par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 5 mars 2014, 12-29112
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
5 mars 2014, 12-29.112

Cette décision est visée dans la définition :
Arbitrage




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en ses diverses branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 novembre 2012), qu'un différend financier est né entre la société Diag Human (la société), dont le siège est au Liechtenstein, qui fournissait du plasma humain au ministère de la santé de la République tchèque, et celle-ci ; que les parties ont conclu une convention d'arbitrage, puis mis en oeuvre un arbitrage ad hoc ; qu'une sentence partielle du 27 mai 1998 a reconnu le principe de la responsabilité de la République tchèque et qu'une autre du 25 juin 2002 a alloué à la société diverses sommes en réparation de certains chefs de préjudice ; qu'un tribunal arbitral statuant sur les derniers points en litige a, par décision du 4 août 2008, dit que la République tchèque était tenue de verser diverses sommes à la société ; que, le 22 août 2008, la République tchèque a notifié à la société une demande de réexamen de cette dernière décision ; que la société a sollicité l'exequatur de la sentence du 4 août 2008 ;

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen :

1°/ que constitue une sentence susceptible de recevoir l'exequatur, tout acte des arbitres qui tranche, de manière définitive, en tout ou partie, le litige qui leur est soumis ; que tel est le cas de « la sentence définitive », qui comme celle en cause en l'espèce, a été rendue dans le cadre d'une procédure arbitrale soumise à réexamen dans laquelle les parties disposent de la possibilité, une fois la sentence rendue, de faire réexaminer l'affaire par un autre tribunal arbitral dès lors que cette sentence a tranché le litige soumis aux arbitres et ce, même si les parties ont usé de leur faculté de faire réexaminer l'affaire ; que la cour d'appel, qui a jugé l'inverse, a violé les articles 1484, 1514 et 1516 du code de procédure civile ;

2°/ que l'exequatur doit être prononcé au regard de la régularité intrinsèque de la décision soumise au juge et sans égard au sort qui pourrait lui être réservé du fait de l'exercice des voies de recours ouvertes contre celle-ci par la convention d'arbitrage ou la loi du lieu du siège de l'arbitrage ; que la cour d'appel, qui a refusé l'exequatur en raison de la demande de réexamen formulée par la République tchèque, a violé l'article 1516 du code de procédure civile ;

3°/ que sauf le recours en révision prévu à l'article 1502 du code de procédure civile, le droit français de l'arbitrage international interdit l'exercice de toute voie de recours contre la sentence ; qu'en affirmant que l'institution par la Convention d'arbitrage d'une procédure de réexamen ne heurte aucune règle du droit français quand une telle procédure, qui vise à faire réexaminer l'entier litige par une nouvelle formation arbitrale, constitue une voie de recours offerte aux parties contre la sentence, la cour d'appel a violé les articles 1502, 1506, 1516, 1520 et 1525, alinéa 4, du code de procédure civile ;

4°/ que l'exequatur d'une sentence rendue à l'étranger ne peut être refusé par le juge d'appel que dans les cas prévus à l'article 1520 du code de procédure civile ou s'il n'est pas saisi d'une véritable sentence, tranchant tout ou partie du litige soumis aux arbitres ; qu'à supposer que, comme l'a retenu l'arrêt attaqué, la sentence déférée à la cour d'appel ne pouvait acquérir autorité de la chose jugée qu'en l'absence d'une demande de réexamen, il appartenait alors à la cour d'appel, à laquelle incombait le soin de vérifier si elle était ou non saisie d'une sentence ayant autorité de la chose jugée, de rechercher si, comme le soutenait la société Diag Human (cf. ses conclusions d'appel, p. 9 § 8 et 9, p. 10 § 1 et 2 et p. 12 § 2 à 8), la demande de réexamen avait été valablement formée, faute de quoi celle-ci ne pouvait empêcher la sentence d'acquérir l'autorité de la chose jugée ; que la cour d'appel, qui a refusé de le faire, a violé les articles 1484, 1514, 1516, 1520 et 1525, alinéa 4, du code de procédure civile ;

5°/ qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de contrôler la qualification de sentence et, partant, le respect des articles 1520 et 1525, alinéa 4, du code de procédure civile ; qu'elle a ainsi privé sa décision de base légale au regard de ces articles ;

6°/ que l'exécution des décisions de justice, fussent-elles de nature arbitrale, relève des garanties du droit à un procès équitable résultant de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ; qu'en refusant l'exequatur de la sentence définitive rendue le 4 août 2008 à l'issue d'une procédure arbitrale qui avait duré douze ans et ce, alors même qu'il était par ailleurs constant et non contesté que le tribunal arbitral devant réexaminer l'affaire n'était toujours pas constitué à la date de
son arrêt, soit plus de quatre après la demande de réexamen, la cour d'appel, qui a fait obstacle à l'exécution de la seule décision rendue dans un contentieux qui dure depuis seize ans, a méconnu les exigences du droit à un procès équitable et a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

7°/ qu'une sentence arbitrale constitue un bien au sens de l'article 1 du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, de sorte que toute ingérence de l'Etat dans la substance même du droit de propriété qui s'y attache doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu ; qu'en refusant l'exequatur de la sentence définitive rendue le 4 août 2008 à l'issue d'une procédure arbitrale qui avait duré douze ans et ce, alors même qu'il était par ailleurs constant et non contesté que le tribunal arbitral devant réexaminer l'affaire n'était toujours pas constitué à la date de son arrêt, soit plus de quatre après la demande de réexamen, la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée à la substance même du droit de propriété s'attachant à cette sentence et a ainsi violé l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ;

Mais attendu que l'arrêt constate qu'en application de l'article V de la convention d'arbitrage les parties s'étaient réservé la faculté de demander le réexamen de la décision du tribunal arbitral et que celle-ci n'acquerrait force de chose jugée qu'à défaut d'une demande de nouvel examen dans le délai convenu ; qu'ayant relevé, d'abord, que le qualificatif de sentence arbitrale définitive attribuée par les arbitres à leur décision du 4 août 2008 faisait seulement référence au fait qu'ils y avaient réglé les derniers points en litige après plusieurs sentences partielles, ensuite, que la République tchèque avait formé, dans les délais prévus, une demande de réexamen de la décision du 4 août 2008 et qu'un second tribunal arbitral était en cours de constitution, enfin, que l'autorité de chose jugée n'était attachée qu'aux seules sentences arbitrales, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, en a exactement déduit que la demande de réexamen anéantissait la décision originaire ; que le moyen, qui est irrecevable comme nouveau et mélangé de fait en ses deux dernières branches, ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Diag Human aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la République tchèque la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille quatorze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Fabiani et Luc-Thaler, avocat aux Conseils, pour la société Diag Human.

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR rejeté la demande de la société DIAG HUMAN tendant à faire revêtir de l'exequatur la sentence arbitrale définitive du 4 août 2008 et de l'AVOIR condamnée à payer à la République tchèque une indemnité de 20.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE : « la sentence internationale, qui n'est rattachée à aucun ordre juridique étatique, est une décision de justice internationale dont la régularité est examinée au regard des règles applicables dans le pays où sa reconnaissance et son exécution sont demandées ; que constituent de véritables sentences, les actes des arbitres qui tranchent de manière définitive, en tout ou partie, le litige qui leur est soumis, que ce soit au fond, sur la compétence ou sur un moyen de procédure qui les conduit à mettre fin à l'instance ; qu'en l'espèce, à la suite de la fourniture par DIAG HUMAN de plasma sanguin au ministère de la santé tchèque, un différend est survenu que les parties sont convenues de soumettre à l'arbitrage ; qu'une convention a été conclue à cet effet le 18 septembre 1996, prévoyant un arbitrage ad hoc ; qu'aux termes de l'article V de cette convention : « Les parties ont également convenu que la sentence arbitrale serait susceptible d'être réexaminée par d'autres arbitres que les parties choisiront de la même manière, si une demande de réexamen parvient à l'autre partie dans un délai de 30 jours après la date à laquelle la sentence arbitrale est parvenue à la partie demandant le réexamen (...) Si une demande de réexamen ne parvient pas à l'autre partie dans ledit délai, la sentence arbitrale acquerra force de chose jugée et les parties s'engagent à respecter de plein gré le délai fixé par les arbitres, faute de quoi elle pourra être exécutée par le tribunal compétent » ; que des juridictions arbitrales composées de trois membres siégeant à Prague ont rendu notamment une sentence partielle de réexamen en date du 27 mai 1998 reconnaissant le principe de la responsabilité de la REPUBLIQUE TCHEQUE, une autre sentence partielle de réexamen en date du 25 juin 2002 allouant à DIAG HUMAN des dommages-intérêts en réparation de certains chefs de préjudice et enfin, la sentence du 4 août 2008, dont l'exequatar fait l'objet de la présente contestation, qui se prononce sur tous les points qui restaient en litige ente les parties ; qu'il est constant que cette dernière décision a été notifiée aux deux parties le 13 août 2008 et que le 22 août 2008, la REPUBLIQUE TCHEQUE a notifié à DIAG HUMAN une demande de réexamen contenant désignation de son arbitre dans la nouvelle instance ; que la procédure de constitution du second tribunal arbitral est toujours en cours ; que si suivant l'article 1484 alinéa 1er du code de procédure civile, applicable en matière d'arbitrage international en vertu de Partîele 1506, 4° du même code, la sentence arbitrale a, dès qu'elle est rendue, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'elle tranche, il n'en va ainsi que pour autant que l'acte en cause s'analyse en une véritable sentence ; qu'il appartient au juge de l'exequatur de se prononcer sur ce point et, le cas échéant, de requalifïer un acte inexactement dénommé ; que si, en l'espèce, le document soumis à l'exequatur s'intitule sentence arbitrale définitive, ce dernier qualificatif faisant du reste seulement référence à la circonstance que s'y trouvent examinés les derniers points en litige après qu'ont été rendues plusieurs sentences partielles, il résulte clairement des stipulations précitées de la 'arbitrage, que la commune intention des parties était de refuser à un tel acte la qualité de sentence dès lors qu'une demande de réexamen était formée dans le délai ; que de tels aménagements conventionnels ne heurtent aucune règle du droit français qui n'attache l'autorité de chose jugée qu'aux seules sentences arbitrales ; que si HUMAN DIAG fait valoir que la demande de réexamen formée par la REPUBLIQUE TCHEQUE est irrégulière faute de qualité de son signataire, de sorte que la sentence du 4 août 2008 serait devenue définitive, ce moyen est une fin de non-recevoir de la seconde instance arbitrale qu'il n'appartient qu'aux arbitres de trancher ; qu'il résulte de ce qui précède que l'ordonnance qui a conféré l'exequatur à un acte dépourvu des caractères d une sentence arbitrale doit être infirmée » ;

ALORS, D'UNE PART, QUE constitue une sentence susceptible de recevoir l'exéquatur, tout acte des arbitres qui tranche, de manière définitive, en tout ou partie, le litige qui leur est soumis ; que tel est le cas de « la sentence définitive », qui comme celle en cause en l'espèce, a été rendue dans le cadre d'une procédure arbitrale soumise à réexamen dans laquelle les parties disposent de la possibilité, une fois la sentence rendue, de faire réexaminer l'affaire par un autre tribunal arbitral dès lors que cette sentence a tranché le litige soumis aux arbitres et ce, même si les parties ont usé de leur faculté de faire réexaminer l'affaire ; que la cour d'appel, qui a jugé l'inverse, a violé les articles 1484, 1514 et 1516 du code de procédure civile ;

ALORS, D'AUTRE PART, QUE l'exéquatur doit être prononcé au regard de la régularité intrinsèque de la décision soumise au juge et sans égard au sort qui pourrait lui être réservé du fait de l'exercice des voies de recours ouvertes contre celle-ci par la convention d'arbitrage ou la loi du lieu du siège de l'arbitrage ; que la cour d'appel, qui a refusé l'exéquatur en raison de la demande de réexamen formulée par la République tchèque, a violé l'article 1516 du code de procédure civile ;

ALORS, DE TROISIEME PART, QUE sauf le recours en révision prévu à l'article 1502 du code de procédure civile, le droit français de l'arbitrage international interdit l'exercice de toute voie de recours contre la sentence ; qu'en affirmant que l'institution par la Convention d'arbitrage d'une procédure de réexamen ne heurte aucune règle du droit français quand une telle procédure, qui vise à faire réexaminer l'entier litige par une nouvelle formation arbitrale, constitue une voie de recours offerte aux parties contre la sentence, la cour d'appel a violé les articles 1502, 1506, 1516, 1520 et 1525 alinéa 4 du code de procédure civile ;

ALORS, DE QUATRIEME PART ET SUBSIDIAIREMENT, QUE l'exequatur d'une sentence rendue à l'étranger ne peut être refusé par le juge d'appel que dans les cas prévus à l'article 1520 du code de procédure civile ou s'il n'est pas saisi d'une véritable sentence, tranchant tout ou partie du litige soumis aux arbitres ; qu'à supposer que, comme l'a retenu l'arrêt attaqué, la sentence déférée à la cour d'appel ne pouvait acquérir autorité de la chose jugée qu'en l'absence d'une demande de réexamen, il appartenait alors à la cour d'appel, à laquelle incombait le soin de vérifier si elle était ou non saisie d'une sentence ayant autorité de la chose jugée, de rechercher si, comme le soutenait la société DIAG HUMAN (cf. ses conclusions d'appel, p. 9 § 8 et 9, p. 10 § 1 et 2 et p. 12 § 2 à 8), la demande de réexamen avait été valablement formée, faute de quoi celle-ci ne pouvait empêcher la sentence d'acquérir l'autorité de la chose jugée ; que la cour d'appel, qui a refusé de le faire, a violé les articles 1484, 1514, 1516, 1520 et 1525 alinéa 4 du code de procédure civile ;

ALORS, DE CINQUIEME PART, QU'en statuant de la sorte, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de contrôler la qualification de sentence et, partant, le respect des articles 1520 et 1525 alinéa 4 du code de procédure civile ; qu'elle a ainsi privé sa décision de base légale au regard de ces articles ;

ALORS, DE SIXIEME PART, QUE l'exécution des décisions de justice, fussent-elles de nature arbitrale, relève des garanties du droit à un procès équitable résultant de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ; qu'en refusant l'exéquatur de la sentence définitive rendue le 4 août 2008 à l'issue d'une procédure arbitrale qui avait duré douze ans et ce, alors même qu'il était par ailleurs constant et non contesté que le tribunal arbitral devant réexaminer l'affaire n'était toujours pas constitué à la date de son arrêt, soit plus de quatre après la demande de réexamen, la cour d'appel, qui a fait obstacle à l'exécution de la seule décision rendue dans un contentieux qui dure depuis seize ans, a méconnu les exigences du droit à un procès équitable et a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

ALORS, DE SEPTIEME PART ET ENFIN, QU'une sentence arbitrale constitue un bien au sens de l'article 1 du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, de sorte que toute ingérence de l'Etat dans la substance même du droit de propriété qui s'y attache doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu ; qu'en refusant l'exéquatur de la sentence définitive rendue le 4 août 2008 à l'issue d'une procédure arbitrale qui avait duré douze ans et ce, alors même qu'il était par ailleurs constant et non contesté que le tribunal arbitral devant réexaminer l'affaire n'était toujours pas constitué à la date de son arrêt, soit plus de quatre après la demande de réexamen, la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée à la substance même du droit de propriété s'attachant à cette sentence et a ainsi violé l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.



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Arbitrage


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 09/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.