par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 11 mai 2016, 14-28321
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
11 mai 2016, 14-28.321

Cette décision est visée dans la définition :
Don, donation




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 20 octobre 2014), que, le 27 juin 1989, Robert X... et Mme Y..., mariés sous le régime de la communauté universelle, ont fait donation-partage de la nue-propriété d'actions de la société Saumuroise de participation (la SSP) à leurs deux enfants, Philippe et Françoise, à charge pour eux de faire apport de ces droits à la société civile des Terres froides (la SCTF), en cours de constitution ; que cet acte prévoyait que l'usufruit s'éteindrait pour moitié au décès du premier des donateurs et pour l'autre moitié au décès du second ; que, par l'effet de la subrogation, l'usufruit que les donateurs se sont réservé sur les parts sociales de la SSP s'est trouvé reporté sur les parts de la SCTF ; qu'un jugement du 12 mars 2009 a prononcé la dissolution des sociétés SSP et SCTF en raison de la mésentente entre les associés et désigné la société AJP, représentée par M. Z..., en qualité de liquidateur ; qu'après avoir destitué son épouse de tout droit dans sa succession, Robert X... est décédé le 20 juin 2011 en laissant pour lui succéder son fils, Philippe X..., et, par représentation de sa fille, pré-décédée, les enfants de celle-ci, Gaspard, Hortense, Gautier et Victoria A... (les consorts A...) ; qu'à la suite d'un différend opposant ces derniers à Mme Y... et M. Philippe X..., un jugement a décidé que celui-ci et les consorts A... étaient propriétaires de la moitié des parts sociales de la société SCTF, l'usufruit que s'était réservé Robert X... s'étant éteint du fait de son décès, que Mme Y... demeurait, quant à elle, usufruitière de l'autre moitié, soit 134 266 parts, et du droit de vote attaché à ces parts, a annulé des délibérations de l'assemblée générale des actionnaires intervenues en violation de cette répartition du capital et a fait injonction au liquidateur de la société de convoquer une nouvelle assemblée générale ; que les consorts A... ont interjeté appel de cette décision ;

Sur le moyen unique, pris en ses quatre premières branches :

Attendu que M. Philippe X... et Mme Y..., veuve X..., font grief à l'arrêt de dire qu'au décès de Robert X..., l'usufruit que son épouse s'était réservé subsiste et continue de grever chacune des 268 532 parts de la société SCTF, que le droit de vote ne peut pas être exercé sur les parts sociales détenues par les consorts A... et grevées de l'usufruit de Mme Y... et que la désignation d'un représentant unique est rendue obligatoire alors, selon le moyen :

1°/ que l'usufruit est de même nature que celle du bien qui en est l'objet ; que la donation-partage emporte attribution divise et répartition matérielle des biens qu'elle concerne ; que par l'acte du 27 juin 1989, les parts sociales de la société SSP ont été divisément attribuées et matériellement réparties par moitié entre M. Philippe X... et Françoise A... ; qu'elles ont été grevées d'un usufruit au profit de chacun des donateurs, de même nature divise que la nue-propriété ; que le décès de Robert X... a entraîné la reconstitution de la pleine propriété ; qu'en retenant qu'il résultait du décès de Robert X... une indivision entre Mme X... et les bénéficiaires de la donation, la cour d'appel a violé les articles 1076 et 617 du code civil ;

2°/ qu'ayant constaté que le décès de Robert X... avait éteint l'usufruit qu'il s'était réservé sur la moitié des parts sociales, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences qui s'inféraient de cette constatation en retenant qu'après son décès, l'usufruit s'était en définitive accru pour les grever toutes ; qu'elle a ce faisant violé l'article 617 du code civil ;

3°/ qu'en l'absence de stipulation de réversibilité, l'usufruit consenti par des époux sur un bien commun s'éteint au décès du premier d'entre eux, ce qui entraîne la reconstitution de la pleine propriété, à concurrence de ses droits dans la communauté ; que l'usufruit du conjoint survivant ne subsiste que pour sa seule part de communauté, la pleine propriété se trouvant reconstituée sur la tête du nu-propriétaire pour le reste ; qu'en retenant qu'après le décès de Robert X..., l'usufruit de son épouse portait sur l'intégralité des parts objet de la donation, la cour d'appel a conféré à l'usufruit un effet réversif qui avait été expressément écarté par les parties et a violé l'article 617 du code civil ensemble l'article 1134 du même code ;

4°/ que l'acte de donation-partage stipulait que « les donataires seront propriétaires des titres donnés compris dans leur attribution à compter de ce jour, mais ils n'en auront la jouissance qu'au jour du décès des donateurs, lesquels font réserve expresse à leur profit pour en jouir pendant leur vie, de l'usufruit sur les titres présentement donnés, observation était ici faite qu'il est expressément prévu que l'usufruit s'éteindra pour moitié au décès du premier des donateurs et pour l'autre moitié, au décès du second donateur » ; qu'il résultait de cette clause que les parties étaient convenues de l'extinction de leur droit d'usufruit par moitié à leurs décès respectifs ; qu'en retenant qu'au décès de Robert X..., l ‘ usufruit de Mme Claire X... grevait la totalité des parts données, la cour d'appel, qui a ainsi refusé de tenir compte de la volonté des parties, a violé l'article 1134 du code civil ;

Mais attendu que l'acte par lequel des époux distribuent et partagent leurs biens communs entre leurs héritiers présomptifs n'a pas pour effet, s'ils s'en réservent l'usufruit, de le diviser entre eux, cet usufruit leur demeurant commun ; qu'après avoir exactement retenu que l'usufruit que les donateurs s'étaient réservé sur les parts de la SCTF dépendait de la communauté conjugale, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que cet usufruit subsistait et continuait de grever l'intégralité des biens objets de la donation, soit chacune des 268 532 parts de la SCTF ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur la cinquième branche du moyen, ci-après annexé :

Attendu que le grief n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. Philippe X... et Mme Claire Y... veuve X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer aux consorts A... la somme totale de 3 000 euros et à la société AJP, représentée par M. Z..., ès qualités, la somme de 1 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour M. X... et Mme Y..., veuve X....

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit qu'au décès de Robert X..., l'usufruit que son épouse s'était réservé subsiste et continue de grever chacune des 268. 532 parts de la société SCTF, dit que le droit de vote ne peut pas être exercé sur les parts sociales détenues par les consorts A... et grevées de l'usufruit de Mme X... et dit que la désignation d'un représentant unique est rendue obligatoire ;

AUX MOTIFS QUE les époux Robert et Claire X..., soumis au régime de la communauté universelle, ont, par voie de donation-partage, donné à leurs deux enfants la nue-propriété de 143. 600 actions de la SSP sur lesquelles ils se sont réservé l'usufruit ; qu'ils ont, aux termes de ce même acte, imposé aux donataires de faire apport de leurs droits en nue-propriété sur les titres donnés, à la SCTF en cours de constitution, ce qui a été réalisé à concurrence de 268. 532 parts de cette société ; qu'il en résulte que, par l'effet de la subrogation, l'usufruit que les donateurs se sont réservé sur les parts sociales de la SSP s'est trouvé reporté sur les parts de la SCTF ; qu'aux termes des statuts de la SCTF, le capital social est divisé en 276. 000 parts ainsi réparties-Robert X... 134. 266 en usufruit et 2. 000 en pleine propriété,- Claire X... : 134. 266 en usufruit et 2. 000 en pleine propriété ;- Françoise A... : 134. 266 en nue-propriété et 1. 734 en pleine propriété ;- Philippe X... : 134. 266 en nue-propriété et 1. 734 en pleine propriété ; que la clause de l'acte de donation-partage selon laquelle " l'usufruit s'éteindra pour moitié au décès du premier des donateurs et pour l'autre moitié au décès du second donateur » est claire, en ce qu'elle rappelle le principe de non réversibilité de l'usufruit au décès du prémourant ; que dès lors que l'usufruit grevant les parts objet de la donation-partage avait deux titulaires et que les donateurs n'avaient pas prévu de clause de réversibilité au profit du survivant, au décès de Robert X..., l'usufruit que celui-ci s'était réservé s'est éteint ; qu'il est de principe que l'usufruit que des donateurs, communs en biens, se sont réservé sur un bien commun, est commun et, après dissolution de la communauté pour cause de décès notamment, indivis ; que dès lors, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, les droits en usufruit du défunt sont recueillis par les nus propriétaires à proportion de la quote-part ayant bénéficié à l'usufruitier prédécédé ; que l'usufruit que Claire X... s'était réservé subsiste et continue de grever l'intégralité des biens objet de la donation, soit chacune des 268. 532 parts de la SCTF ; que les statuts de la SCTF qui prévoient que l'usufruitier « dispose seul du droit de vote pour toutes les décisions sociales " (article 8) et que les époux Robert X... " pourront exercer chacun pour leur moitié les droits afférents à l'usufruit des parts qui leurs sont attribuées " (article 3) ne peuvent pas déroger au principe susvisé Dès lors Claire et Philippe X... d'une part, Claire X... et les consorts A... d'autre part, se trouvent en indivision pour la jouissance des parts de la SCTF ; qu'en l'état du conflit d'intérêts avéré entre les consorts A... et Claire X..., rendant impossible l'exercice du droit de vote sur les parts attribuées aux premiers et grevées de l'usufruit de la seconde, il y a lieu de dire que la désignation d'un représentant unique est obligatoire, étant relevé que la cour n'est pas saisie d'une demande de désignation de celui-ci, ni d'une demande subsidiaire des consorts X... ; que dès lors que les délibérations votées lors de l'assemblée générale du 28 juin 2013 de la SCTF l'ont été sans que les titulaires des droits de vote pour l'indivision X...-A... aient été valablement représentés, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'iI a prononcé l'annulation de cette assemblée générale,

1) ALORS QUE l'usufruit est de même nature que celle du bien qui en est l'objet ; que la donation-partage emporte attribution divise et répartition matérielle des biens qu'elle concerne ; que par l'acte du 27 juin 1989, les parts sociales de la société SSP ont été divisément attribuées et matériellement réparties par moitié entre Mr Philippe X... et Mme Françoise A... ; qu'elles ont été grevées d'un usufruit au profit de chacun des donateurs, de même nature divise que la nue-propriété ; que le décès de Robert X... a entrainé la reconstitution de la pleine propriété ; qu'en retenant qu'il résultait du décès de Robert X... une indivision entre Mme X... et les bénéficiaires de la donation, la cour d'appel a violé les articles 1076 et 617 du code civil ;

2) ALORS QU'ayant constaté que le décès de Robert X... avait éteint l'usufruit qu'il s'était réservé sur la moitié des parts sociales, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences qui s'inféraient de cette constatation en retenant qu'après son décès, l'usufruit s'était en définitive accru pour les grever toutes ; qu'elle a ce faisant violé l'article 617 du code civil ;

3) ALORS QU'en l'absence de stipulation de réversibilité, l'usufruit consenti par des époux sur un bien commun s'éteint au décès du premier d'entre eux, ce qui entraine la reconstitution de la pleine propriété, à concurrence de ses droits dans la communauté ; que l'usufruit du conjoint survivant ne subsiste que pour sa seule part de communauté, la pleine propriété se trouvant reconstituée sur la tête du nu-propriétaire pour le reste ; qu'en retenant qu'après le décès de M. Robert X..., l'usufruit de son épouse portait sur l'intégralité des parts objet de la donation, la cour d'appel a conféré à l'usufruit un effet réversif qui avait été expressément écarté par les parties et a violé l'article 617 du code civil ensemble l'article 1134 du même code ;

4) ALORS QUE l'acte de donation-partage stipulait que « les donataires seront propriétaires des titres donnés compris dans leur attribution à compter de ce jour, mais ils n'en auront la jouissance qu'au jour du décès des donateurs, lesquels font réserve expresse à leur profit pour en jouir pendant leur vie, de l'usufruit sur les titres présentement donnés, observation était ici faite qu'il est expressément prévu que l'usufruit s'éteindra pour moitié au décès du premier des donateurs et pour l'autre moitié, au décès du second donateur » ; qu'il résultait de cette clause que les parties étaient convenues de l'extinction de leur droit d'usufruit par moitié à leurs décès respectifs ; qu'en retenant qu'au décès de Robert X..., l ‘ usufruit de Mme Claire X... grevait la totalité des parts données, la cour d'appel, qui a ainsi refusé de tenir compte de la volonté des parties, a violé l'article 1134 du code civil ;

5) ALORS QUE les bénéficiaires d'un usufruit commun peuvent organiser librement le droit de vote entre eux ; que les statuts de la société SCTF prévoyaient une répartition du droit de vote par moitié entre Robert X... et Mme Claire X... ; qu'en retenant que Madame Claire X..., du fait du décès de son époux, ne pouvait plus exercer le droit de vote dont elle bénéficiait statutairement sur la moitié des parts sociales, la cour d'appel a violé l'article L225-110 du code de commerce ensemble l'article 1134 du code civil.



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Don, donation


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 29/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.