par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 30 septembre 2009, 08-17587
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
30 septembre 2009, 08-17.587

Cette décision est visée dans la définition :
Privilège de juridiction




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en ses cinq branches :

Attendu que par un contrat en date du 27 juin 1998, la société de droit saoudien Saudi Basic Industries Corporation, (ci après SABIC), a confié à la société Thinet International (la société Thinet), la construction de son nouveau siège social à Riyad ; que le contrat, rédigé en langue arabe, comportait une clause attributive de juridiction au profit d'une juridiction saoudienne ; qu'à la suite de difficultés d'exécution, la société Thinet a saisi, le 1er août 2001, le "tribunal des doléances" désigné par la clause ; que par jugement du 28 février 2005, la formation d'appel de ce tribunal, a annulé le jugement de première instance et s'est déclarée incompétente, le litige étant de nature civile et non commerciale ; que la société Thinet a alors saisi, sur le fondement de l'article 14 du code civil, le tribunal de commerce de Paris qui s'est déclaré compétent ;

Attendu que la SABIC fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 28 mai 2008) d'avoir déclaré non fondé le contredit et renvoyé le litige devant le tribunal de commerce de Paris, alors, selon le moyen :

1°/ que la règle de compétence de l'article 14 du code civil n'est pas impérative pour le juge qui peut décliner sa compétence en l'absence de rattachement significatif du litige avec la France ; que selon les constatations de l'arrêt attaqué, le litige portait sur les difficultés d'exécution d'un contrat de construction immobilière passé en Arabie Saoudite entre un maître d'ouvrage saoudien et une entreprise ayant un établissement dans ce pays, soumis à la loi saoudienne et intégralement exécuté dans ce pays ; qu'il s'en déduisait que le litige ne présentait aucun rattachement significatif avec la France ; qu'en retenant néanmoins la compétence de la juridiction française, la cour d'appel a violé l'article 14 du code civil ;

2°/ qu'une société ne peut se prévaloir de son siège statutaire en France pour revendiquer la compétence d'une juridiction française en application de l'article 14 du code civil si ce siège est fictif et non réel à la date de l'assignation ; que la réalité du siège statutaire n'est caractérisée ni par les procès verbaux des assemblées générales, ni par les rapports du commissaire aux comptes, ni par une adresse postale, mais par une activité administrative, commerciale ou économique effective ; qu'en statuant par les motifs précités, qui ne caractérisent pas la réalité du siège statutaire au jour de l'assignation et sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société THINET disposait d'un local et d'un représentant à l'adresse indiquée comme son siège statutaire, où l'huissier significateur du jugement avait dressé un procès verbal de perquisition dans lequel le gardien de l'immeuble déclarait que la société "n'a plus d'établissement à cette adresse depuis 4, 5 ans" et indiquait faire suivre le courrier, où la notification postale du contredit de compétence avait été présentée mais retournée avec la mention "NPAI" (n'habite pas à l'adresse indiquée), où la signification du même contredit n'avait pu ensuite être remise qu'à un avocat se déclarant "responsable" de la société Thinet, et où enfin un huissier chargé de délivrer une sommation avait été accueilli par le gardien de l'immeuble déclarant "qu'aucun animateur ni aucun salarié de Thinet n'est présent", la cour d'appel n'a pas donné de base légale au regard des articles 14 et 1837, alinéa 2 du code civil ;

3°/ que la licéité d'une clause attributive de juridiction doit être appréciée par application de la loi du for, c'est à dire en l'espèce de la loi française puisque le juge français avait été saisi par Thinet et sa compétence contestée par la société SABIC qui se prévalait de la clause désignant une juridiction saoudienne ; qu'en droit international privé français, les clauses prorogeant la compétence internationale sont en principe licites, lorsqu'il s'agit d'un litige international et que la clause ne fait pas échec à la compétence territoriale impérative d'une juridiction française ; que lorsque la clause attributive est privée d'efficacité par le refus de la juridiction désignée de se reconnaître compétente, la juridiction exclue ne peut se déclarer compétente que sur le fondement d'une règle de droit commun de compétence internationale, notamment en cas de déni de justice, et non sur celui de la nationalité de la demanderesse ; qu'en refusant de donner effet à la clause par le motif tiré de son illicéité prononcée par la juridiction saoudienne désignée, la cour d'appel a violé les principes régissant la compétence internationale des tribunaux français ;

4°/ que la détermination du sens et de la portée d'une clause attributive de juridiction relève, comme l'interprétation du contrat lui même, de la loi choisie par les parties ; qu'il n'était pas contesté en l'espèce que le contrat était soumis à la loi saoudienne ; qu'en refusant de rechercher, comme il lui était demandé, si selon le droit saoudien applicable, une erreur des parties sur l'identification du tribunal compétent ratione materiae était sans incidence sur la validité d'une clause attributive de compétence qui devait produire effet comme exprimant la volonté des parties de voir leurs différends réglés par des juridictions saoudiennes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 3 et 1134 du code civil ;

5°/ que la saisine d'un juge étranger par un français vaut renonciation à se prévaloir de l'article 14 du code civil pour saisir une juridiction française ; que cette renonciation est irrévocable ; qu'au cas où le juge étranger préalablement saisi se déclare incompétent, le français ne peut saisir un tribunal français que sur le fondement d'une règle de compétence internationale de droit commun, tel par exemple le déni de justice ; qu'en particulier le français qui a saisi une juridiction étrangère ne peut invoquer sa négligence à poursuivre l'instance devant celle ci pour redonner compétence à une juridiction française ; qu'en l'espèce, l'exposante justifiait que la société Thinet avait déposé une assignation au greffe du tribunal général de Riyad le 19 octobre 2005, avant d'assigner devant le tribunal de commerce de Paris le 26 décembre 2005, et que si cette procédure n'avait pas eu de suite, c'était du fait de la société Thinet qui n'avait pas signifié l'assignation ni demandé la mise au rôle, conservant la possibilité de le faire à tout moment ; qu'en décidant que la renonciation de la société Thinet à se prévaloir de l'article 14 n'était pas établie dès lors qu'il n'était pas démontré qu'une procédure avait été effectivement intentée utilement devant le tribunal général de Riyad, la cour d'appel a violé l'article 14 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant constaté, d'une part, qu'il ressortait des pièces produites que la société Thinet était une société française ayant son siège social et statutaire à Paris, d'autre part, que la juridiction saoudienne désignée par la clause attributive de juridiction s'étaient déclarée incompétente pour régler le litige, et enfin, que la preuve n'était pas rapportée que les juridictions de droit commun étrangères avaient été saisies par la société Thinet, la cour d'appel a considéré à bon droit que cette dernière pouvait saisir les tribunaux français sur le fondement de l'article 14 du code civil ; que le moyen, nouveau et mélangé de fait en sa première branche, et partant irrecevable, ne peut être accueilli dans ses autres branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Saudi Basic Industries Corporation aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente septembre deux mille neuf.


MOYEN ANNEXE au présent arrêt.



Moyen produit par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils, pour la société Saudi Basic Industries Corporation.



Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré non fondé le contredit formé par la société SAUDI BASIC INDUSTRIES CORPORATION et renvoyé le litige devant le Tribunal de commerce de PARIS,

Aux motifs que « la société SAUDI entend se prévaloir d'une clause attributive de compétence insérée dans le contrat (art. 64) dont l'exécution est litigieuse et rejette toute faculté pour la SA THINET de se prévaloir, dans leurs rapports, compte tenu du caractère fictif de son siège en France, des dispositions de l'article 14 du Code civil ;

qu'il ressort de l'examen de l'extrait K bis de la SA THINET INTERNATIONAL créée en 1987, de celui de ses statuts ainsi que de ceux des procès verbaux de ses assemblées générales des 10 juin 2005, 6 mars 2006, 7 mars 2006, 10 septembre 2007, et 26 octobre 2007 que si cette société s'est interdit une activité commerciale en France, elle y a disposé d'un siège administratif, 25 place de la Madeleine à PARIS, dès 1998 où son commissaire aux comptes a déposé ses rapports afférents aux exercices 2000, 2001, 2002, 2003, 2004 étant précisé que la société tient, depuis et à PARIS, une comptabilité consolidée des résultats de ses filiales ;

que l'assignation devant le Tribunal de commerce de PARIS a été délivrée le 26 décembre 2005 ; qu'il ne peut être valablement soutenu, comme le fait la contredisante, que la SA THINET INTERNATIONAL n'y disposait plus de locaux et n'y employait plus de personnel depuis plusieurs années étant précisé qu'elle est spécialisée dans le domaine de la construction à l'étranger mais que les correspondances ayant trait à la gestion de la société y sont adressées en France et qu'elle a été considérée, par la société SAUDI, comme une société française, tenue d'ouvrir un établissement secondaire sur place, à caractère seulement provisoire et devant être radié à la fin du chantier (autorisation d'investissement temporaire et radiation de l'établissement le 26 septembre 2006, pièce n° 41 communiquée par la SA THINET INTERNATIONAL) et ce alors que son siège social et statutaire reste situé 25 place de la Madeleine à PARIS ;

que pour ces motifs, l'intégralité de l'argumentation développée par la société SAUDI au titre du caractère fictif, paralysant le jeu des dispositions de l'article 14 du Code civil, du siège social statutaire de la SA THINET INTERNATIONAL en France, devient inopérante ;

que l'article 64 du contrat a retenu la compétence exclusive du « GRIEVANCE BUREAU », soit du Tribunal des Doléances pour connaître des litiges auxquels son exécution pourrait donner naissance ;

Qu'ensuite de sa saisine, cette juridiction a été, sur recours exercé contre sa décision, déclarée incompétente pour connaître du litige et la décision ainsi rendue sur celui-ci, annulée mais ce sans renvoi devant une juridiction apte à en connaître étant souligné que la clause attributive de compétence organisée par l'article 64 du contrat a été qualifiée d'illicite ;

que la clause attributive de compétence ainsi établie entre les parties ne peut plus avoir d'application ni d'effet puisqu'elle a été invalidée, invalidation ne permettant plus la désignation, par celles-ci, d'une juridiction conventionnellement retenue entre elles, pour la solution des litiges auxquels le contrat pourrait donner naissance ;

que la rédaction de cette clause est claire ; qu'elle n'emporte désignation que du « GRIEVANCE BUREAU » et de lui seul ; que cette stipulation ne constitue pas une erreur commise entre les parties puisqu'elle était déjà retenue par les modèles de contrats échangés entre elles depuis 1998 de sorte que son contenu et la juridiction qu'elle désigne ne peuvent plus être modifiés, étant précisé que la société SAUDI n'a, elle-même, jamais décliné la compétence du « GRIEVANCE BUREAU » à partir d'une erreur qu'elle aurait commise en la retenant ;

que la référence à une loi étrangère comme loi du contrat reste, à elle seule, sans effet constitutif d'une renonciation non équivoque à l'application du privilège de juridiction institué par l'article 14 du Code civil, ni d'une attribution générale de compétence aux juridictions saoudiennes, même non conventionnellement désignées, pour connaître de tout litige entre les parties ;

que si la société SAUDI invoque encore une renonciation par la SA THINET à se prévaloir des dispositions de l'article 14 du Code civil, motif pris de ce qu'elle aurait porté son action devant le Tribunal Général de RIYAD avant même sa saisine du Tribunal de commerce, force reste de constater qu'aucun acte de procédure référencé par le récépissé de dépôt devant le Tribunal Général de RIYAD n'y a été, selon attestation délivrée par le juge de ce tribunal, déposé (acte de procédure, formalités, requêtes, mesures, etc…) auprès du greffier en charge de cette réception de sorte que rien ne permet de démontrer qu'une procédure, procédure pour laquelle il est reconnu par la société SAUDI qu'aucune assignation n'a été délivrée, a été effectivement intentée utilement devant le Tribunal Général de RIYAD, juridiction qui, elle, retient, sur ce point, qu'elle n'est pas saisie ;

que pour ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, la SA THINET INTERNATIONAL est, par l'effet de l'illicéité prononcée de la clause attributive de compétence, fondée à se prévaloir dans ses rapports avec la société SAUDI, des dispositions de l'article 14 du Code civil permettant de retenir la compétence du Tribunal de commerce ce PARIS et que l'intégralité de l'argumentation développée par la SA SAUDI au soutien du contredit devient inopérante ;

Alors, de première part, que la règle de compétence de l'article 14 du Code civil n'est pas impérative pour le juge qui peut décliner sa compétence en l'absence de rattachement significatif du litige avec la France ; que selon les constatations de l'arrêt attaqué, le litige portait sur les difficultés d'exécution d'un contrat de construction immobilière passé en Arabie saoudite entre un maître d'ouvrage saoudien et une entreprise ayant un établissement dans ce pays, soumis à la loi saoudienne et intégralement exécuté dans ce pays ; qu'il s'en déduisait que le litige ne présentait aucun rattachement significatif avec la France ; qu'en retenant néanmoins la compétence de la juridiction française, la Cour d'appel a violé l'article 14 du Code civil ;

Alors, de deuxième part, qu'une société ne peut se prévaloir de son siège statutaire en France pour revendiquer la compétence d'une juridiction française en application de l'article 14 du Code civil si ce siège est fictif et non réel à la date de l'assignation ; que la réalité du siège statutaire n'est caractérisée ni par les procès verbaux des assemblées générales, ni par les rapports du commissaire aux comptes, ni par une adresse postale, mais par une activité administrative, commerciale ou économique effective ; qu'en statuant par les motifs précités, qui ne caractérisent pas la réalité du siège statutaire au jour de l'assignation et sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société THINET disposait d'un local et d'un représentant à l'adresse indiquée comme son siège statutaire, où l'huissier significateur du jugement avait dressé un procès-verbal de perquisition dans lequel le gardien de l'immeuble déclarait que la société « n'a plus d'établissement à cette adresse depuis 4, 5 ans » et indiquait faire suivre le courrier, où la notification postale du contredit de compétence avait été présentée mais retournée avec la mention « NPAI » (n'habite pas à l'adresse indiquée), où la signification du même contredit n'avait pu ensuite être remise qu'à un avocat se déclarant « responsable » de la société THINET, et où enfin un huissier chargé de délivrer une sommation avait été accueilli par le gardien de l'immeuble déclarant « qu'aucun animateur ni aucun salarié de THINET n'est présent », la Cour d'appel n'a pas donné de base légale au regard des articles 14 et 1837, alinéa 2 du Code civil ;

Alors, de troisième part, que la licéité d'une clause attributive de juridiction doit être appréciée par application de la loi du for, c'est-à-dire en l'espèce de la loi française puisque le juge français avait été saisi par THINET et sa compétence contestée par la société SABIC qui se prévalait de la clause désignant une juridiction saoudienne ; qu'en droit international privé français, les clauses prorogeant la compétence internationale sont en principe licites, lorsqu'il s'agit d'un litige international et que la clause ne fait pas échec à la compétence territoriale impérative d'une juridiction française ; que lorsque la clause attributive est privée d'efficacité par le refus de la juridiction désignée de se reconnaître compétente, la juridiction exclue ne peut se déclarer compétente que sur le fondement d'une règle de droit commun de compétence internationale, notamment en cas de déni de justice, et non sur celui de la nationalité de la demanderesse ; qu'en refusant de donner effet à la clause par le motif tiré de son illicéité prononcée par la juridiction saoudienne désignée, la Cour d'appel a violé les principes régissant la compétence internationale des tribunaux français ;

Alors de quatrième part que la détermination du sens et de la portée d'une clause attributive de juridiction relève, comme l'interprétation du contrat lui-même, de la loi choisie par les parties ; qu'il n'était pas contesté en l'espèce que le contrat était soumis à la loi saoudienne ; qu'en refusant de rechercher, comme il lui était demandé, si selon le droit saoudien applicable, une erreur des parties sur l'identification du tribunal compétent ratione materiae était sans incidence sur la validité d'une clause attributive de compétence qui devait produire effet comme exprimant la volonté des parties de voir leurs différends réglés par des juridictions saoudiennes, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 3 et 1134 du Code civil ;

Alors de cinquième part que la saisine d'un juge étranger par un Français vaut renonciation à se prévaloir de l'article 14 du Code civil pour saisir une juridiction française ; que cette renonciation est irrévocable ; qu'au cas où le juge étranger préalablement saisi se déclare incompétent, le Français ne peut saisir un tribunal français que sur le fondement d'une règle de compétence internationale de droit commun, tel par exemple le déni de justice ; qu'en particulier le Français qui a saisi une juridiction étrangère ne peut invoquer sa négligence à poursuivre l'instance devant celle-ci pour redonner compétence à une juridiction française ; qu'en l'espèce, l'exposante justifiait que la société THINET avait déposé une assignation au greffe du Tribunal Général de RIYAD le 19 octobre 2005, avant d'assigner devant le Tribunal de commerce de PARIS le 26 décembre 2005, et que si cette procédure n'avait pas eu de suite, c'était du fait de la société THINET qui n'avait pas signifié l'assignation ni demandé la mise au rôle, conservant la possibilité de le faire à tout moment ; qu'en décidant que la renonciation de la société THINET à se prévaloir de l'article 14 n'était pas établie dès lors qu'il n'était pas démontré qu'une procédure avait été effectivement intentée utilement devant le Tribunal Général de RIYAD, la Cour d'appel a violé l'article 14 du Code civil ;



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Privilège de juridiction


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 10/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.