par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. soc., 28 septembre 2016, 15-17288
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Cour de cassation, chambre sociale
28 septembre 2016, 15-17.288

Cette décision est visée dans la définition :
Europe / Droit communautaire




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le moyen unique :

Vu l'article 19, paragraphe 2, a), du Règlement (CE) n° 44/ 2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;

Attendu qu'il résulte de ce texte qu'un employeur ayant son domicile sur le territoire d'un Etat membre peut être attrait dans un autre Etat membre devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant le tribunal du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail ; que le lieu de travail habituel est l'endroit où le travailleur accomplit la majeure partie de son temps de travail pour le compte de son employeur en tenant compte de l'intégralité de la période d'activité du travailleur ; qu'en cas de périodes stables de travail dans des lieux successifs différents, le dernier lieu d'activité devrait être retenu dès lors que, selon la volonté claire des parties, il a été décidé que le travailleur y exercerait de façon stable et durable ses activités ; que lorsque le salarié a effectué une succession de contrats à durée déterminée, il y a lieu en premier lieu de rechercher si ces contrats doivent être considérés dans leur ensemble pour déterminer une compétence juridictionnelle unique ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... Y..., de nationalité portugaise, a été engagé par la société de droit italien Enviai qui avait un établissement à Nice, par plusieurs contrats à durée déterminée, à partir du 6 février 2008 ; qu'il a pris acte de la rupture de son contrat à compter du 2 mars 2011 ;

Attendu que pour déclarer la juridiction prud'homale française incompétente pour statuer sur ses demandes en ce qui concerne sa relation de travail « avec la société Enviai sise à Ceranesi en Italie » et renvoyer, sur ce point, le salarié à mieux se pourvoir, l'arrêt retient que si les premiers contrats stipulent de façon claire le chantier naval de Saint-Nazaire comme lieu d'exécution du travail, il n'en est pas de même des contrats suivants dans le cadre desquels le salarié a travaillé en différents lieux de France et d'Italie ; que dès lors, en l'absence de volonté claire des parties sur la localisation de l'emploi du salarié, les contrats litigieux ne relèvent pas de la compétence du conseil de prud'hommes de Saint-Nazaire ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si la France n'était pas le lieu de travail habituel où le salarié avait accompli la majeure partie de son temps de travail pour le compte de son employeur en tenant compte de l'intégralité de la période d'activité du travailleur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il se déclare incompétent pour statuer sur les demandes de M. X... Y... en ce qui concerne sa relation de travail avec la société Enviai SPA sise à Ceranesi en Italie et renvoie le salarié à mieux se pourvoir, l'arrêt rendu le 30 mai 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;

Condamne la société Enviai SPA aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 3 000 euros à la SCP Le Bret-Desaché à charge pour cette dernière de renoncer à percevoir l'indemnité prévue par l'Etat ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par la SCP Le Bret-Desaché, avocat aux Conseils, pour M. Bruno X... Y....

- IL EST FAIT GRIEF A l'arrêt confirmatif attaqué de s'être déclaré incompétent pour statuer sur les demandes de Monsieur Bruno X... en ce qui concerne sa relation de travail avec la société ENVIAI SPA sise à CERANESI en ITALIE et a renvoyé Monsieur Bruno X... à mieux se pourvoir.

- AU MOTIF QUE L'article R 1412-1 du Code du Travail dispose que : " l'employeur et le salarié porte les différends et litiges devant le conseil des Prud'hommes territorialement compétent-Soit celui dans le ressort duquel est situé l'établissement où est accompli le travail ;

- Soit, lorsque le travail est accompli à domicile ou en dehors de toute entreprise ou établissement, celui dans le ressort duquel est situé le domicile du salarié.

Le salarié peut également saisir les conseils de prud'hommes du lieu oh l'engagement a été contracté ou celui du lieu où l'employeur est établi.

La jurisprudence de la Cour de cassation reprenant à son compte une définition donnée de longue date par la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) rappelle que le lieu habituel du travail s'entend comme l'endroit où le travailleur accomplit la majeure partie de son temps de travail pour le compte de son employeur en tenant compte de l'intégralité de la période d'activité du travailleur, dès lors que selon la volonté claire des parties, il a été décidé que le travailleur y exercerait de façon stable et durable son activité. Le contrat de travail du 6 février 2008 et son avenant signé le 28 avril 2008 au 31 juillet 2008, rédigés en français et conclus entre la société ENVIAI SPA, domiciliée à Nice auprès de SEMERIA et ASSOCIES et Monsieur Bruno X..., de nationalité portugaise demeurant à SETUBAL (...) mentionnent que le lieu de travail de Monsieur X... est situé à Saint-Nazaire sur le chantier naval précité et que le travailleur peut être " amené à se déplacer partout où les nécessités de son travail l'exigeront ". Ces contrats édictant, de façon claire que le lieu d'exécution du travail par le salarié est Saint-Nazaire, relèvent, en conséquence, de la compétence du conseil des prud'hommes de Saint-Nazaire. Le jugement déféré sera confirmé sur ce point. Les autres contrats ont été signés entre la société ENVIAI SPA, domiciliée en son siège social sis, à 16010 CERANESI, (province de Gênes), via B. Parodi, 124, et Monsieur Bruno X..., dont l'adresse postale est située à ... SETUBAL PORTOGALLO. Le contrat du 18 août 2008 au 15 mai 2009 mentionne : " la raison de votre engagement à durée déterminée est justifiée par des motifs d'organisation, production pour faire face à l'ordre d'exécution de travaux sur le chantier AKER France à Saint-Nazaire c/ o Chantiers de l'Atlantique ", mais précise que " le lieu de travail se trouvera dans (nos) les locaux sis à Ceranesi (GE), Via B. Parodi, 124 " et que " la société contractante se réserve la possibilité de vous transférer auprès d'un autre siège, établissement, filiale, bureau, département autonome ou chantier (éventuellement dans le cadre de sociétés associées) pour des raisons d'ordre technique administratif et de production ". Par lettre du 14 mai 2009, le contrat à durée déterminée du 18 août 2008 a été prorogé au 31 mars 2010 et la prorogation est justifiée par des motifs tenant à la prolongation de la durée initialement prévue pour faire face à " Ici commande sur le chantier AKER France à Saint-Nazaire c/ o Chantiers de l'Atlantique ". Dans le contrat du 09 avril 2010, ENVIAI SPA a confirmé l'engagement de Monsieur X... " à durée déterminée à compter du 09/ 0412010 " (...) en application de l'art. I S I du Décret Législatif 06/ 09/ 2001, n° 368 (...) venant à expiration le 30/ 06/ 2010 " et aux termes de ce contrat, il est mentionné que " la raison de votre (l') engagement à durée déterminée est justifiée par des motifs d'organisation/ production afin de réparer les soudures précédemment effectuées qui se sont avérées non conformes à l'ordre d'exécution de travaux sur le chantier AKER France à Saint-Nazaire c/ o Chantiers de l'Atlantique ". Toutefois, le contrat indique : " Votre lieu de travail se trouvera dans nos locaux sis à Ceranesi (GE), Via B. Parodi, 124 " et " la société contractante se réserve la possibilité de vous transférer auprès d'un autre siège, établissement, filiale, bureau, département autonome ou chantier (éventuellement dans le cadre de sociétés associées) pour des raisons d'ordre technique administratif et de production ". Par lettre du 30 juin 2010 au 31 mai 2011 précisant " la raison de la prorogation est justifiée par des motifs d'organisation/ production, et précisément tenant à la prolongation de la durée initialement prévue de l'ordre d'exécution de travaux sur le chantier de l'immeuble Saint Ouen II-Oger international sis à 70-80 rue St. Denis-93400 Saint Ouen, ENVIAI SPA confirme la prorogation du contrat à durée déterminée depuis le 9/ 04/ 2010 venant à échéance le 31/ 06/ 2010, jusqu'au 31/ 05/ 2011. Outre que les bulletins de salaire italiens indiquent tous comme domicile du salarié : Portogallo puis Ceranesi il est, en outre, établi, notamment, par six tableaux des lieux d'ancrage du paquebot SPLENDIDA en avril, mai et juin 2010, que Monsieur X... a travaillé sur ce paquebot basé à Gênes en qualité de technicien et qu'à partir du 20 avril 2010, il a été admis sur le chantier FINCANTIERI à LA SPEZIA, comme établi par la demande d'entrée dans le chantier du 19 avril 2010. A partir du 30 juin 2010, Monsieur X... a été affecté sur le " chantier de l'immeuble Saint Ouen II-Oger international sis à 70-80 rue St. Denis-93400 Saint Ouen Paris ", comme établi par la lettre du 30 juin 2010 d'ENVIAI SPA ayant prorogé jusqu'au 31/ 05/ 2011 son second contrat de travail à durée déterminée. A partir du 1er septembre 2010, Monsieur X... qui devait travailler sur le chantier MARIOTTI à Gênes, du fait de ses arrêts de travail, n'a pu intégrer ce dernier chantier et le 25/ 10/ 2010 et, ENVIAI SPA a mis fin par anticipation au second contrat de travail italien (prorogé jusqu'au 31 mai 2011), pour " absence injustifiée du travailleur ". Il résulte des contrats de travail italiens qu'il n'avait été convenu, selon la volonté claire des parties que Monsieur X... exercerait de façon stable et durable ses activités à son domicile en France, ces contrats mentionnant que " le lieu de travail se trouvera dans les locaux sis à Ceranesi (GE), Via B. Parodi, 124 " et que " la société contractante se réserve la possibilité de (vous) transférer auprès d'un autre siège, établissement, filiale, bureau, département autonome ou chantier (éventuellement dans le cadre de sociétés associées) pour des raisons d'ordre technique administratif et de production "...). Il est par ailleurs démontré que dans le cadre desdits contrats, Monsieur X... a travaillé à Ceranesi, à Saint Nazaire, à Gênes, à la Spezia, de nouveau à Gênes, à Saint Ouen et aurait dû travailler à nouveau à Gênes. Ainsi, au sens de la jurisprudence susvisée et en l'absence de volonté claire des parties sur la localisation de l'emploi de Monsieur X... en France, les contrats litigieux ne relèvent pas de la compétence du Conseil de Prud'hommes de Saint-Nazaire. En conséquence, la Cour confirme le jugement du Conseil de Prud'hommes sur l'exception d'incompétence territoriale internationale en ce qui concerne les contrats de travail italiens.

- ALORS QUE D'UNE PART il résulte des propres constatations de la cour que le travail de Monsieur X... devait s'effectuer sur le chantier de Saint-Nazaire, tant dans le contrat d'août 2008 que dans ceux des 14 mai 2009 et 9 avril 2010, et pendant une durée de près de deux années, les travaux ensuite réalisés à Gênes et à La Spezia ayant pris fin en juin 2010, ce qui ne couvrait qu'une période de trois mois, et ayant été suivis d'une affectation sur un autre chantier situé également en France à Saint Ouen ; qu'il s'évinçait de ses propres constatations que le lieu où s'effectuait le travail de manière stable et durable était bien, selon la volonté des parties, le chantier de Saint Nazaire en France ; qu'en en déduisant cependant qu'il n'était pas justifié d'une volonté claire des parties de localiser l'emploi du salarié en France, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article 19 du Règlement CE n° 44/ 2001 du Conseil du 22 décembre 2000

- ALORS QUE D'AUTRE PART en se bornant à énoncer que les différents contrats de travail litigieux mentionnaient que " le lieu de travail se trouvera dans les locaux sis à Ceranesi (GE), Via B. Parodi, 124 " et que " la société contractante se réserve la possibilité de (vous) transférer auprès d'un autre siège, établissement, filiale, bureau, département autonome ou chantier (éventuellement dans le cadre de sociétés associées) pour des raisons d'ordre technique administratif et de production "...), la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs inopérants pour la caractérisation du dernier lieu d'activité comme lieu de travail habituel, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 19 du Règlement CE n° 44/ 2001 du Conseil du 22 décembre 2000.



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Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 28/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.