par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles
Cass. soc., 17 novembre 2010, 09-42389
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Cour de cassation, chambre sociale
17 novembre 2010, 09-42.389
Cette décision est visée dans les définitions suivantes :
Concurrence
Droit du Travail
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., engagé en 1980 par la société Soretef, à laquelle ont succédé la société Générale de restauration, puis la société Avenance Elior - Avenance entreprises, et occupant en dernier lieu les fonctions de chef d'exploitation, a été licencié le 1er juillet 2005 ; que son contrat de travail prévoyait une obligation de non-concurrence au cours de la collaboration et un an après la rupture, moyennant le versement d'une prime mensuelle pendant la durée du contrat ; que M. X... a saisi la juridiction prud'homale d'une demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que l'employeur a formé une demande reconventionnelle de remboursement des sommes versées au titre de la clause de non-concurrence ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident de l'employeur :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi principal du salarié, qui est recevable :
Vu les articles L. 1221-1 du code du travail et 1134 du code civil ;
Attendu, d'une part, que le paiement pendant la période d'exécution du contrat de travail de la contrepartie financière prévue par une clause de non-concurrence nulle, qui s'analyse en un complément de salaire, n'est pas dénué de cause, d'autre part, que le salarié qui respecte une clause de non-concurrence nulle a droit à une indemnisation ;
Attendu que pour condamner le salarié à restituer à l'employeur les sommes versées au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et le débouter de sa demande d'indemnisation au titre de cette clause, l'arrêt retient que celle-ci est nulle dès lors qu'elle prévoyait le versement d'une indemnité avant la rupture du contrat de travail ; que ce versement se trouve dénué de cause ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'employeur ne pouvait obtenir la restitution des sommes versées au titre d'une clause nulle et qu'il résultait de ses constatations que le salarié avait respecté la clause pendant plusieurs mois après la rupture du contrat de travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. X... à restituer à la société Avenance Elior - Avenance entreprises les sommes versées au titre de l'indemnité de non-concurrence, l'arrêt rendu le 26 mars 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne la société Avenance Elior - Avenance entreprises aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept novembre deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux conseils pour M. X....
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné Monsieur X... à restituer à la société AVENANCE ENTREPRISES les sommes versées au titre de l'indemnité mensuelle de non concurrence ;
AUX MOTIFS QUE qu'une clause de non-concurrence ne peut être opposée au salarié que si l'employeur lui verse une indemnité destinée à compenser le préjudice découlant du respect de cette obligation ; qu'une telle indemnité ne peut dépendre uniquement de la durée du contrat ni son paiement à intervenir avant la rupture de celui-ci ; que la clause de non-concurrence invoquée par l'employeur était prévue par le contrat de travail de M. X... ; que selon des termes précisés dans une lettre du 2 mars 1994, elle a été versée mensuellement en contrepartie d'une obligation de non-concurrence pendant la durée du contrat et un an après son terme ; qu'elle a consisté ainsi en une indemnité payée sous forme d'un complément de salaire et porté sur les bulletins de paie du salarié ; qu'une telle indemnisation stipulée à l'avance n'est pas conforme aux conditions posées par la Cour de cassation pour admettre la validité d'une telle clause ; que le fait que le montant versé ne fut pas d'un montant dérisoire est sans incidence sur la validité de la clause, dès lors que, versée durant l'exécution du contrat, elle n'a pu avoir pour objet d'indemniser par avance le salarié pour un manque à gagner intervenant ultérieurement ; que c'est donc à juste titre que M. X... invoque sa nullité ; qu'il est constant que dès le mois de mars 2007 sic ; 2006 , M.. X... est entré au service d'une autre entreprise DUPONT RESTAURATION ; qu'il importe peu à cet égard que ce fut par un contrat à temps partiel, l'activité des deux entreprises et les responsabilités assurées par le salarié étant semblables ; que la clause de non-concurrence étant entachée de nullité, il ne peut être reproché à M. X... d'être entré au service d'une entreprise concurrente ; qu'en revanche, le montant versé à ce titre se trouve dénué de cause ; que c'est donc à tort que les premiers juges ont rejeté la demande de la société AVENANCE ENTREPRISES tendant à son remboursement ; que dès lors que la nullité de la clause est encourue, la société AVENANCE ENTREPRISES est fondée à réclamer le remboursement de l'indemnité versée ;
ALORS QUE si la validité de l'obligation de non-concurrence au cours de l'exécution du contrat de travail n'est pas subordonnée au versement d'une contrepartie financière, rien n'interdit aux parties de prévoir l'attribution d'une prime à ce titre ; que la Cour d'appel a constaté que la prime était versée au cours de l'exécution du contrat de travail « en contrepartie d'une obligation de non-concurrence pendant la durée du contrat » ; qu'en déclarant néanmoins que cette stipulation était nulle et en ordonnant le remboursement des sommes versées à ce titre, la Cour d'appel a violé les articles L. 1221-1 du Code du travail et 1134 du Code civil ;
ALORS en tout état de cause QUE la violation de la clause de non-concurrence consiste dans le fait, pour l'ancien salarié, d'exercer une activité hors des limites fixées par le contrat ; que celle-ci s'interprète strictement ; qu'en l'espèce, la clause de non concurrence faisait interdiction au salarié de travailler après la rupture de son contrat dans le secteur de la restauration collective, au sein d'un restaurant dans lequel il avait déjà travaillé pour le compte de son ancien employeur ; que la Cour d'appel qui s'est contentée de relever que l'activité de son nouvel employeur et les nouvelles responsabilités du salarié étaient semblables aux précédentes n'a pas vérifié que les limites posées par la clause de non concurrence avaient été outrepassées par le salarié et partant a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
ET ALORS en tout cas QUE le salarié qui a respecté une interdiction de concurrence illicite subit nécessairement de ce fait un préjudice et peut prétendre à une indemnisation pour la période pendant laquelle il a respecté la clause ; qu'il ressort des constatations de l'arrêt que le salarié n'a enfreint l'interdiction que cinq mois après la rupture de son contrat de travail ; qu'en ordonnant néanmoins le remboursement des sommes versées à titre de contrepartie financière pour la période antérieure, la Cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Moyen produit au pourvoi incident par Me Spinosi, avocat aux conseils pour M. X....
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société AVENANCE ENTREPRISES à verser à son ancien salarié, M. Eddie X..., 40.000,00 de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 2.000,00 en application de l'article 700 du Code de Procédure civile ;
Aux motifs que « M. X... fait valoir que la société Avenance Entreprises lui a retiré ses fonctions avant de le licencier pour les mêmes motifs, alors que les mêmes griefs ne peuvent fonder qu'une seule mesure disciplinaire, celle-ci étant de nature à épuiser le pouvoir disciplinaire de l'employeur. Il est constant qu'à la suite des premiers résultats jugés négatifs du site confié au salarié, l'employeur a décidé par une lettre adressée au salarié le 28 avril 2005 de lui retirer la responsabilité du site « à titre de décision de sauvegarde et d'urgence ». Les motifs de cette mesure, tels qu'ils sont exprimés dans cette lettre sont le constat « d'une situation dégradée sur les plans économiques, manageriaux et commerciaux ensuite ».
Il convient d'analyser la mesure prise par l'employeur à cette date. Le caractère disciplinaire de la mesure est contesté par l'employeur qui l'a expressément qualifiée de décision conservatoire et d'urgence et a souligné que le salarié avait conservé son salaire et son titre.
Une telle mesure serait donc assimilable à une mise à pied conservatoire dans l'intention de l'employeur. Mais une telle mesure ne se conçoit que si elle s'était intégrée dans une procédure de licenciement ou si l'employeur avait annoncé au salarié une telle intention. Les seuls termes de cette lettre se rapprochant d'une telle manifestation d'intention sont : « Nous aurons l'occasion de rentrer avec vous dans le détail de ces constats en temps utile ». De tels termes ne permettent pas de rattacher la décision prise à une procédure de licenciement engagée ou seulement annoncée. De plus, le fait d'avoir retiré à M. X... la responsabilité du site sans délai se rattache nécessairement à l'idée d'une faute grave, nécessitant une mise à l'écart d'urgence du salarié concerné. Or la procédure de licenciement n'a été engagée qu'un mois après par une lettre de convocation du 25 mai 2005, et le licenciement lui-même n'a pas été notifié au salarié pour faute grave mais pour insuffisance professionnelle avec un préavis de trois mois. Enfin, le salarié n'a pas été empêché de poursuivre son activité par son employeur.
La mesure prise présente donc un caractère disciplinaire et non pas conservatoire, et doit s'analyser en une modification du contrat de travail par le biais d'une rétrogradation, modification que le salarié n'a pas acceptée : Par une lettre du 27 avril, il a écrit en effet à son employeur : « Les différentes rumeurs de licenciement et ouïe dires de ces derniers jours concernant d'éventuels reproches que vous auriez à me faire me laissent perplexe. Sans compter la façon un peu cavalière de m'évincer du Conseil de l'Europe ».
Dès lors, il convient de comparer les griefs formulés à l'occasion de cette mesure disciplinaire et ceux exprimés dans la lettre de licenciement.
La lettre de licenciement datée du 1er juillet 2005 est motivée par l'insuffisance professionnelle, l'insuffisance de résultats et le comportement déloyal du salarié. Elle énumère sur cinq pages différentes fautes ou négligences du salarié :
- des manquements dans la mise en place et l'organisation du site : un défaut d'affichage des horaires de travail, de multiples erreurs de pointage des heures de travail, une absence de réunion de l'équipe d'encadrement et de transmission des tâches, une absence de fiches d'objectifs, une absence de direction des renforts mis à sa disposition dès janvier, un défaut de présentation du projet technique du restaurant, une absence de suivi des intérimaires ;
- des manquements dans l'application des procédures de l'entreprise : une absence de planification des congés payés du personnel restant à prendre au 31 mai avec comme conséquence l'attribution massive de congés au mois d'avril, obligeant à un recours à des travailleurs intérimaires, une dégradation des résultats du mois d'avril, une planification aléatoire des congés payés pour l'été une absence d'affichage des plannings des congés payés, un non-respect des obligations légales et réglementaires en matière d'hygiène de sécurité alimentaire, notamment l'absence de planning de nettoyage et des fiches de suivi pour le restaurant, une absence de suivi du chiffre d'affaires avant une première relance le 20 janvier, une absence de remontées d'informations sur la gestion, une absence de mise en place des documents institués par l'entreprise (Charte de convives et Charte partenaires), un défaut d'affichage des prix dans la cafétéria ;
- une mauvaise gestion du site entraînant de mauvais résultats : une absence de maîtrise de la matière première et de la main-d'oeuvre entraînant un écart de 85.500 de contribution brute par rapport au budget prévu ;
- un comportement déloyal, volonté de nuire à l'employeur et à son remplaçant : le fait d'avoir emmené le véhicule et l'ordinateur appartenant à l'entreprise et la disparition du fichier professionnel notamment les éléments de gestion du Conseil de l'Europe sur l'ordinateur une fois celui-ci restitué.
Seul ce dernier grief concerne des faits postérieurs au départ en congés payés du salarié au mois d'avril 2005 et se trouve sans lien avec les motifs énoncés dans la lettre du 28 avril, par laquelle l'employeur retirait au salarié la gestion du restaurant. Pour l'essentiel les manquements invoqués illustrent le grief général de l'insuffisance professionnelle invoquée par l'employeur pour lui retirer la gestion.
La plupart des faits se situent avant le 15 avril 2005, date à laquelle le salarié a pris ses congés sans avoir repris son poste par la suite : aussi la période concernée par la mesure de rétrogradation du 28 avril et par la lettre de licenciement du 1er juillet est identique, à l'exception de reproches formulés concernant l'ordinateur portable.
Dès lors la mesure de rétrogradation mise en oeuvre la fin du mois d'avril 2005, et qui présentait un caractère disciplinaire, n'autorisait pas l'employeur à invoquer les mêmes faits à l'appui de la mesure ultérieure de licenciement, étant observé que le grief postérieur à son départ concernant l'ordinateur portable (grief d'ailleurs contesté par le salarié et non établi par l'employeur), n'était pas de nature à justifier à lui seul une telle mesure.
Ceci étant, la Cour doit pour répondre aux arguments présentés par l'employeur, relever que la preuve des fautes et des insuffisances professionnelles reprochées au salarié n'est pas établie, sauf de manière très partielle. Au mois de janvier 2005, alors que le restaurant venait d'ouvrir, des rappels ont dû être adressés au salarié par deux notes (mémos) des 20 janvier et 25 janvier 2005 quant aux priorités à respecter par le salarié. Par ailleurs des documents lui ont été réclamés et ont dû faire l'objet de rappels selon 3 messages électroniques des 28 février, 7 mars et 10 mars 2005, pour une réunion fixée au début de ce mois. Cela illustre sans doute des défaillances professionnelles dans l'exercice de la mission qui lui était confiée mais ne caractérise pas autrement les manquements qui lui ont été reprochés. Il faut également relever qu'aucun document interne, aucune doléance du Conseil de l'Europe, aucun compte-rendu de réunion de projet ou de conférence téléphonique ne mettent en évidence l'un ou l'autre des griefs détaillés dans la lettre de licenciement. Il est également surprenant que la société Avenance Entreprises, dotée d'une structure administrative et de procédures internes de gestion, ne produise aucun chiffrage certifié par son commissaire aux comptes ou même établi par son expert-comptable relatant les écarts invoqués entre le budget prévisionnel escompté sur ce restaurant et le budget effectivement révisé pendant les quelques mois d'activité de M. X.... Quant à l'évolution du chiffre d'affaires attendu, aucun objectif chiffré n'a été communiqué.
Enfin, il n'est produit aucune attestation de cadres de l'entreprise établissant la réalité des insuffisances professionnelles ou des résultats difficiles des premiers mois d'activité du restaurant du Conseil de l'Europe.
Dans ces conditions, la Cour doit constater que la mesure disciplinaire prise à l'encontre du salarié ne repose sur aucun caractère réel et sérieux suffisamment établi. Dès lors, M. X... est fondé à réclamer réparation du préjudice subi » ;
1. Alors que, d'une part, a une nature conservatoire, et non disciplinaire, la mise à pied décidée dans le cadre d'une mesure d'urgence et dans le but de sauvegarder les intérêts de l'entreprise, pour permettre à l'employeur de procéder à toutes investigations nécessaires, pendant laquelle le salarié conserve pleinement son titre et son salaire et qui est suivie de l'ouverture d'une procédure de licenciement moins d'un mois plus tard ; qu'en l'espèce, en ayant jugé qu'une telle mesure présentait un caractère disciplinaire, et non pas conservatoire, et devait s'analyser en une modification du contrat de travail par le biais d'une rétrogradation, la Cour d'appel n'a pas tiré les conclusions qui s'évinçaient de ses propres conclusions et a violé, de ce fait, l'article L. 1232-1 du Code du Travail ;
2. Alors que, d'autre part, le juge, qui doit d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; qu'en matière de détermination de la cause réelle et sérieuse de licenciement, la charge de la preuve n'incombe pas particulièrement à l'une ou l'autre partie ; que, dès lors, en l'espèce, en ayant fait peser la charge de la preuve sur la seule société AVENANCE ENTREPRISES, partie employeur, et en ne s'étant fondée que sur les preuves rapportées ou non par celle-ci pour en conclure à l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement de M. X..., la Cour d'appel a méconnu le droit de la preuve applicable en la matière et a violé, de ce fait, les articles L. 1235-1 du Code du Travail et 1315 du Code civil.
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Concurrence
Droit du Travail
Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 10/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.