par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. soc., 9 mars 2011, 10-11588
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Cour de cassation, chambre sociale
9 mars 2011, 10-11.588

Cette décision est visée dans la définition :
Référé




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué statuant en référé (Riom, 8 décembre 2009), qu'après transfert de leurs contrats de travail à la société Fruprep France le 7 août 2009, les anciens salariés de la société Frulact France située à Saint-Yorre se sont vu proposer une modification de leur lieu de travail dans des nouveaux locaux à Apt ; qu'à partir du 7 octobre 2009, M. Y... et vingt-huit autres salariés, qui n'avaient pas accepté cette modification, se sont vu refuser l'accès à l'usine, après décision de l'employeur de procéder à la cessation de l'activité de cette unité de production, et ont été mis en disponibilité avec maintien de leur rémunération ; que des salariés ont alors occupé ces locaux par roulement pour protester contre la fermeture brutale du site ; que la société a saisi le juge des référés obtenir leur expulsion ;

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de dire que l'occupation de l'usine par des salariés ne constitue pas un trouble manifestement illicite et de la débouter de toutes ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que l'occupation, par les salariés, des locaux d'une entreprise lors d'un mouvement social sui generis non spécialement protégé par la loi porte atteinte au droit de propriété de l'employeur et constitue, en tant que telle, un trouble manifestement illicite dont ce dernier est fondé à exiger la cessation sous astreinte, sans avoir à démontrer une quelconque entrave au fonctionnement de l'entreprise ou une atteinte à la sécurité des personnes ou des biens ; qu'en refusant de l'admettre, après avoir pourtant relevé que les constats dressés par Me Z..., huissier de justice à Vichy, établissaient que les salariés de la société Fruprep France occupaient ses locaux par roulement depuis le 7 octobre 2009, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 544 du code civil et 809 du code de procédure civile ;

2°/ que si l'exécution d'un contrat de travail confère au salarié le droit de disposer d'un travail et d'accéder aux locaux de l'entreprise, elle n'emporte aucunement celui de disposer arbitrairement desdits locaux en les occupant, de jour comme de nuit, et indépendamment de toute exécution de la prestation de travail prévue par le contrat ; qu'en estimant que l'occupation ininterrompue depuis le 7 octobre 2009 du site de Saint-Yorre par les salariés de la société Fruprep France ne constituait pas un trouble manifestement illicite, sous prétexte que ces derniers, «du fait de leur contrat de travail toujours en cours, pouvaient légitimement prétendre y accéder et disposer d'un travail» et qu'ils s'étaient «vus interdire l'accès à l'entreprise et notifier sans autre explication une mise à disponibilité immédiate», la cour d'appel a derechef violé les articles 544 du code civil et 809 du code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt relève, d'une part, que l'employeur, qui a décidé l'arrêt des activités et fermé l'unité de production sans information ni consultation préalable des institutions représentatives du personnel, a interdit aux salariés l'accès à leur lieu de travail en leur notifiant sans autre explication leur mise en disponibilité ; qu'il constate, d'autre part, que si les salariés ont occupé les locaux, aucun fait de dégradation du matériel, de violence, séquestration ou autre comportement dangereux à l'égard des personnels se trouvant sur le site n'est établi ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a pu en déduire que l'occupation des lieux, intervenue en réaction à la fermeture, dans ces circonstances, de l'unité de production, ne caractérisait pas un trouble manifestement illicite ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Fruprep France aux dépens  ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Fruprep France à payer à M. Y... et aux vingt-huit autres salariés
une somme globale de 2 500 euros  ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mars deux mille onze.


MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la société Fruprep France

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que l'occupation de l'usine de la société Fruprep France par les salariés requis ne saurait constituer un trouble manifestement illicite et d'avoir débouté la société Fruprep France de toutes ses demandes ;

Aux motifs que «la société Fruprep France fonde exclusivement sa demande d'expulsion des salariés sur les dispositions de l'article 809 du Code de procédure civile et invoque le trouble manifestement illicite que constituerait l'atteinte à son droit de propriété résultant de l'occupation des locaux lui appartenant sur le site de Saint-Yorre ; que les constats dressés par Maître Z..., huissier de justice à Vichy, établissent sans contestation possible que les salariés de la société Fruprep France occupent ces locaux par roulement depuis le 7 octobre 2009, sans toutefois que ne soit démontrée l'existence de dégradations commises sur les matériels de la société ni un comportement dangereux vis-à-vis des personnes et des biens, l'huissier ayant constaté dès le 9 octobre 2009 que les feux qui avaient pu être allumés étaient éteints et nettoyés et le rapport établi le 14 octobre 2009 par M. A... ainsi que l'attestation de M. B... employés de la société Sécuritas faisant apparaître que les agents de cette société n'ont été ni malmenés ni séquestrés ; que la société Fruprep France ne peut se prévaloir d'une quelconque entrave au fonctionnement de l'entreprise dans la mesure où il est établi qu'elle avait elle-même décidé dès le 6 octobre 2009 la cessation de l'activité sur le site de Saint-Yorre puisqu'elle avait donné ordre aux agents de la société Securitas de ne pas laisser pénétrer les salariés dans l'entreprise et prévu de leur faire remettre une lettre leur notifiant leur mise en disponibilité, les salariés ayant par ailleurs constaté dans les jours qui précédaient l'impossibilité d'utiliser tant les connexions informatiques externes que le réseau interne ; que si par courrier du 11 août 2009 les salariés de Fruprep France se sont vus proposer conformément aux dispositions de l'article L. 1222-6 du Code du travail une modification de leur contrat de travail consistant à transférer leur lieu de travail dans son établissement d'APT, force est de constater que les 29 salariés qui ont refusé cette proposition n'ont par la suite reçu de l'employeur aucune information sur leur devenir et celui du site de Saint-Yorre, les lettres des 7 et 30 octobre 2009 leur notifiant leur mise en disponibilité et la prolongation de celle-ci étant elles-mêmes formulées de façon particulièrement lapidaire sans aucune explication ni motivation ; que par ailleurs, dans un courrier du 19 octobre 2009 l'inspecteur du travail qui, dès le mois de mars 2009 avait attiré l'attention de l'employeur sur la nécessité de se conformer aux exigences légales et réglementaires en cas de licenciement collectif pour motif économique en cas de mise en oeuvre d'un plan de réduction des effectifs, estime que les exigences légales et réglementaires en matière d'information et de consultation de la représentation du personnel n'ont pas été respectées par la société Fruprep France qui s'était engagée dans un processus de fermeture de l'unité de production ; que dans ces conditions, sans qu'il soit nécessaire de rechercher lequel du droit de propriété ou du droit du travail doit primer l'autre, le trouble susceptible de résulter de l'occupation des locaux de l'entreprise sur le site de Saint-Yorre par des salariés qui du fait de leur contrat de travail toujours en cours pouvaient légitimement prétendre y accéder et disposer d'un travail mais qui se sont vus interdire l'accès à l'entreprise et notifier sans autre explication une mise à disponibilité immédiate, alors que par ailleurs l'employeur avait décidé de l'arrêt des activités de ladite entreprise sans information ni consultation préalable des instances représentatives ni mise en oeuvre d'une procédure de licenciement collectif pour motif économique, ne peut s'agissant d'un trouble que la société Fruprep France a elle-même engendré être considéré comme manifestement illicite ; que l'ordonnance entreprise sera par conséquent confirmée en toutes ses dispositions» ;

Alors, d'une part, que l'occupation, par les salariés, des locaux d'une entreprise lors d'un mouvement social sui generis non spécialement protégé par la loi porte atteinte au droit de propriété de l'employeur et constitue, en tant que telle, un trouble manifestement illicite dont ce dernier est fondé à exiger la cessation sous astreinte, sans avoir à démontrer une quelconque entrave au fonctionnement de l'entreprise ou une atteinte à la sécurité des personnes ou des biens; qu'en refusant de l'admettre, après avoir pourtant relevé que les constats dressés par Maître Z..., huissier de justice à Vichy, établissaient que les salariés de la société Fruprep France occupaient ses locaux par roulement depuis le 7 octobre 2009, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 544 du Code civil et 809 du Code de procédure civile ;

Alors, d'autre part, que si l'exécution d'un contrat de travail confère au salarié le droit de disposer d'un travail et d'accéder aux locaux de l'entreprise, elle n'emporte aucunement celui de disposer arbitrairement desdits locaux en les occupant, de jour comme de nuit, et indépendamment de toute exécution de la prestation de travail prévue par le contrat ; qu'en estimant que l'occupation ininterrompue depuis le 7 octobre 2009 du site de Saint-Yorre par les salariés de la société Fruprep France ne constituait pas un trouble manifestement illicite, sous prétexte que ces derniers, «du fait de leur contrat de travail toujours en cours, pouvaient légitimement prétendre y accéder et disposer d'un travail» et qu'ils s'étaient «vus interdire l'accès à l'entreprise et notifier sans autre explication une mise à disponibilité immédiate», la Cour d'appel a derechef violé les articles 544 du Code civil et 809 du Code de procédure civile.



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Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 10/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.