par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. com., 4 mai 2017, 16-12316
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Cour de cassation, chambre commerciale
4 mai 2017, 16-12.316

Cette décision est visée dans les définitions suivantes :
Contributif
Prêt




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Attendu que lorsqu'un emprunt est souscrit par plusieurs emprunteurs, l'existence d'un risque d'endettement excessif résultant de celui-ci doit s'apprécier au regard des capacités financières globales de ces coemprunteurs ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val-de-France (la Caisse) a consenti à M. et Mme Y... des prêts destinés à financer la création d'une entreprise artisanale de menuiserie et l'acquisition de matériels nécessaires à son fonctionnement ; que la société constituée en vue de cette exploitation ayant été mise en redressement, puis liquidation judiciaires, les 5 novembre 2009 et 6 mai 2010, la Caisse a assigné en paiement Mme Y..., qui a reconventionnellement recherché sa responsabilité pour manquement à son devoir de mise en garde ;

Attendu que pour dire que la Caisse avait manqué à son devoir de mise en garde à l'égard de Mme Y..., l'arrêt relève que celle-ci percevait un salaire mensuel de 1 500 euros et retient que la charge du remboursement des prêts, qui correspondait à plus de la moitié de ses revenus, était excessive ;

Qu'en statuant ainsi, sans prendre en compte l'ensemble des biens et revenus des co-emprunteurs lors de l'octroi des prêts, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val-de-France à payer à Mme Y... la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts et ordonne la compensation entre les créances respectives, l'arrêt rendu le 23 avril 2015, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bourges  ;

Condamne Mme Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val de France la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatre mai deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP de Chaisemartin et Courjon, avocat aux Conseils, pour la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Val-de-France

Il est fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, d'avoir dit que la CRCAM Val de France a manqué à son devoir de mise en garde envers Madame Sylvie Y... épouse Z... et de l'avoir, en conséquence, condamnée à payer à Madame Z... 20.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice que lui cause ces manquements ;

AUX MOTIFS QUE s'agissant du devoir de mise en garde du prêteur envers l'emprunteur, la circonstance que Mme Sylvie Z... ait été co-empruntrice des fonds litigieux ne suffit pas par elle-même à établir qu'elle fût impliquée dans les affaires de son mari, et il n'est pas justifié qu'elle l'ait effectivement été, alors que seul M. Florent Z... s'était immatriculé au registre des métiers puis, à compter de juin 2009, au registre du commerce comme exploitant du fonds de menuiserie et qu'elle-même avait conservé son emploi salarié à plein-temps ; qu'il n'est aucunement démontré qu'elle ait disposé de la moindre expérience des affaires, non plus que des connaissances en matière financière lui permettant d'appréhender, sans difficultés, les chances de remboursement des prêts sollicités, peu important que leurs modalités ne fussent pas complexes ; qu'elle doit donc être regardée comme un emprunteur non averti ; qu'un établissement de crédit, avant d'apporter son concours à un tel client, doit en vertu du devoir de mise en garde auquel il est tenu à son égard, l'alerter sur les risques encourus de non-remboursement et ne pas lui accorder un crédit excessif par rapport à ses facultés contributives ; que c'est à la banque de prouver qu'elle a satisfait à cette obligation ; que le Crédit Agricole ne rapporte absolument aucun élément à ce titre ; qu'il ressort des explications des parties, et des productions, que Mme Z... percevait alors en tout et pour tout un modeste salaire de 1.500 euros et qu'elle a souscrit auprès du Crédit Agricole pas moins de six crédits, trois le 26 janvier 2007, pour un total de (7.000 + 3.000 + 4.600) 14.600 euros et des remboursements de (159 + 69 + 105) 333 euros, deux le 2 février 2008 de (15.000 + 6.500) = 21.500 euros dont les échéances mensuelles s'élevaient à (227 + 125) = 402 euros, et un le 12 septembre 2008, s'agissant d'une ouverture de crédit en compte courant à durée indéterminée d'un montant maximum de 3.000 euros remboursable au taux effectif global de 12,94 % l'an, soit une charge de remboursement correspondant à la moitié de ses revenus au seul titre des cinq prêts sans même tenir compte de l'ouverture de crédit, ce qui excédait ses facultés contributives, particulièrement dans l'hypothèse, survenue, où elle serait seule recherchée en l'état de la déconfiture de l'affaire de son mari ; que le préjudice né du manquement d'un établissement de crédit à son obligation de mise en garde s'analyse en la perte d'une chance de ne pas contracter, ainsi que l'appelante le fait valoir, et les manquements du Crédit Agricole à l'égard de Mme Y... épouse Z... ont conduit celle-ci à souscrire des engagements qu'elle n'aurait probablement pas régularisés si la banque avait rempli son obligation, la chance perdue étant forte ; qu'elle recevra, en réparation, 20.000 euros à titre de dommages et intérêts ; qu'elle est fondée à solliciter la compensation entre les créances respectives ;

1) ALORS QU'il appartient à l'emprunteur non averti, recherchant la responsabilité de la banque pour manquement à son obligation de mise en garde, d'établir que le risque d'un endettement excessif, justifiant que l'établissement de crédit soit tenu d'une telle obligation, découlait de l'octroi des prêts litigieux ; qu'en affirmant qu'il appartenait à la banque de prouver qu'elle avait satisfait à son obligation de mise en garde, sans constater que Mme Z..., emprunteur non averti, avait établi l'existence, au moment de la souscription de chacun des prêts litigieux, d'un risque d'endettement excessif résultant de cette souscription, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

2) ALORS QUE, subsidiairement, lorsqu'un emprunt est souscrit par deux époux co-emprunteurs, l'existence d'un risque excessif d'endettement résultant de celui-ci doit être apprécié au regard des biens et ressources des deux époux, à la date de souscription du prêt ; qu'en se bornant à retenir, pour condamner la banque à payer des dommages et intérêts, que la charge résultant des cinq prêts excédait les facultés contributives de Mme Z..., cependant que cette charge devait être appréciée au regard des revenus et patrimoine global du couple, dont les deux conjoints avaient la qualité d'emprunteur, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;


3) ALORS QUE, très subsidiairement, le risque d'endettement excessif résultant de l'octroi d'un prêt doit être apprécié à la date de souscription de celui-ci ; qu'en se bornant à énoncer que la charge des remboursement des prêts souscrits par Mme Z... en qualité de co-emprunteuse, excédait les facultés contributives de celleci, sans distinguer selon les prêts et leurs dates de souscription respectives, et rechercher si, à chacune de ces dates, l'emprunteur avait établi l'existence d'un risque d'endettement excessif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil.



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Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 28/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.