que suivant la jurisprudence, il appartient au juge d'apprécier l'opportunité de la demande au regard d'une action qui bouleverse le principe de direction de l'entreprise par un organe de gestion habilité à cet effet, ainsi que celui de l'adoption par l'assemblée générale, décidant à la majorité, des décisions les plus importantes ; qu'il échet de débouter Monsieur Christian X... de toutes ses demandes » ;

ALORS D'UNE PART QUE l'expertise de gestion peut être ordonnée même si tous les moyens d'information légaux et statutaires n'ont pas été utilisés et même si aucune action en responsabilité contre les dirigeants ou en nullité des délibérations sociales n'a pas été exercée ; qu'au cas d'espèce, la Cour d'appel a rejeté la demande d'expertise de gestion, par des motifs inopérants selon lesquels Monsieur X... ne s'était pas rendu aux assemblées générales au cours desquelles les causes de la signature des conventions avaient été rappelées, comme les honoraires perçus par les gérants et les contreparties financières des conventions, et qu'il n'avait exercé aucun recours contre ces décisions ni réclamé l'annexe comportant la liste nominative de la clientèle mise à disposition de Madame A... (arrêt, p. 4, in fine et p. 5, § l et 2) ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article L. 223-37 du code de commerce ;

ALORS DE DEUXIEME PART QUE l'article L. 223-37 du code de commerce, qui organise une information complémentaire, n'impose pas que les associés demandeurs aient ignoré les opérations sur lesquelles ils désirent être renseignés ; qu'au cas présent, en retenant, pour rejeter la demande d'expertise de gestion, que Monsieur X... avait eu connaissance du contenu des conventions objet des opérations de gestion qu'il visait par les procès-verbaux des assemblées auxquelles il ne s'était pas rendu (arrêt, p. 4, in fine, p. 5, § 1 et 4) et qu'elles avaient été autorisées par les actionnaires, qu'en statuant par une telle motivation, impropre à rejeter la demande, quand Monsieur X... avait fait valoir qu'il n'avait pu avoir communication desdits contrats (conclusions, p. 8 in fine et p. 9) et qu'à la suite de la conclusion de ces conventions réglementées conclues avec des structures concurrentes à la société ECE, le chiffre d'affaires de cette dernière avait considérablement chuté, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 223-37 du code de commerce ;

ALORS DE TROISIEME PART QUE le fait que des conventions règlementées décidées par les organes de direction soient ensuite approuvées par la collectivité des associés, et qu'aucun recours ne soit exercé contre ces décisions, n'exclut pas qu'elles puissent faire l'objet d'une expertise de gestion ; qu'en jugeant le contraire en l'espèce (arrêt, p. 5, § 1 et 5), la cour d'appel a violé l'article L 223-37 du Code de commerce ;

ALORS DE QUATRIEME PART QUE, pour apprécier s'il y a lieu à ordonner une expertise de gestion, le juge doit vérifier si une présomption d'irrégularité de l'acte de gestion visé est rapportée par l'associé demandeur, sans se livrer à une appréciation du caractère satisfaisant ou non des explications données par les dirigeants ; qu'en l'espèce, en se bornant à énoncer, pour refuser d'ordonner la désignation d'un expert de gestion, qu'aucun caractère suspect des conventions passées entre les sociétés en cause ne résultait des explications portées au préambule des conventions passées entre les sociétés ECE et ECE II et A... (arrêt, p. 5, alinéa 8), quand il incombait aux juges du fond de rechercher si, à compter de la signature des conventions règlementées avec les sociétés concurrentes constituées par les dirigeants de la société ECE, le chiffre d'affaires de cette dernière n'avait pas brutalement baissé, laissant présumer certaines anomalies de gestion au détriment de cette société, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 223-37 du code de commerce ;

ALORS DE CINQUIEME PART QUE le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'aux termes de ses conclusions récapitulatives d'appel signifiées le 30 novembre 2007, l'exposant faisait valoir, d'une part, que le chiffre d'affaires de la société ECE avait baissé de plus de 34 % depuis que ses associés avaient signés lesdites conventions avec les sociétés tierces qu'ils dirigeaient, et, d'autre part, qu'en additionnant le chiffre d'affaires des sociétés ECE, ECE II et Cabinet A..., l'on obtenait un chiffre d'affaires comparable à celui de la société ECE avant la signature de ces conventions ; qu'il en déduisait que les conventions règlementées litigieuses faisaient présumer que les relations qu'entretenaient les sociétés ECE, ECE II et Cabinet A..., étroitement liées par leurs dirigeants et leurs associés, revêtaient un caractère suspect ou à tout le moins contestable pour les intérêts de la société ECE (conclusions, p. 9) ; que faute d'avoir répondu à ce moyen péremptoire des conclusions de l'exposant, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et violé l'article 455 du code de procédure civile.



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Expertise de gestion (sociétés)
Société commerciale


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 10/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.