par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 24 septembre 2009, 08-10517
Dictionnaire Juridique

site réalisé avec
Baumann Avocats Droit informatique

Cour de cassation, 1ère chambre civile
24 septembre 2009, 08-10.517

Cette décision est visée dans les définitions suivantes :
Chose jugée
Résiliation




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur les trois moyens réunis :

Attendu qu'en 1960 Mme X... a autorisé M. Y... et Mme Y..., ses anciens employés, à demeurer à titre gracieux dans une maison lui appartenant ; que les époux Y... ayant continué à occuper les lieux après le décès de la prêteuse, survenu le 1er août 1962, M. Jean Jacques B..., héritier de celle ci, " leur a donné congé " par une lettre recommandée du 27 juin 2000 pour loger son fils, M. Jean Louis B..., dans l'immeuble en cause ; que par arrêt du 3 septembre 2002, devenu irrévocable, la cour d'appel de Caen a débouté MM. Jean Jacques et Jean Louis B... (les consorts B...) de leurs demandes en infirmant le jugement qui leur avait donné acte de leur besoin pressant et imprévu de reloger M. Jean Louis B... et avait en conséquence ordonné l'expulsion des époux Y... ; que, par acte du 28 janvier 2005, les consorts B... ont assigné M. et Mme Y... en sollicitant leur expulsion ;

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué (Caen, 30 octobre 2007) de les déclarer irrecevables en cette demande alors, selon les moyens :

1° / que s'il incombe désormais au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, le droit au procès équitable exclut que cette fin de non-recevoir soit opposée à une demande fondée sur une nouvelle cause motif pris de ce qu'elle avait déjà été formulée, fût-ce sur une autre cause, dans le cadre d'une précédente procédure, dès lors que la solution ainsi posée a été dégagée postérieurement tant à la décision qui a clos la première procédure qu'à l'introduction de la seconde procédure et qu'en l'état du droit positif existant à l'époque, le demandeur était autorisé à formuler cette demande dans le cadre d'une instance distincte postérieure ; qu'au cas d'espèce, la demande visant à obtenir la fin du commodat et l'expulsion des époux Y... telle que rejetée par l'arrêt du 3 septembre 2002, rendu antérieurement au revirement de jurisprudence du 7 juillet 2006, était fondée sur le besoin pressant et imprévu du prêteur de reprendre le bien, cependant que la demande formulée dans la présente instance était fondée sur le droit de résiliation unilatéral du prêteur et donc sur une cause distincte ; qu'à supposer que les juges du second degré aient entendu lui opposer la fin de non-recevoir tirée de la nécessité de concentrer les moyens invoqués à l'appui d'une demande dès la première procédure telle qu'issue de l'arrêt d'Assemblée plénière du 7 juillet 2006, ils ont violé l'article 6. 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2° / que toute personne a droit au respect de ses biens ; qu'à supposer toujours que les juges du second degré aient entendu opposer la fin de non-recevoir tirée de la nécessité de concentrer les moyens invoqués à l'appui d'une demande dès la première procédure telle qu'issue de l'arrêt d'Assemblée plénière du 7 juillet 2006, cette solution aboutit en l'espèce à priver le prêteur de toute possibilité de reprendre le bien donné en commodat ; que de ce point de vue, l'arrêt a été rendu en violation des articles 544 et 545 du code civil, ensemble l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3° / que, quelle que soit la manière dont l'autorité de chose jugée est entendue, en tout état de cause, elle ne peut faire obstacle à ce que la partie qui a été précédemment déboutée se prévale d'un élément nouveau ; que cet élément nouveau peut résider dans l'édiction d'une règle nouvelle, quand bien même elle résulterait de la jurisprudence ; qu'en l'espèce, à la date à laquelle l'arrêt du 3 septembre 2002 a été rendu, le droit de résiliation unilatéral du prêteur était exclu, même si le prêt était à durée indéterminée ; que depuis un arrêt de la première chambre civile du 3 février 2004, le prêteur peut résilier le prêt à tout moment, dès lors qu'il est à durée indéterminée, peu important que le besoin de l'emprunteur n'ait pas cessé ; qu'à raison de ce fait nouveau, la demande des consorts B... devait être déclarée recevable ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles 480 du code de procédure civile, 1351 du code civil et 6. 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 12 du code de procédure civile et 1184, 1875, 1880 et 1888 du code civil.

4° / qu'une décision de justice rejetant une demande de résiliation judiciaire du contrat ne peut avoir pour effet de priver une partie de son droit de résiliation unilatérale ; qu'au cas d'espèce, les consorts B... se prévalaient d'une résiliation unilatérale par leurs soins du contrat de commodat par le jeu de l'assignation en date du 28 janvier 2005 ; qu'en opposant dans ces conditions, pour juger la demande irrecevable, la chose jugée par l'arrêt du 3 septembre 2002, quand ce dernier s'était borné à rejeter une demande de résiliation judiciaire du commodat, les juges du fond ont violé, par fausse application, les articles 1351 du code civil et 480 du code de procédure civile et, par refus d'application, les articles 1184 et 1875 du code civil ;

Mais attendu qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle ci ; que l'arrêt attaqué, constatant que les consorts B... avaient été déboutés de leur demande d'expulsion des époux Y... par arrêt du 3 septembre 2002, n'a pu qu'en déduire, en l'absence de faits nouveaux venus modifier la situation ainsi antérieurement reconnue en justice, et sans encourir les griefs de violation de l'article 6 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 544, 545 du code civil et de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention précitée, qu'ils étaient irrecevables en leurs prétentions tendant aux mêmes fins puisqu'ils entendaient à nouveau obtenir, en se fondant en particulier sur le droit de résiliation unilatérale reconnu au prêteur lorsque le prêt est à durée indéterminée, la résiliation du contrat liant les parties et l'expulsion des époux Y... ; que les moyens ne sont fondés en aucun de leurs griefs ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. B... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre septembre deux mille neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par Me Foussard, avocat aux Conseils pour M. B....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

L'arrêt infirmatif attaqué encourt la censure ;

EN CE QU'il a déclaré irrecevable la demande de MM. Jean-Jacques et Jean-Louis B... tendant à faire constater la résiliation du prêt à usage, ensemble rejeté leur demande tendant à obtenir l'expulsion de M. et Mme Y... ;

AUX MOTIFS QU'« il est constant que les époux Y... bénéficient d'un contrat de commodat consenti par Mme X..., auteur des consorts B..., depuis 1960 ; que par arrêt du 3 septembre 2002, quels que soient les motifs pour lesquels cette décision a été prise, la présente Cour a débouté les consorts B... de leur demande en expulsion des époux Y..., tant sur le moyen de la précarité de leur titre que sur celui du projet de loger d'un d'entre eux dans cette maison ; que les époux Y... font valoir dans le corps de leurs conclusions : « le fait est qu'ils ont été déboutés et ne peuvent pas venir présenter aujourd'hui à nouveau les mêmes demandes » ; que l'expert a relevé quelques défauts d'entretien à l'encontre des époux Y... sur les embellissements des pièces et les boiseries ; qu'il s'agit de défauts anciens, par exemple « l'état des menuiseries met en évidence que les opérations d'entretien n'ont pas été nombreuses depuis 1956 » ; que l'entretien était d'ailleurs difficile à compter de 1999, en l'état des dégâts occasionnés par la tempête à la toiture ; qu'en tout état de cause, ce défaut ne présente aucune nouveauté depuis l'arrêt de 2002 ; qu'ainsi, l'expertise diligentée ne permet pas de retenir un défaut d'entretien justifiant une résiliation du commodat postérieurement à l'arrêt du 3 septembre 2002 ; qu'en conséquence, l'action en expulsion des consorts B... est irrecevable (…) » (arrêt, p. 3) ;

ALORS QUE, premièrement, s'il incombe désormais au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, le droit au procès équitable exclut que cette fin de non-recevoir soit opposée à une demande fondée sur une nouvelle cause motif pris de ce qu'elle avait déjà été formulée, fût-ce sur une autre cause, dans le cadre d'une précédente procédure, dès lors que la solution ainsi posée a été dégagée postérieurement tant à la décision qui a clos la première procédure qu'à l'introduction de la seconde procédure et qu'en l'état du droit positif existant à l'époque, le demandeur était autorisé à formuler cette demande dans le cadre d'une instance distincte postérieure ; qu'au cas d'espèce, la demande visant à obtenir la fin du commodat et l'expulsion des époux Y... telle que rejetée par l'arrêt du 3 septembre 2002, rendu antérieurement au revirement de jurisprudence du 7 juillet 2006, était fondée sur le besoin pressant et imprévu du prêteur de reprendre le bien, cependant que la demande formulée dans la présente instance était fondée sur le droit de résiliation unilatéral du prêteur et donc sur une cause distincte ; qu'à supposer que les juges du second degré aient entendu lui opposer la fin de non-recevoir tirée de la nécessité de concentrer les moyens invoqués à l'appui d'une demande dès la première procédure telle qu'issue de l'arrêt d'Assemblée plénière du 7 juillet 2006, ils ont violé l'article 6. 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Et ALORS QUE, deuxièmement et de la même manière, toute personne a droit au respect de ses biens ; qu'à supposer toujours que les juges du second degré aient entendu opposer la fin de non-recevoir tirée de la nécessité de concentrer les moyens invoqués à l'appui d'une demande dès la première procédure telle qu'issue de l'arrêt d'Assemblée plénière du 7 juillet 2006, cette solution aboutit en l'espèce à priver le prêteur de toute possibilité de reprendre le bien donné en commodat ; que de ce point de vue, l'arrêt a été rendu en violation des articles 544 et 545 du Code civil, ensemble l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

L'arrêt infirmatif attaqué encourt la censure ;

EN CE QU'il a déclaré irrecevable la demande de MM. Jean-Jacques et Jean-Louis B... tendant à faire constater la résiliation du prêt à usage, ensemble rejeté leur demande tendant à obtenir l'expulsion de M. et Mme Y... ;

AUX MOTIFS QU'« il est constant que les époux Y... bénéficient d'un contrat de commodat consenti par Mme X..., auteur des consorts B..., depuis 1960 ; que par arrêt du 3 septembre 2002, quels que soient les motifs pour lesquels cette décision a été prise, la présente Cour a débouté les consorts B... de leur demande en expulsion des époux Y..., tant sur le moyen de la précarité de leur titre que sur celui du projet de loger d'un d'entre eux dans cette maison ; que les époux Y... font valoir dans le corps de leurs conclusions : « le fait est qu'ils ont été déboutés et ne peuvent pas venir présenter aujourd'hui à nouveau les mêmes demandes » ; que l'expert a relevé quelques défauts d'entretien à l'encontre des époux Y... sur les embellissements des pièces et les boiseries ; qu'il s'agit de défauts anciens, par exemple « l'état des menuiseries met en évidence que les opérations d'entretien n'ont pas été nombreuses depuis 1956 » ; que l'entretien était d'ailleurs difficile à compter de 1999, en l'état des dégâts occasionnés par la tempête à la toiture ; qu'en tout état de cause, ce défaut ne présente aucune nouveauté depuis l'arrêt de 2002 ; qu'ainsi, l'expertise diligentée ne permet pas de retenir un défaut d'entretien justifiant une résiliation du commodat postérieurement à l'arrêt du 3 septembre 2002 ; qu'en conséquence, l'action en expulsion des consorts B... est irrecevable (…) » (arrêt, p. 3) ;

ALORS QUE quelle que soit la manière dont l'autorité de chose jugée est entendue, en tout état de cause, elle ne peut faire obstacle à ce que la partie qui a été précédemment déboutée se prévale d'un élément nouveau ; que cet élément nouveau peut résider dans l'édiction d'une règle nouvelle, quand bien même elle résulterait de la jurisprudence ; qu'en l'espèce, à la date à laquelle l'arrêt du 3 septembre 2002 a été rendu, le droit de résiliation unilatéral du prêteur était exclu, même si le prêt était à durée indéterminée ; que depuis un arrêt de la première Chambre civile du 3 février 2004 (Bull. I, n° 34, p. 28), le prêteur peut résilier le prêt à tout moment, dès lors qu'il est à durée indéterminée, peu important que le besoin de l'emprunteur n'ait pas cessé ; qu'à raison de ce fait nouveau, la demande des consorts B... devait être déclarée recevable ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles 480 du Code de procédure civile, 1351 du Code civil et 6. 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 12 du Code de procédure civile et 1184, 1875, 1880 et 1888 du Code civil.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

L'arrêt infirmatif attaqué encourt la censure ;

EN CE QU'il a déclaré irrecevable la demande de MM. Jean-Jacques et Jean-Louis B... tendant à faire constater la résiliation du prêt à usage, ensemble rejeté leur demande tendant à obtenir l'expulsion de M. et Mme Y... ;

AUX MOTIFS QU'« il est constant que les époux Y... bénéficient d'un contrat de commodat consenti par Mme X..., auteur des consorts B..., depuis 1960 ; que par arrêt du 3 septembre 2002, quels que soient les motifs pour lesquels cette décision a été prise, la présente Cour a débouté les consorts B... de leur demande en expulsion des époux Y..., tant sur le moyen de la précarité de leur titre que sur celui du projet de loger d'un d'entre eux dans cette maison ; que les époux Y... font valoir dans le corps de leurs conclusions : « le fait est qu'ils ont été déboutés et ne peuvent pas venir présenter aujourd'hui à nouveau les mêmes demandes » ; que l'expert a relevé quelques défauts d'entretien à l'encontre des époux Y... sur les embellissements des pièces et les boiseries ; qu'il s'agit de défauts anciens, par exemple « l'état des menuiseries met en évidence que les opérations d'entretien n'ont pas été nombreuses depuis 1956 » ; que l'entretien était d'ailleurs difficile à compter de 1999, en l'état des dégâts occasionnés par la tempête à la toiture ; qu'en tout état de cause, ce défaut ne présente aucune nouveauté depuis l'arrêt de 2002 ; qu'ainsi, l'expertise diligentée ne permet pas de retenir un défaut d'entretien justifiant une résiliation du commodat postérieurement à l'arrêt du 3 septembre 2002 ; qu'en conséquence, l'action en expulsion des consorts B... est irrecevable (…) » (arrêt, p. 3) ;

ALORS QU'une décision de justice rejetant une demande de résiliation judiciaire du contrat ne peut avoir pour effet de priver une partie de son droit de résiliation unilatérale ; qu'au cas d'espèce, les consorts B... se prévalaient d'une résiliation unilatérale par leurs soins du contrat de commodat par le jeu de l'assignation en date du 28 janvier 2005 (conclusions du 30 janvier 2007, p. 7, alinéa 5) ; qu'en opposant dans ces conditions, pour juger la demande irrecevable, la chose jugée par l'arrêt du 3 septembre 2002, quand ce dernier s'était borné à rejeter une demande de résiliation judiciaire du commodat, les juges du fond ont violé, par fausse application, les articles 1351 du Code civil et 480 du Code de procédure civile et, par refus d'application, les articles 1184 et 1875 du Code civil.



site réalisé avec
Baumann Avocats Droit informatique

Cette décision est visée dans les définitions suivantes :
Chose jugée
Résiliation


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 11/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.