par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 29 juin 2011, 10-23321
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
29 juin 2011, 10-23.321

Cette décision est visée dans la définition :
Arbitrage




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu que, par sentence du 10 octobre 2008, un tribunal arbitral statuant sur la base d'une clause compromissoire contenue dans le contrat liant la société Overseas Mining Investments Ltd (OMI), régie par le droit de Jersey, à la société cubaine Commercial Caribbean Niquel SA (CCN) a condamné la seconde à payer à la première une certaine somme à titre de dommages-intérêts ; que la société CCN a formé un recours en annulation contre cette sentence ;

Attendu que OMI fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 25 mars 2010) d'avoir annulé la sentence, alors, selon le moyen, que ne soulève aucun moyen d'office, supposant qu'il invite les parties à présenter leurs observations, l'arbitre qui indemnise une perte de chance mesurée à une fraction du préjudice dont la réparation était sollicitée par l'une des parties ; qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir expressément constaté que la société OMI avait sollicité réparation du gain manqué résultant des fautes commises par la société CCN et que le tribunal arbitral avait décidé qu'elle devrait « être dédommagée pour la perte de chance de poursuite du projet », motif pris que « le bénéfice économique possible » ayant « été perdu ne peut être mesuré avec certitude, mais la chance perdue de le récolter, elle, peut indéniablement être évaluée » et que « le dédommagement pour la perte de chance … repose sur le prédicat non pas que la victime du dommage devra être dédommagée pour le gain manqué qu'elle réclame, mais, en revanche, qu'elle doit l'être pour la valeur économique de la chance perdue », ce dont il résulte que les arbitres avaient réduit l'indemnisation du gain manqué sollicité par la société OMI à la perte de chance de retirer un gain de l'opération économique, de sorte que le dommage indemnisé n'est pas de nature différente de celui dont la réparation était sollicitée, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1502-4° et 1504 du code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt constate exactement que, dans leur raisonnement, les arbitres ont substitué à l'indemnisation réclamée par OMI fondée sur la perte de gain qui leur paraissait inadéquate, une indemnisation fondée sur la perte de chance de voir se concrétiser le projet, qu'OMI n'avait pas invoquée et que cette substitution ne constituait pas une simple modalité d'évaluation du préjudice mais modifiait le fondement de l'indemnisation d'OMI ; que la cour d'appel en a déduit à bon droit qu'en omettant d'inviter les parties à s'expliquer sur ce point, les arbitres avaient méconnu le principe de la contradiction ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société OMI aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société OMI au paiement d'une indemnité de 4 000 euros à la société CCN ; rejette le surplus des demandes.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf juin deux mille onze.


MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour la société Overseas Mining Investments Limited

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé la sentence arbitrale rendue à Paris, le 10 octobre 2008, par M. X..., Y...et Z... ;

AUX MOTIFS QUE la CCN reproche notamment aux arbitres, d'une part, d'avoir accepté le rapport d'expertise KPMG présentant un ensemble complexe d'éléments chiffrés sur lequel le tribunal arbitral s'est appuyé pour fonder le montant de la réparation alors que ce document a été produit tardivement par OMI, après plus de deux ans d'échanges, et que CCN, malgré ses protestations, n'a eu qu'un bref délai pour y répondre, d'autre part, d'avoir retenu pour indemniser OMI une perte de chance sans que ce point ait été discuté par les parties, peu important que la question d'une perte de chance ait été invoquée en ce qui concerne la demande reconventionnelle de CCN ; que OMI oppose que CCN a disposé du temps nécessaire pour répondre sur le fond au rapport KPMG, ce qu'elle a d'ailleurs fait, et que les arbitres ont bien statué sur le fondement d'une responsabilité contractuelle expressément invoquée et qu'ils n'ont pas l'obligation de soumettre au préalable leur motivation, en l'espèce leur raisonnement sur l'évaluation du préjudice, à une décision contradictoire ;
que sur le premier point, CCN affirme qu'elle n'aurait pas été mise en mesure par manque de temps de discuter le rapport KPMG sans identifier en quoi un délai plus long-le rapport a été versé aux débats le 31 mai 2007 et le dernier mémoire a été déposé par CCN le 1er octobre 2007- lui aurait permis de faire valoir des observations différentes et plus décisives que celles qu'elle a pu présenter ; que cette branche du moyen manque en fait ; que sur le second point, le tribunal arbitral après avoir dit (§ 220 et 221) que OMI est en droit d'obtenir un dédommagement qui selon elle consiste « dans le gain manqué calculé conformément au modèle économique pour le projet KPMG » ou de manière alternative représente « 38 % des flux de trésorerie qu'elle aurait reçus en appliquant les paramètres du rapport AMLC » puis (§ 223, 224 et 225) procédé à une critique du calcul des réparations ainsi réclamées, a décidé (§ 226) « pour toutes les raisons ci-dessus, le tribunal d'arbitrage considère qu'au lieu des critères de compensation consignés dans la lettre d'OMI du 16 mai 2007 mentionnée ci avant, OMI devra être dédommagée pour la perte de chance de poursuite du projet … » puisque (§ 227) « … le bénéfice économique possible qui a été perdu ne peut être mesuré avec certitude, mais la chance perdue de le récolter, elle, peut, indéniablement être évaluée » et (§ 228) « … le modèle de dédommagement fondé sur la perte de chance implique un mode de calcul économique moins certain, mais le tribunal arbitral s'estime satisfait en optant pour une approche moins restrictive et conservatrice que celle défendue par OMI … » et a conclu, enfin, avant de procéder à l'évaluation de cette perte de chance (§ 229) « … le dédommagement pour la perte de la chance n'est pas le même que celui pour le gain manqué … car il repose sur le prédicat non pas que la victime du dommage devra être dédommagée pour le gain manqué qu'elle réclame mais, en revanche, qu'elle doit l'être pour la valeur économique de la chance perdue … » ; qu'ainsi, dans leur raisonnement, les arbitres ont substitué à l'indemnisation réclamée par OMI fondée sur la perte de gain qui leur paraissait en l'espèce inadéquate, une indemnisation fondée sur la perte de chance de voir se concrétiser le projet qu'OMI n'avait pas invoqué ; que cette substitution ne constitue pas une simple modalité d'évaluation du préjudice mais modifie le fondement de l'indemnisation d'OMI ; qu'en omettant d'inviter les parties à s'expliquer sur ce point, les arbitres ont méconnu le principe de la contradiction, la circonstance que CCN à l'occasion de sa demande reconventionnelle aurait évoqué, en ce qui la concerne, la perte d'une chance étant à cet égard sans incidence ; qu'il convient, en conséquence, d'annuler la sentence arbitrale sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres branches du moyen et les autres moyens soulevés ;

ALORS QUE ne soulève aucun moyen d'office, supposant qu'il invite les parties à présenter leurs observations, l'arbitre qui indemnise une perte de chance mesurée à une fraction du préjudice dont la réparation était sollicitée par l'une des parties ; qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir expressément constaté que la société OMI avait sollicité réparation du gain manqué résultant des fautes commises par la société CCN et que le tribunal arbitral avait décidé qu'elle devrait « être dédommagée pour la perte de chance de poursuite du projet », motif pris que « le bénéfice économique possible » ayant « été perdu ne peut être mesuré avec certitude, mais la chance perdue de le récolter, elle, peut indéniablement être évaluée » et que « le dédommagement pour la perte de chance … repose sur le prédicat non pas que la victime du dommage devra être dédommagée pour le gain manqué qu'elle réclame, mais, en revanche, qu'elle doit l'être pour la valeur économique de la chance perdue », ce dont il résulte que les arbitres avaient réduit l'indemnisation du gain manqué sollicité par la société OMI à la perte de chance de retirer un gain de l'opération économique, de sorte que le dommage indemnisé n'est pas de nature différente de celui dont la réparation était sollicitée, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1502-4° et 1504 du code de procédure civile.



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Cette décision est visée dans la définition :
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Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 09/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.