par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles
Cass. civ. 1, 12 mai 2010, 09-10556
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
12 mai 2010, 09-10.556
Cette décision est visée dans la définition :
Mandat
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches, réunies :
Vu les articles 812, 812-1, 812-4 et 389-3, alinéa 3, du code civil ;
Attendu que les pouvoirs d'administration ou de gestion qui peuvent être conférés au mandataire posthume en vertu des articles 812, alinéa 1er et 812-1 du code civil, ne lui permettent pas de s'opposer à l'aliénation par les héritiers des biens mentionnés dans le mandat, laquelle constitue l'une des causes d'extinction de celui-ci prévues par l'article 812-4 du même code ;
Attendu que Karine X... est décédée le 2 juillet 2007, en laissant pour lui succéder ses deux enfants mineurs, Loïc et Manon, nés respectivement les 11 mai 1994 et 4 octobre 1999 ; que par acte authentique du 25 mai 2007, Karine X... avait institué son père, M. Bernard X..., mandataire posthume, à l'effet de faire tous actes d'administration et de gestion de toute sa succession pour le compte et dans l'intérêt de ses héritiers ; que M. Domingo Y..., père et administrateur légal sous contrôle judiciaire des enfants, a été autorisé par le juge des tutelles à accepter purement et simplement la succession en leur nom ; que par requêtes des 7 février 2008 et 17 mai 2008, M. Y... a demandé au juge des tutelles l'autorisation de vendre l'appartement dépendant de la succession en lui signalant qu'il ne disposait pas des clés pour procéder à l'estimation de ce dernier ; que par décision du 20 mai 2008, le juge des tutelles a dit que M. X... devra déposer, dans un certain délai, à l'accueil du tribunal d'instance, un trousseau de clefs de l'appartement, à charge pour M. Y... de passer les prendre après convocation ;
Attendu que pour dire n'y avoir lieu à obliger M. X... à déposer à l'accueil du tribunal d'instance un trousseau de clés de l'appartement litigieux, le jugement attaqué retient que si le simple pouvoir d'administrer interdit la vente, le pouvoir de gestion donné au mandataire posthume par le législateur implique la possibilité de vendre, dès lors que la vente peut être considérée comme un acte utile, dans l'intérêt de la succession, et dans l'intérêt des héritiers; que l'on peut considérer que des actes de disposition ou d'aliénation sont utiles pour l'exploitation des biens visés au mandat, que de tels actes peuvent donc être décidés par le mandataire posthume, conformément à l'article 812, alinéa 1er, du code civil ; que si le mandataire posthume peut disposer du pouvoir d'aliéner ou de vendre, il peut donc, symétriquement, disposer du pouvoir de s'opposer à une vente projetée par l'administrateur légal au motif qu'elle lui paraîtrait non conforme à l'intérêt des héritiers ; qu'il ressort de la combinaison de l'article 812-1 et 389-3, alinéa 3, du code civil, que l'appartement litigieux, dépendant de la succession de Karine X... n'est pas soumis aux pouvoirs et aux prérogatives de l'administrateur légal des enfants de cette dernière ; qu'en conséquence, M. X... mandataire posthume, disposait bien du pouvoir de s'opposer à la vente de l'appartement ; que par ailleurs, en fait, la position de M. X... est conforme à l'intérêt des enfants ;
En quoi le jugement a violé les textes susvisés, les trois premiers par refus d'application et le quatrième par fausse application ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 4 novembre 2008, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Créteil ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal de grande instance de Paris ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. X... et le condamne à payer à M. Y... la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Coutard, Mayer et Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour M. Y...
Il est fait grief au jugement infirmatif attaqué D'AVOIR, dit n'y avoir lieu d'obliger Monsieur X... à déposer les clefs de l'appartement ..., et D'AVOIR rejeté la demande de Monsieur Y... d'autoriser la vente de l'appartement qui appartenait à Mademoiselle Karine X... ;
AUX MOTIFS QUE « pour trancher le litige, il convient de savoir si le mandataire posthume dispose du pouvoir de s'opposer à l'aliénation envisagée et projetée par l'administrateur légal ; s'il dispose du pouvoir de s 'opposer à une telle vente, c 'est qu 'il dispose lui-même de prérogative de procéder à une telle cession du bien immobilier ; Nul ne conteste que Monsieur Bernard X... a été désigné en qualité de mandataire à titre posthume. Conformément à l'article 812-1-1 alinéa 3 et 4, le mandat été donné et accepté en la forme authentique et il a été accepté par le mandataire avant le décès du mandant ; l'article 812 du Code Civil dispose que toute personne peut donner à une ou plusieurs autres personnes physiques ou morales, mandat d'administrer ou de gérer, sous i réserve des pouvoirs confiés à l'exécuteur testamentaire tout ou partie de sa succession pour le compte et dans l'intérêt d'un ou plusieurs héritiers identifiés... L'article 812-1 du Code Civil précise que le mandataire exerce ses pouvoirs alors même qu'il existe un mineur ou majeur protégé parmi les héritiers, et en vertu de l'article 812-1-1 du Code Civil, le mandat n'est valable que s'il est justifié par un intérêt sérieux ou légitime au regard de la personne de l'héritier ou du patrimoine successoral, précisément motivé. Il est donné pour une durée qui ne peut excéder deux ans prorogeable une ou plusieurs fois par décision du juge, saisi par un héritier ou par la mandataire. Toutefois, il peut être donné pour une durée de cinq ans, prorogeable dans les mêmes conditions, en raison de l'inaptitude, de l'âge du ou des héritiers, ou de la nécessité de gérer des biens professionnels ; en l'espèce, le mandat conféré à Monsieur Bernard X... n'est pas discuté ou contesté dans son objet : l'administrateur légal indique seulement que le mandataire posthume n'a pas le pouvoir d'aliéner, donc n'a pas le pouvoir de s'opposer à un projet d'aliénation ; Monsieur Bernard X... tire argument de l'article 812-1 du Code Civil pour dire qu'il conserve son pouvoir et ses prérogatives "alors même qu'il existe un mineur..." parmi les héritiers. Il en déduit que ses pouvoirs ne sont pas contrariés ou diminués, du seul fait de la présence d'un administrateur légal représentant le ou les mineurs ; le mandat donné à Monsieur Bernard X..., mandataire posthume est celui d'administrer ou de gérer, tout ou partie de la succession pour le compte et dans l'intérêt d'un ou de plusieurs héritiers identifiés. Le simple pouvoir d'administrer interdit la vente, mais le pouvoir de gestion, donné au mandataire posthume par le législateur implique la possibilité de vendre, dès lors que la vente peut être considérée comme un acte utile, utile dans l'intérêt de la succession, et dans l'intérêt des héritiers. On peut considérer que des actes de disposition ou d'aliénation sont utiles pour l'exploitation des biens visés au mandat, que de tels actes peuvent donc être décidés par le mandataire posthume, conformément à l'article 812 alinéa 1 du Code civil ; si donc le mandataire posthume peut disposer du pouvoir d'aliéner ou de vendre, il peut donc, symétriquement, disposer du pouvoir de s'opposer à une vente projetée par l'administrateur légal au motif qu'elle lui paraîtrait non conforme à l'intérêt des héritiers ; l'article 812-1 du Code Civil ci-dessus rappelé et analysé s 'harmonise avec le texte de l'article 389-3 alinéa 2 du Code Civil selon lequel "ne sont pas soumis à l'administration légale les biens qui auraient été donnés ou légués au mineur sous la condition qu'ils seraient administrés par des tiers, ce tiers administrateur aura les pouvoirs qui lui auront été conférés par la donation ou le testament ; à défaut ceux d'un administrateur légal sous contrôle judiciaire" ; il ressort de la combinaison de ces textes que l'appartement litigieux, dépendant de la succession de Karine X... n'est pas soumis aux pouvoirs et aux prérogatives de l'administrateur légal des enfants de Karine X... ; en conséquence, le père de Karine X..., mandataire posthume disposait bien du pouvoir de s'opposer à la vente de l'appartement ; par ailleurs, en fait, la position de Monsieur Bernard X... est conforme à l'intérêt des enfants ; il est vrai que la constitution d'un patrimoine immobilier, affecte d'une plus-value chaque année, est préférable à un placement financier, plutôt hasardeux si l'on se réfère à la conjoncture mondiale ; l'argument développé par le Ministère Public selon lequel les enfants désireraient se séparer d'un appartement où ils ont vu leur mère malade n'est pas déterminant, car les enfants ont très peu vécu dans cet appartement, au maximum un an et demi, et il n'est pas démontré que dans leur esprit, cet appartement est associé à des moments pénibles ou insupportables pour eux ; la vente de l'appartement pour faire l'acquisition de deux studios n'apparaît pas non plus comme une opération hautement recommandable, car elle aboutirait à multiplier les frais de mutation ; la position de Monsieur Bernard X... est bien motivée en droit, comme en fait. Dès lors, il conviendra d'infirmer la décision du juge des tutelles » (jugement, p. 3, 4 et 5) ;
1./ ALORS QUE les termes du mandat à effet posthume s'imposent au juge comme au mandataire ; qu'en l'espèce, le mandat à effet posthume du 25 mai 2007 par lequel Mademoiselle Karine X... a constitué son père mandataire posthume « à l'effet de faire tous actes d'administration et de gestion de toute la succession du mandant pour le compte et dans l'intérêt de ses héritiers, (.) à charge de rendre compte de sa gestion aux héritiers ou à leur représentant », ne donne aucun pouvoir de disposition à Monsieur X... sur les biens de la succession ; qu'en affirmant que « le mandataire posthume peut disposer du pouvoir d'aliéner ou de vendre ... (et) symétriquement, disposer du pouvoir de s'opposer à une vente projetée par l'administrateur légal» et en accordant à Monsieur X... le pouvoir de s'opposer à la vente de l'appartement litigieux, au remploi du produit de la vente et à l'achat de deux studios indépendants aux enfants, le tribunal de grande instance a violé, ensemble, les articles 812, 812-4 et 1134 du Code civil ;
2./ ALORS QUE le mandataire posthume ne dispose que des pouvoirs énoncés au mandat ; qu'en l'espèce, le mandat posthume de Monsieur X... étant limité à la gestion et l'administration des biens de la succession de Mademoiselle X..., il n'englobait pas le pouvoir d'aliéner qui appartient aux seuls héritiers et à leur représentant légal ; qu'en affirmant que dès lors qu'il était visé au mandat, le mandataire posthume pouvait s'opposer à la vente de l'appartement et que Monsieur Y..., administrateur légal des enfants, n'avait ni pouvoirs ni prérogatives sur celui-ci (jugement p 4, in fine), le Tribunal de grande instance a violé ensemble les articles 389-3, 812, 812-1 et 812-1-1, 812-4 du Code civil ;
3./ ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QU'à supposer même, comme l'a retenu le tribunal, que le pouvoir de gestion du mandataire posthume l'autorise à procéder à la vente d'un bien, comme étant un acte utile à l'exploitation des biens visés au mandat et à s'opposer à la vente dans le même but (jugement p 4, alinéas 6 et 7), le tribunal ne pouvait se borner à affirmer que « le père de Karine X..., mandataire posthume, disposait bien du pouvoir de s'opposer à la vente de l'appartement » sans relever que son opposition constituait bien un acte de gestion utile à l'exploitation des biens visés au mandat ; qu'en statuant comme il l'a fait, le Tribunal de grande instance a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles 389-3, 812, 812-1 et 812-1-1 du Code civil ;
4./ ALORS OUE l'objet du litige est déterminé par les écritures des parties ; qu'en l'espèce, dès lors que Monsieur Y... envisageait d'affecter le produit de la vente de l'appartement à l'achat de studios pour chacun des deux enfants, le tribunal ne pouvait, pour refuser cette vente, lui opposer que la position de Monsieur X... était plus conforme à l'intérêt des enfants car « préférable à un placement financier, plutôt hasardeux si l'on se réfère à la conjoncture mondiale » (jugement, p. 5, alinéa 1), puisqu'un tel placement n'avait pas été évoqué par Monsieur Y...; qu'en statuant comme il l'a fait, le tribunal a dénaturé l'objet du litige, et violé les articles 4 et 12 du Code de procédure civile ;
5./ ALORS OUE l'intérêt de l'enfant s'apprécie au regard de l'intérêt de l'opération projetée ; qu'en affirmant que l'acquisition de studios pour chacun des deux enfants n'était pas « une opération hautement recommandable » car elle multiplierait les frais de mutation, le tribunal, qui n'a pas fondé sa décision sur l'intérêt des enfants ni recherché si celui-ci n'était pas que chacun d'eux dispose d'un studio indépendant à son nom, plutôt que d'un bien en indivision, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 389-3, 812, 812-4 et 1134 du Code civil ;
6./ ALORS ENFIN, QU,'en ne répondant pas aux conclusions de Monsieur Y..., qui invoquait l'intérêt de chacun des enfants de détenir un bien immobilier à son nom propre, de disposer d'un revenu locatif et d'éviter qu'à la majorité, Loïc, l'aîné, ne provoque la vente de l'unique bien immobilier indivis, au détriment de Manon, de cinq ans sa benjamine, puis dilapide le produit de cette vente, le tribunal a violé l'article 455 du Code de procédure civile.
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Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 10/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.