par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 13 mai 2014, 13-13509
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
13 mai 2014, 13-13.509

Cette décision est visée dans la définition :
Notaire




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Donne acte à la SCP X...- A... de ce qu'elle se désiste de son pourvoi en tant que dirigé contre la société Banque populaire Aquitaine Centre Atlantique, venant aux droits de la Banque populaire du Sud Ouest ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 10 décembre 2012), que par acte authentique reçu le 25 octobre 2002 par M. X..., notaire associé de la SCP X...- A..., devenue la SCP B...-C...-A..., la Banque populaire du Sud-Ouest a consenti à la société De Matha un prêt de 500 000 ¿, garanti par le cautionnement solidaire de M. Y..., ressortissant néerlandais ; que la société ayant été placée en redressement judiciaire le 10 mars 2005, la banque a déclaré sa créance et a assigné la caution en paiement, laquelle a recherché la responsabilité du notaire, lui reprochant de ne pas l'avoir invitée à se faire assister par un interprète lors de la signature de l'acte ;

Attendu que la société notariale fait grief à l'arrêt de la condamner à garantir M. Y... à hauteur de la totalité de la créance de la banque alors, selon le moyen :

1°) que le notaire n'est pas tenu d'informer une partie de ce qu'elle sait déjà et ne peut ignorer ; qu'en jugeant que la SCP X...- A... avait manqué à son devoir de conseil en n'invitant pas M. Y... « à envisager de se faire assister par un interprète », bien qu'il ait nécessairement eu conscience de la nécessité de recourir à un interprète s'il ignorait la langue dans laquelle était rédigé l'acte, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

2°) qu'une faute ne peut être retenue comme cause d'un préjudice que s'il est démontré que, sans elle, il ne se serait pas produit ; qu'en condamnant la SCP X...- A... à indemniser M. Y... du paiement de la totalité des sommes qu'il devait en exécution de son engagement de caution, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si informé de la possibilité de se faire assister par un interprète, M. Y... en aurait sollicité un et aurait refusé de s'engager comme caution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

3°) que la faute de la victime exonère en tout ou partie le notaire de sa responsabilité ; qu'en condamnant la SCP X...- A... à indemniser M. Y... du paiement de la totalité des sommes qu'il devait en exécution de son engagement de caution, bien qu'elle ait constaté que M. Y... avait commis une faute en se privant délibérément des services d'un interprète, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil.

Mais attendu, d'abord, qu'ayant relevé que le notaire, tenu d'éclairer les parties sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels il prête son concours, avait constaté la mauvaise connaissance de la langue française par son client, la cour d'appel a pu décider qu'en ne l'invitant pas à se faire assister par un interprète, l'intéressé avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité professionnelle ;

Attendu, ensuite, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des pièces de la procédure que la société notariale ait soutenu que le préjudice résultant des manquements qui lui étaient imputés s'analysait en une simple perte de chance ;

Attendu, enfin, que la cour d'appel a fait ressortir que la faute commise par M. Y... était entièrement absorbée par celle, plus grave, de son notaire et qu'il n'y avait pas lieu, dès lors, d'opérer un partage de responsabilité ;

D'où il suit que le moyen, nouveau, mélangé de fait et comme tel irrecevable en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la SCP X...- A... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize mai deux mille quatorze.


MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boré et Salve et Bruneton, avocat aux Conseils pour la société Bernard X... et Yves A...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit et jugé que la SCP A... avait manqué à son obligation de conseil en instrumentant l'acte de prêt et de cautionnement en date du 25 octobre 2002 et d'AVOIR condamné la SCP X...- A... à payer à Monsieur Y... les sommes de 562. 109, 76 euros et de 87. 772, 77 euros déclarés au passif de la SCA DE MATHA au titre du prêt de 500. 000 euros consenti le 25 octobre 2002, ;

AUX MOTIFS QUE le notaire est tenu à une obligation de conseil à l'égard de l'ensemble des parties intéressées par un acte ; il est établi que M. Johannes Wilhelmus Y..., homme d'affaires investissant des sommes considérables dans un pays étranger dont il ne maîtrisait pas la langue, a su se faire assister d'un interprète quand il l'a estimé nécessaire ; Ainsi que nous l'avons vu, M. Johannes Wilhelmus Y... gérait diverses entreprises dont les activités étaient situées sur le territoire national ; il avait confié le suivi juridique des sociétés dont il maîtrisait le capital, à des cabinets juridique et comptable ; néanmoins en droit, ni la compétence du client ni le fait que l'intéressé se soit fait assister par un conseil n'exonèrent le notaire de son obligation de conseil, lequel a concédé en l'espèce, lors de la mesure d'instruction, avoir pu se convaincre que M. Y... comprenait mal le français, en sorte que l'épouse de ce dernier était devenue son interlocutrice privilégiée ; la faute commise par le client, qui n'a pas pris la précaution de se faire assister par un interprète, ne libère pas le notaire de son obligation, laquelle consistait, en l'espèce, non pas à faire assister M. Y... par un interprète, mais à inviter l'intéressé à envisager de se faire assister d'un interprète ; pour se libérer de son obligation, la SCP A... expose que les actes en question avaient été arrêtés, hors sa présence, entre les parties elles-mêmes, que les opérations financières avaient été préalablement approuvées par les assemblées générales des sociétés et qu'il avait en outre remis avant la signature ces actes pour que son client puisse les examiner avec ses conseils ; ceci précisé, la situation ne se présente pas de manière identique pour les deux actes notariés : pour l'acte du 25 octobre 2002, il n'est pas justifié par le notaire qu'il ait effectivement remis le projet d'acte au préalable à M. Y... ; en outre, il ressort des procès-verbaux d'assemblée générale des sociétés BORDEAUX BULB B. V., S. A. R. L. de droit néerlandais, associée unique de la SAS MATHA HOLDING et de la SCA DE MATHA, que les modalités de l'emprunt qui y étaient détaillées ne précisaient pas que M. Y... se porterait caution de cet acte ; dans ces conditions, et alors que compte tenu des garanties attachées à un acte authentique, la caution n'a pas été soumise à la rédaction de la mention manuscrite prévue par l'article 1326 du code civil, force est de constater que le notaire ne peut se prévaloir du fait que l'attention de M. Y... avait été nécessairement attirée, préalablement à la signature de l'acte authentique, sur la garantie complémentaire sollicitée par la banque ; dans ces circonstances, il sera jugé que le notaire en s'abstenant d'inviter son client à se faire assister par un interprète, a manqué à son obligation de conseil et que cette faute, primordiale, justifie qu'il soit condamné à garantir la caution du recouvrement par la Banque Populaire de ce prêt ; M. Y... étant actionné aux Pays-Bas, la banque Populaire ayant procédé à la saisie conservatoire sur les parts sociales qu'il détient sur une société de droit néerlandais, la caution justifie d'un préjudice actuel et certain en lien avec la faute du notaire ; la SCP A... sera condamnée à lui payer les sommes de 562. 109, 76 euro et 87. 772, 77 euros représentant les sommes déclarées par la Banque Populaire au titre de ce prêt à la procédure collective de la SCA DE MATHA. ;

1°) ALORS QUE le notaire n'est pas tenu d'informer une partie de ce qu'elle sait déjà et ne peut ignorer ; qu'en jugeant que la SCP A... avait manqué à son devoir de conseil en n'invitant pas Monsieur Y... « à envisager de se faire assister par un interprète » (arrêt, p. 16, al. 5 et p. 17, al. 2), bien qu'il ait nécessairement eu conscience de la nécessité de recourir à un interprète s'il ignorait la langue dans laquelle était rédigé l'acte, la Cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

2°) ALORS QU'en toute hypothèse, une faute ne peut être retenue comme cause d'un préjudice que s'il est démontré que, sans elle, il ne se serait pas produit ; qu'en condamnant la SCP X...- A... à indemniser Monsieur Y... du paiement de la totalité des sommes qu'il devait en exécution de son engagement de caution (arrêt, p. 17, al. 3), sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si informé de la possibilité de se faire assister par un interprète, Monsieur Y... en aurait sollicité un et aurait refusé de s'engager comme caution, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

3°) ALORS QU'en toute hypothèse, la faute de la victime exonère en tout ou partie le notaire de sa responsabilité ; qu'en condamnant la SCP X...- A... à indemniser Monsieur Y... du paiement de la totalité des sommes qu'il devait en exécution de son engagement de caution (arrêt, p. 17, al. 3), bien qu'elle ait constaté que M. Y... avait commis une faute en se privant délibérément des services d'un interprète (arrêt, p. 15, pénultième et dernier al. et p. 16, al. 5), la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil.



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Notaire


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