par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 28 janvier 2010, 08-18837
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
28 janvier 2010, 08-18.837

Cette décision est visée dans la définition :
Responsabilité civile




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 1382 du code civil, ensemble l'article 1315 du même code ;

Attendu qu'atteinte d'une stérilité qu'elle impute à la prise par sa mère, durant sa grossesse, de l'hormone de synthèse dénommée dyéthylstilbestrol (DES), Mme X... a recherché la responsabilité, à titre principal de la seule société UCB Pharma, fabricante de la spécialité Distilbène® et, à titre subsidiaire, de ladite société et de la société Novartis santé familiale, distribuant la molécule sous le nom de Stilbestrol Borne ;

Attendu que pour rejeter l'ensemble des demandes en expertise et en indemnisation de Mme X..., l'arrêt attaqué retient que le fait que les deux sociétés aient toutes deux mis sur le marché la molécule à l'origine du dommage, fait non contesté, ne pouvant fonder une action collective, ce fait n'étant pas en relation directe avec le dommage, il conviendrait que soit établi que les deux produits lui ont été administrés, preuve non rapportée en l'espèce ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'en cas d'exposition de la victime à la molécule litigieuse, c'est à chacun des laboratoires qui a mis sur le marché un produit qui la contient qu'il incombe de prouver que celui-ci n'est pas à l'origine du dommage, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;


PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 juin 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne les sociétés UCB Pharma et Novartis santé familiale aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne, ensemble, à payer à Mme X... la somme de 3 000 euros ; rejette la demande de la société UCB Pharma ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit janvier deux mille dix.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt


Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils pour Mme X...

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir écarté les demandes d'indemnisation et d'expertise de Mme X... formées à l'encontre des sociétés UCB Pharma et Novartis ;

AUX MOTIFS QUE la charge de la preuve des faits qu'elle invoque incombe à Mme Sophie X..., demanderesse et appelante ; qu'il lui appartient d'établir cumulativement, pour que son action en responsabilité puisse prospérer, qu'elle a été exposée à la molécule DES, sous la forme de celle fabriquée par l'un au-moins des laboratoires en la cause et que cette molécule est à l'origine de son dommage, à savoir sa pathologie ; que la preuve du rôle causal de la molécule DES dans la pathologie de Mme Sophie X..., peut valablement résulter des analyses et avis des experts, au cours de l'expertise qui est demandée ; que Mme Sophie X... doit démontrer qu'elle a été exposée soit à l'un des deux produits fabriqués par les sociétés reprises par la S.A. UCB PHARMA et la S.A.S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE, le distilbène pour la SA UCB PHARMA et le stilbestrol Borne pour la SAS. NOVARTIS SANTE FAMILIALE, soit à ces deux produits concomitamment ou successivement ; que la SA UCB PHARMA et la SAS. NOVARTIS SANTE FAMILIALE contestent que cette preuve soit rapportée en l'occurrence ; (...) que le dossier médical de Mme Y..., mère de Mme Sophie X... ne fait mention d'aucune prescription de distilbène, mais simplement état sous la signature du Docteur Z..., ancien chef de service (décédé) « d'une grossesse surveillée spécialement du fait de l'insuffisance hormonale, rien de plus n'est précisé » ; qu'en réponse à la demande de Mme Y..., le Docteur A..., chef du service maternité du Centre hospitalier Saint Joseph et Saint Luc des hôpitaux de Lyon a confirmé qu'il n'y avait pas de trace de distilbène dans son dossier ; que Mme Sophie X... entend néanmoins, et en premier lieu, rapporter la preuve de son exposition au seul produit de la S.A. UCB PHARMA, le distilbène, et pour ce faire, invoque diverses attestations et pièces, qu'il convient d'examiner ; (...) que l'appelante se fonde sur plusieurs documents relatant son parcours médical dont notamment (...) : 1/ le compte rendu adressé, le 2 décembre 1996, au Docteur B... par le centre de radiologie d'Hlkrich-Graffenstaden de l'examen d'hystérosalpingographie pratiqué sur Mme Sophie X... qui conclut à « utérus hypoplastique évoquant un syndrome post distilbène. Epaississement de la trompe droite », 2/ le compte rendu d'un examen, pratiqué par coelioscopie le 5 mai 1997, par le Docteur C..., selon l'indication suivante « patiente ayant une hypoplasie utérine due au distilbène ainsi que deux antécédents de grossesses extra-utérine traitées de manière conservatrice par coelioscopie, une fois à droite, une fois à gauche », examen qui met en évidence un utérus de petite taille, 3/ le compte rendu d'une échographie gynécologique pratiquée le 11 août 1997 par le Docteur C... avec pour indication « suspicion de GEU chez une patiente ayant une hypoplasie due au distilbène et 2 antécédents de GEU (traitement conservateur») qui conclut à une échographie pelvienne normale ; qu'il convient de relever que si le premier document fait état d'un constat d'utérus évoquant un syndrome post distilbène, sans préciser sur quels documents médicaux ce constat est fondé, les deux autres compte-rendus d'examen ne visent ce syndrome qu'en tant qu'indication de l'examen et le compte-rendu de l'examen ne décrit aucun constat relatant et confirmant l'existence d'un tel syndrome ; (...) que ces documents se réfèrent pour certains à un syndrome DES et pour d'autres à un syndrome post distilbène ; que la S.A. UCB PHARMA produit des éléments de preuve de ce que le terme « distilbène » était employé, même par des spécialistes, au sens générique, au lieu de celui de diethylstilbestrol ou DES (...) ; que ces attestations et pièces ne constituent donc pas des preuves certaines de l'exposition de Mme Sophie X... au distilbène durant la grossesse de sa mère, ni davantage les présomptions graves, précises et concordantes, exigées par l'article 1353 du code civil ; (... ) que la notion d'action collective ou commune, ne peut trouver à s'appliquer que dans les cas où tous les participants ont commis des fautes indissociables, ou des fautes connexes, ou une action concertée, chacun ayant contribué à la réalisation du dommage, ou, en d'autres termes, en relation avec le dommage ; qu'il n'existe aucune présomption de lien de causalité en cette matière ; G.) qu'il incombe en conséquence à la cour, de rechercher les éléments de preuve certaine d'une action collective ; (...) que le fait que les deux laboratoires ont tous deux mis sur le marché la molécule à l'origine du dommage, fait non contesté, ne peut pas en tenir lieu, ce fait n'étant pas en relation directe avec le dommage subi par Mme Sophie X... ; qu'il conviendrait que soit de plus établi, que les molécules DES qu'ils produisent, ont toutes deux concouru au dommage particulier subi par Mme Sophie X..., c'est à dire qu'elles lui ont toutes deux été administrées, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, aucun élément de preuve d'une administration du produit de la S.A.S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE n'étant versé aux débats, et la cour ayant estimé, que les éléments de preuve de l'administration du distilbène de la S.A. UCB PHARMA produits aux débats, étaient insuffisants ; que la preuve d'une action collective ou concertée n'est pas rapportée ; que la stérilité, multifactorielle, n'est pas nécessairement liée à l'exposition au DES (arrêt, p. 3-6) ;

ALORS QUE lorsqu'un dommage est causé par un membre indéterminé d'un groupe, tous les membres identifiés en répondent solidairement sauf pour chacun d'eux à démontrer qu'il ne peut en être l'auteur ; que forment en ce sens un groupe les laboratoires qui ont mis sur le même marché et à une même époque sous des noms différents une même molécule à laquelle il est reproché d'avoir causé des dommages à la santé et qui ont tous commis la même faute consistant en l'absence de surveillance du produit et de ses effets nocifs; que Mme X... faisait valoir qu'elle était née en 1970, soit à une époque où le DES était habituellement prescrit en France, et qu'elle présentait une malformation de la cavité utérine et d'une stérilité caractéristiques d'une exposition au DES ; que l'arrêt constate que les deux laboratoires ont mis le DES sur le marché français à l'époque concernée ; qu'en écartant la responsabilité solidaire des sociétés UCB et Novartis au prétexte que la preuve n'était pas rapportée par la demanderesse que le DES que ces laboratoires fabriquaient lui avait été concurremment administré, quand la circonstance qu'ils l'avaient exposée in utero aux risques induits par cette molécule était établi, ce dont il résultait qu'ils formaient entre eux un groupe identifié susceptible d'être l'auteur des dommages litigieux, à supposer l'exposition au DES acquise, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1382 du code civil ;

ET AUX MOTIFS, À LES SUPPOSÉS ADOPTES, QUE Mme X... ne conteste pas qu'elle ne dispose d'aucun document source sur la prise de DES par sa mère ; que son propre dossier médical, lors de sa constitution en 1996 et les années suivantes pose la question d'une exposition au DES, sans certitude ; qu'un syndrome post DES est évoqué avec constance, mais nullement affirmé, le dossier de sa mère évoque une insuffisance hormonale sans autre précision ; que la déclaration tardive de la mère après le déclenchement de la procédure n'a pas de caractère probant de la prise du médicament allégué ; que s'il peut se déduire du parcours médical difficile de la demanderesse son exposition au DES, il convient de souligner qu'à l'époque, la même molécule était commercialisée, sous des appellations différentes... que dès lors et à supposer avérée l'exposition, rien ne permet de savoir quel laboratoire est impliqué, le produit d'UCB étant il est vrai le plus couramment vendu ; que Madame X... ne saurait être suivie dans sa demande de responsabilité collective étrangère au droit français, en l'absence de loi la prévoyant, car si la faute est commune aux deux laboratoires encore faut-il démontrer quel médicament, commercialisé par quel laboratoire est à l'origine du dommage ; que la condition première à l'obligation in solidum est la certitude de la contribution de chacun des laboratoires à l'apparition de l'entier dommage, ou au moins de sa participation effective et/ou significative à la réalisation du dommage ; qu'ainsi, l'accumulation d'indices négatifs ne permet pas de retenir une exposition au DES (jugement, p.3) ;

ALORS, D'UNE PART, QU'en constatant d'un côté qu'« il peut se déduire du parcours médical difficile de la demanderesse son exposition au DES » tout en affirmant de l'autre que « l'accumulation d'indices négatifs ne permet pas de retenir une exposition au DES », la cour d'appel s'est contredite sur le point de savoir si la demanderesse avait été exposée ou non au DES, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

ALORS, D'AUTRE PART, QUE la preuve de l'imputabilité du dommage au produit que vendaient exclusivement les deux laboratoires défendeurs peut résulter de présomptions précises, graves et concordantes ; qu'en ne recherchant pas si les documents produits, notamment les comptes-rendus de radiologie, de coelioscopie et d'échographie gynécologique, ainsi que les études scientifiques sur la forte probabilité d'imputabilité de la pathologie subie par Mme X... à l'exposition au DES, ne constituaient pas des présomptions graves, précises et concordantes de l'exposition certaine de Mme X... au DES, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1353 du Code civil, ensemble 1382 du Code civil ;

ALORS, EN OUTRE, QUE, lorsque la victime établit que la pathologie ou la malformation dont elle est atteinte est attribuée communément au DES, qu'elle a été conçue en France à une période où ce principe actif y était massivement prescrit aux femmes enceintes et qu'il n'existe pas d'autre cause connue de ses dommages qui lui soit propre, il appartient alors au laboratoire, dont la responsabilité est recherchée, de prouver que celle-ci n'a pas été exposée au produit qu'il a mis sur le marché français à cette époque ; que Mme X... faisait valoir qu'elle était née en 1970, soit à une époque le DES était habituellement prescrit, et qu'elle présentait une malformation de la cavité utérine (utérus hypoplasique) et était victime de fausses couches récurrentes, symptômes caractéristiques d'une exposition au DES ; qu'en lui imposant en toute circonstance d'apporter la preuve de ce que sa mère s'était fait prescrire du DES durant sa grossesse, malgré l'impossibilité dans laquelle elle était d'obtenir des copies des ordonnances précisant le traitement hormonal qu'elle suivait à cette période, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1382 du Code civil ;

ALORS, ENFIN, QUE celui qui par sa faute crée un risque pour la santé humaine doit répondre des dommages qui apparaissent comme la réalisation normale et prévisible du risque ainsi créé ; que Mme X... soutenait que les laboratoires avaient manqué à leur obligation de vigilance en ne procédant pas à une surveillance des risques pesant sur les enfants par l'administration à leur mère du DES, lesquels risques étaient identifiés depuis les années cinquante, soit antérieurement à sa naissance, et qu'elle souffrait d'une malformation utérine et d'une stérilité symptomatiques d'une exposition au DES ; qu'il en résultait que les laboratoires engageaient leur responsabilité par la création fautive d'un risque à laquelle Mme X... avait été exposée et dont les dommages qu'elle subissait apparaissaient comme étant la réalisation évidente ; qu'en se bornant cependant à affirmer qu'il lui appartenait de prouver son exposition au DES durant la grossesse de sa mère, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil.



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Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 10/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.