par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles
Cass. soc., 13 juillet 2017, 16-12493
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Cour de cassation, chambre sociale
13 juillet 2017, 16-12.493
Cette décision est visée dans la définition :
Carence
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail et les articles L. 1153-1 et L. 1153-6 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé par la société Elf France à compter du 1er septembre 1989, en qualité de cadre, puis mis à disposition de la société Total Distribution et occupait, en dernier lieu la fonction d'ingénieur cadre technique au sein de la société Total Raffinage Marketing, aux droits de laquelle vient la société Total Marketing Services ; que le 8 août 2011, il a été convoqué à un entretien préalable, qui s'est tenu le 18 août 2011, à l'issue duquel il a été dispensé d'activité ; que le 22 août 2011, il a été licencié pour faute grave au motif d'un harcèlement sexuel ;
Attendu que pour écarter la faute grave, la cour d'appel retient que quelle que puisse être leur qualification juridique, les faits particulièrement attentatoires à la personne étaient établis et que la perturbation objective que ceux-ci étaient de nature à engendrer, tant pour la santé de l'intéressée que pour le fonctionnement de leur service commun, commandaient le prononcé d'une sanction exemplaire qui ne pouvait être un simple avertissement, que le licenciement pour faute grave est intervenu sans mise à pied conservatoire, le salarié étant seulement dispensé d'activité au sortir de son entretien préalable le 18 août 2011, alors que sa collègue avait informé des faits leur supérieur hiérarchique commun, le jour même où ils avaient été commis, le 26 juillet 2011, que s'il méritait d'être sévèrement sanctionné, la perte de son emploi consécutive à un licenciement sanctionnait de manière significative le manquement imputable au salarié, tant au regard de la faute commise et de ses conséquences, que du parcours antérieur de l'intéressé dans l'entreprise, lequel ne peut être ignoré au moment de l'appréciation de la proportionnalité, entre le licenciement à prononcer et le fait à sanctionner, lorsqu'il s'agit de réprimer, si odieuse soit-elle, une faute au caractère aussi étrange que celle reprochée ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la matérialité et le caractère fautif des faits reprochés au salarié, qui n'en contestait que la qualification de harcèlement sexuel, résultaient de son comportement insistant, évolutif puis violemment agressif par l'envoi d'un message pornographique, insultant, dégradant et d'un effet très préjudiciable pour sa destinataire, ce qui était de nature à caractériser un harcèlement sexuel, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 décembre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize juillet deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour la société Total Marketing Services
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse, le licenciement prononcé contre M. Pascal X... pour faute grave et d'avoir en conséquence condamné la société Total Marketing Services, anciennement dénommée Total Raffinage Marketing, à payer à M. X... les sommes de 17 951,52 € au titre de l'indemnité de préavis, outre 1 795 € de congés payés afférents, et de 94 305,47 € au titre de l'indemnité de licenciement,
AUX MOTIFS QUE
considérant qu'il résulte des pièces et conclusions des parties que M. X... a été engagé par la société Elf France à compter du 1er septembre 1989, en qualité de cadre ; qu'après une mise à disposition de la société Total Distribution il occupait, en dernier heu, après avoir été régulièrement promu, la fonction d'ingénieur cadre technique position III A2, au sein de la société Total Raffinage Marketing où il percevait un salaire mensuel de 6 000 € environ ;
Que le 8 août 2011 la société Total Raffinage Marketing a convoqué M. X... à un entretien préalable, qui s'est tenu le 18 août, à l'issue duquel elle a dispensé M. X... d'activité, puis, par lettre du 22 août 2011, l'a licencié pour faute grave, en ces termes :
"Nous avons été alertés le 26 juillet dernier par votre directeur, M. Jérôme Y..., suite à la plainte de son assistante concernant votre comportement.
Selon l'historique très précis rédigé par la victime, vous avez commencé à la poursuivre de vos assiduités en lui adressant des messages sur son téléphone portable dès le 26 mai 2011 et vos agissements sont allés crescendo.
Le 30 juin 2011, vous lui avez demandé de vous rejoindre dans votre bureau où elle a pu découvrir que sa photo issue de l'annuaire téléphonique était en fond d'écran sur votre iPhone. Vous avez d'ailleurs activé votre iPhone, téléchargé un texto que vous lui avez fait lire, dans lequel vous indiquiez notamment que sa photo était en fond d'écran et que cela faisait deux ans qu'elle dormait ainsi chaque nuit à vos côtés.
Alors qu'elle vous avait très sèchement demandé d'arrêter et indiqué que vous n'en deviez rien attendre d'elle, vous n'avez absolument pas modifié votre comportement à son égard, bien au contraire, puisqu'elle recevait un message dénué d'ambigüité, particulièrement obscène, dégradant et pervers rédigé sur votre outil professionnel "Communicator", le 26 juillet 2011 10 heures 51.
L'ensemble de ces faits relatés, votre comportement depuis deux mois à son égard ainsi que ce message sont constitutifs de harcèlement sexuel" ;
Que dans le message du 26 juillet, M. X... s'adressait en ces termes à sa collègue :
"Bonjour mon trésor. La prochaine fois que tu iras chercher le courrier, pourrais-tu passer dans mon bureau je souhaiterais vérifier si j'arrive à enlever ta petite culotte avec mes dents. Si j'y arrive, pour te remercier, je te ferai jouir avec ma bouche. Si cela te dit, tu pourras faire l'équivalent, sachant que comme cela fait longtemps que je n'ai pas fait l'amour à une femme, tu risques d'avoir la bouche pleine" ;
Que la collègue de M. X... s'est précipitée dans le bureau de son chef de service qui l'a vu arriver en pleurs et bouleversée - avant d'être placée, pour trois semaines, en arrêt de travail avec prise en charge psychologique et modification de ses poste et lieu de travail ;
Que la matérialité des divers faits ainsi reprochés à M. X... n'est pas contestée par celui-ci ; qu'il n'est de même pas discuté que quelques instants après la réception du message par sa collègue, l'intéressé s'est déplacé dans le bureau de celle-ci, pour lui demander d'effacer immédiatement ce message, puis, lui a adressé, le 28 juillet, un nouveau courriel dans lequel il expliquait ainsi son comportement :
"il ne s'agissait que d'un délire fantasmagorique de ma part qui n'avait pas vocation à quitter mon "micro" mais en appuyant sur "entrée" dans Communicator, on ne va pas à la ligne ... Il m'était uniquement destiné, il ne faut pas le prendre pour toi. (...) peut-être peux-tu comprendre que ce genre de délire m'aide à supporter le désert affectif qu'est ma vie en ce moment (...) sois persuadée que je suis sincèrement désolé de cet événement regrettable" ;
Que M. X... a saisi le conseil de prud'hommes le 20 septembre 2011 afin de contester son licenciement ; que par le jugement entrepris le conseil l'a débouté de ses demandes, estimant le licenciement pour faute grave fondé et "proportionné eu égard à la nature des faits qui interdisaient tout nouveau contact entre lui et sa collègue" ;
Considérant qu'en cause d'appel, comme devant les premiers juges, M. X... conteste la qualification de harcèlement sexuel, attribuée aux faits qui lui sont reprochés, au motif qu'il n'aurait pas commis d'agissement répétés à connotation sexuelle ; qu'il fait, en outre, valoir que sa situation personnelle, familiale et affective ainsi que la maladie dont il souffre seraient la cause de ce comportement irrationnel, en forme d'exutoire à sa vie trop dure et éprouvante ;
Considérant que ces diverses circonstances invoquées par l'appelant n'ôtent en aucun cas le caractère fautif aux faits incontestables qui lui sont imputés et qui, quelle que puisse être leur qualification juridique, traduisent envers sa collègue, un comportement insistant, évolutif, d'abord, sur le mode léger de la séduction, puis, plus direct, par l'évocation de relations intimes, et enfin violemment agressif, par l'envoi d'un message pornographique, insultant et dégradant ;
Que ces faits sont établis, comme l'est aussi leur effet très préjudiciable pour celle qui les as subis et qui avait, pourtant, dès l'origine, éconduit M. X... et réitéré auprès de lui le désaccord et le refus que lui inspiraient ses entreprises ;
Considérant que la spécificité des faits, particulièrement attentatoires à la personne et la perturbation objective que ceux-ci étaient de nature à engendrer, tant pour la santé de l'intéressée que pour le fonctionnement de leur service commun commandaient le prononcé d'une sanction exemplaire ; que celle-ci ne pouvait donc être un simple avertissement, comme M. X... prétend s'y être attendu lors de l'entretien préalable, en raison de sa carrière longue, exempte jusqu'alors de tout reproche ;
Mais considérant que le licenciement pour faute grave de M. X... est intervenu sans mise à pied conservatoire ; que l'appelant a seulement été dispensé d'activité au sortir de son entretien préalable le 18 août 2011, alors que sa collègue avait informé des faits, leur supérieur hiérarchique commun, le jour même où ils avaient été commis, le 26 juillet 2011 ;
Considérant que s'il méritait d'être sévèrement sanctionné, il apparaît ainsi que le comportement de M. X... a pu l'être, sans que celui-ci soit contraint de quitter immédiatement l'entreprise ; que la perte de son emploi consécutive à un licenciement sanctionnait de manière significative le manquement imputable au salarié, tant au regard de la faute commise et de ses conséquences, que du parcours antérieur de M. X... dans l'entreprise ; que celui-ci ne peut, en effet, être ignoré au moment de l'appréciation de la proportionnalité, entre le licenciement à prononcer et le fait à sanctionner, lorsqu'il s'agit de réprimer, si odieuse soit-elle, une faute au caractère aussi étrange que celle reprochée en l'espèce à M. X... ;
Considérant que la cour estime, en conséquence, que le licenciement pour faute grave de M. X... n'est pas justifié et doit être disqualifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;
Considérant que M. X... est, dès lors, en droit de prétendre au paiement des indemnités de rupture dont le montant n'est pas contesté ; qu'il convient de condamner la société Total Marketing Services anciennement dénommée Total Raffinage Marketing à lui payer la somme de 17 951,52 € au titre de l'indemnité de préavis, outre 1 795 € de congés payés afférents et la somme de 94 305,47 € au titre de l'indemnité de licenciement,
ALORS QUE tout jugement doit être motivé ; que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à une absence de motifs ; qu'en affirmant dans les motifs de sa décision que le licenciement prononcé à l'encontre de M. X... devait être disqualifié en un licenciement pour cause réelle et sérieuse (cf. arrêt attaqué p. 4, 3ème considérant), tout en jugeant, dans son dispositif, qu'il convenait de requalifier le licenciement de M. X... en un licenciement sans cause réelle et sérieuse (cf. arrêt attaqué p. 4 § avant dernier), la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction entre les motifs et le dispositif en violation de l'article 455 du code de procédure civile,
ALORS QUE le harcèlement sexuel est constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui, soit portent atteinte à la dignité de la victime en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; que les faits constitutifs d'un harcèlement sexuel lorsqu'ils sont établis s'analysent nécessairement en une faute grave ; qu'en décidant que les faits reprochés à M. X... ne constituaient pas une faute grave, quand elle avait pourtant constaté la matérialité et le caractère fautif des faits reprochés au salarié au regard des propos indécents et obscènes qu'il avait adressés à la salariée lesquels étaient de nature à affecter sa pudeur et sa dignité dans la vie professionnelle, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1153-1 et L. 1153-6 du code du travail,
ALORS QUE le licenciement pour faute grave n'implique pas nécessairement la mise en oeuvre de la mise à pied conservatoire ; qu'en énonçant que "le licenciement pour faute grave de M. X... est intervenu sans mise à pied conservatoire et que l'appelant a seulement été dispensé d'activité au sortir de son entretien préalable le 18 août 2011, alors que sa collègue avait informé des faits, leur supérieur hiérarchique commun, le jour même où ils avaient été commis, le 26 juillet 2011" pour en déduire que "s'il méritait d'être sévèrement sanctionné, il apparaît ainsi que le comportement de M. X... a pu l'être, sans que celui-ci soit contraint de quitter immédiatement l'entreprise" et considérer que le licenciement ne reposait pas sur une faute grave, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail.
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Carence
Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 28/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.