par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles
Cass. civ. 2, 4 juin 2015, 14-13405
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Cour de cassation, 2ème chambre civile
4 juin 2015, 14-13.405
Cette décision est visée dans la définition :
Référé
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :
Vu les articles 1386-11 du code civil et 809, alinéa 2, du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., se plaignant de diverses pathologies, a assigné la société Les Laboratoires Servier (la société) pour obtenir la désignation d'un expert afin d'établir la preuve d'un lien de causalité entre celles-ci et la prise du médicament Médiator, produit par la société, et le paiement de certaines sommes à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice et sur les frais de procédure ;
Attendu que pour condamner la société à payer à Mme X... une certaine somme à titre de provision sur les frais d'instance au titre de la procédure de référé et de l'expertise, l'arrêt retient que l'historique et le contenu des premiers signalements publiés, de ses propres recherches, des études menées et publiées en France et à l'étranger ayant conduit au retrait du Médiator du marché ne permettant pas d'établir à l'évidence que l'état des connaissances scientifiques et techniques n'aurait pas permis à la société de déceler l'existence du défaut au moment de la mise en circulation du Médiator à l'occasion de chacune des prescriptions dont a bénéficié Mme X..., la société ne rapporte pas la preuve qui lui incombe des conditions d'exonération de sa responsabilité civile de plein droit prévues à l'article 1386-11 du code civil ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'invocation d'une cause d'exonération de responsabilité constitue une contestation dont le sérieux doit être examiné par le juge des référés sans que puisse être exigée l'évidence de la réunion des conditions de l'exonération, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET
ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Les Laboratoires Servier à payer à Mme X..., à titre de provision sur frais d'instance au titre de la procédure de référé appel inclus et de l'expertise, la somme de 10 000 euros, l'arrêt rendu le 20 novembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juin deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour la société Les Laboratoires Servier
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société LES LABORATOIRES SERVIER à payer à Madame X... à titre de provision sur frais d'instance au titre de la procédure de référé appel inclus et de l'expertise, la somme de 10.000 euros ;
AUX MOTIFS QUE « si le juge des référés dispose du pouvoir d'accorder une provision pour frais d'instance sur le fondement de l'article 809 alinéa 2 du Code de procédure civile qui ne prévoit aucune restriction quant à la nature ou l'objet des provisions susceptibles d'être allouées, c'est, nécessairement, dans les conditions précisément et strictement définies par celui-ci. Sur le fondement de ce texte, la provision pour frais d'instance peut être accordée sous deux conditions ; la première est la justification du caractère non sérieusement contestable de la prétention au fond, la seconde la justification de la nécessité d'engager des frais pour lesquels la provision est demandée. Ces deux conditions sont cumulatives, nécessaires et ensemble suffisantes, toute autre considération étant indifférente. Mme Catherine X... entend rechercher la responsabilité des LABORATOIRES SERVIER sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil, prévoyant que le producteur est de plein droit responsable du dommage causé par un défaut de son produit, sauf à lui de justifier de l'existence d'une cause d'exonération et notamment, en application de l'article 1386-11 alinéa 4 du même code, en établissant que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment où il a mis le produit en circulation n'a pas permis de déceler l'existence du défaut. Il incombe à Mme Catherine X... en premier lieu, dans la présente instance, de rapporter la preuve de l'existence d'un dommage, de ce que le Médiator peut recevoir la qualification de produit défectueux, et du lien de causalité entre son dommage et la prise de Médiator mis en circulation par les LABORATOIRES SERVIER. Il est constant que le Médiator (Benfluorex) a été commercialisé en France à partir de 1997, ayant pour indication initiale le traitement des hypertriglycéridémie et diabète de type II, mais étant de fait également prescrit dans des proportions non négligeables dans un but d'amaigrissement. Il a fait l'objet d'une décision de suspension d'AMM en novembre 2009 puis de retrait en juin 2010, en raison de sa toxicité cardio-vasculaire, caractérisée par un risque de HTAP et valvulopathies. Les éléments produits aux débats permettent aujourd'hui de considérer le Médiator comme un produit défectueux au sens de l'article 1386-4 du Code civil, en ce qu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, en raison du déséquilibre défavorable avantage/risque démontré par les études réalisées et sanctionné par le retrait du marché, mais également de l'absence totale d'information figurant sur les notices accompagnant le produit tel que distribué au patient, l'expert commis par l'ordonnance entreprise ayant relevé que même en 2009, celle-ci ne contenaient aucune indication quant au risque, même présenté comme marginal ou exceptionnel, d'apparition d'une HTAP ou d'une valvulopathie. Mme Catherine X... justifie avoir été traitée par administration de Médiator par cures d'un mois en juin 2004, août 2005 et octobre 2006, et de juillet à octobre 2009 ; du rapport déposé le 3 juin 2013 par l'expert désigné par l'ordonnance entreprise, qui ne fait l'objet d'aucune critique sur ce point, il ressort que Mme Catherine X... souffre d'une double valvulopathie mitro-aortique avec fuite aortique moyenne, fuite mitrale modérée, début de dilatation des cavités gauches, alors qu'elle ne souffrait d'aucune pathologie cardiovasculaire avant 2006 ; sa pathologie a un rapport de causalité certain avec la prise de Médiator qui a été exclusive, initiale et déterminante. Ces éléments suffisent pour retenir l'existence d'un dommage physique subi par Mme Catherine X..., en relation directe avec l'administration du Médiator, médicament devant être qualifié de produit défectueux, dont il n'est pas discuté qu'il était mis en circulation par les LABORATOIRES SERVIER. L'historique et le contenu des premiers signalements publiés, de ses propres recherches, des études menées et publiées en France et à l'étranger ayant conduit au retrait du Médiator du marché, ne permettent pas d'établir à l'évidence que l'état des connaissances scientifiques et techniques n'aurait pas permis aux LABORATOIRES SERVIER de déceler l'existence du défaut ou, à tout le moins, de signaler le risque possible d'atteintes cardiovasculaires au moment de la mise en circulation du Médiator à l'occasion de chacune des prescriptions dont a bénéficié Mme Catherine X... entre 2004 et 2009. La responsabilité sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil étant une responsabilité de plein droit, et les LABORATOIRES SERVIER ne rapportant pas la preuve dont la charge leur incombe de ce que les conditions d'exonération prévues à l'article 1386-11 alinéa 4 du même code seraient réunies, la prétention au fond de Mme Catherine X... apparaît en l'état non sérieusement contestable. Mme Catherine X... pour faire reconnaître sa pathologie et son lien de causalité avec la prise de Médiator s'est trouvée contrainte de recourir aux conseils d'un avocat pour la préparation de son dossier, nécessairement avec le concours d'un spécialiste compte tenu de sa technicité, assurer la défense de ses intérêts en référé et au cours des opérations d'expertise, dont elle a dû faire l'avance des frais. Au regard de ces éléments, il convient de faire droit à sa demande de provision pour frais d'instance, à hauteur de la somme de 10.000 ¿, sans qu'il y ait lieu d'exiger préalablement la production des justificatifs demandés par les LABORATOIRES SERVIER, l'allocation de la provision n'étant pas soumise à conditions de ressources. L'ordonnance entreprise sera réformée en ce sens » ;
ALORS QUE, D'UNE PART, c'est seulement dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable que le juge des référés peut accorder une provision au créancier, qu'il s'agisse d'une provision sur dommages-intérêts ou d'une provision ad litem ; qu'une contestation sérieuse survient lorsque la prétention du demandeur repose sur des fondements incertains, l'applicabilité au litige de la règle de droit invoquée étant raisonnablement discutable ; qu'en affirmant en l'espèce que le « Médiator » devait être à l'évidence qualifié de produit défectueux « en raison du déséquilibre défavorable avantage/risque démontré par les études réalisées et sanctionné par le retrait du marché », cependant que la circonstance, invoquée par la société LES LABORATOIRES SERVIER, que l'ensemble des documents diffusés par l'AFSSAPS indiquaient que la balance bénéfice-risque n'avait été jugée défavorable qu'à la fin de l'année 2009, raison pour laquelle la décision de suspension d'AMM n'avait été prise qu'à cette date, constituait une contestation sérieuse quant à la qualification de produit défectueux appliquée au « Médiator » à la date des faits litigieux, Madame X... ayant été traitée par administration du « Médiator » en juin 2004, août 2005, octobre 2006 et de juillet à octobre 2009, la Cour d'appel, qui a ainsi tranché une contestation sérieuse, a violé l'article 809, alinéa 2, du Code de procédure civile ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, c'est seulement dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable que le juge des référés peut accorder une provision au créancier, qu'il s'agisse d'une provision sur dommages-intérêts ou d'une provision ad litem ; qu'une contestation sérieuse survient lorsque la prétention du demandeur repose sur des fondements incertains, l'applicabilité au litige de la règle de droit invoquée étant raisonnablement discutable ; qu'en affirmant en l'espèce que le « Médiator » devait être à l'évidence qualifié de produit défectueux en raison de l'absence, même encore en 2009, de toute information sur sa notice quant à l'existence d'effets indésirables, cependant que la connaissance de ceux-ci par la société LES LABORATOIRES SERVIER suscitait une contestation sérieuse du fait qu'aucun signal significatif de toxicité cardiaque n'avait été relevé par les autorités de santé et de pharmacovigilance avant la fin de l'année 2009, contestation qu'il n'appartenait donc pas au juge des référés de trancher, la Cour d'appel a derechef violé l'article 809, alinéa 2, du Code de procédure civile ;
ALORS QU'ENFIN, c'est seulement dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable que le juge des référés peut accorder une provision au créancier, qu'il s'agisse d'une provision sur dommages-intérêts ou d'une provision ad litem ; qu'une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement et à l'évidence voué à l'échec ; qu'en exigeant à l'inverse en l'espèce que le risque de développement, de nature à exonérer la société LES LABORATOIRES SERVIER de toute responsabilité, soit établi « à l'évidence », cependant que le doute raisonnable existant sur ce point, compte tenu des publications scientifiques qui n'ont réellement évoqué un rôle possible du Benfluorex dans la survenance de troubles cardiaques qu'à compter de la fin de l'année 2009 et de l'attitude adoptée par les autorités de santé et de pharmacovigilance jusqu'à cette date, suffisait à rendre sérieusement contestable l'obligation alléguée par Madame X... à l'encontre de la société exposante, la Cour d'appel a violé l'article 809, alinéa 2, du Code de procédure civile.
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Référé
Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 29/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.