par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. soc., 31 janvier 2012, 10-30935
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Cour de cassation, chambre sociale
31 janvier 2012, 10-30.935

Cette décision est visée dans la définition :
Temps de travail




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Vu la connexité, joint les pourvois n° H 10-30.935 à P 10-30.987 ;

Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 3141-3 et L. 3123-11 du code du travail, ensemble l'article 3 du titre 18 de la convention collective d'entreprise Carrefour ;

Attendu, selon les jugements attaqués, que la société Carrefour hypermarchés (la société) est soumise à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001 (n° 3305), complétée par un accord de groupe du 31 mars 1999, entré en vigueur le 1er juin 1999, dont le titre 18, article 3 prévoit que "En début de période annuelle de décompte, les droits à congés payés, congés d'ancienneté, repos supplémentaires, congé supplémentaire pour fractionnement..., de chaque salarié sont globalisés. Ces journées sont prises par semaine entière soit par fraction de six jours ouvrables. (...) La récupération d'un jour férié, le repos décalé du dimanche travaillé, la prise d'un repos compensateur légal ou de remplacement, ne peut s'effectuer que sur un jour ouvré et ne peut en aucun cas se substituer au jour de repos hebdomadaire" ; que soutenant que leurs jours conventionnels de congés d'ancienneté et de repos supplémentaires devaient nécessairement, sauf à méconnaître le principe d'égalité de traitement entre les salariés à temps partiel et les salariés à temps plein, être pris sur des jours effectivement travaillés, Mme X... et cinquante-deux autres salariés à temps partiel du magasin de Claye-Souilly de la société Carrefour, travaillant certains jours de la semaine seulement, ont saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de rappels de salaires au titre des congés et jours de repos positionnés par l'employeur sur des semaines entières, c'est-à-dire par fractions de six jours ouvrables consécutifs ;

Attendu que pour accueillir ces demandes, les jugements retiennent que les modalités spécifiques d'application des droits conventionnels aux salariés travaillant à temps partiel doivent être proportionnelles à celles qui régissent les salariés à temps complet ; que les salariés à temps partiel bénéficiant éventuellement de deux contrats à temps partiel ne seraient pas en mesure d'exercer leur droit à repos si congés payés et congés assimilés conventionnels n'étaient pas décomptés pendant la période travaillée, alors que les salariés à temps plein ne prennent eux-mêmes leurs congés conventionnels que les jours travaillés ; que le droit à l'obtention d'un contrat de travail à temps plein par l'alternative de la souscription d'un deuxième temps partiel étant un droit fondamental, toute imputation de congés conventionnels sur des jours non travaillés doit faire l'objet de l'accord exprès du salarié en cause, ce qui n'est pas le cas de l'espèce ; qu'enfin, l'accord d'entreprise applicable, en ce qu'il impose de positionner les congés conventionnels par fraction globale de six jours, ce qui inclut nécessairement des jours non travaillés, crée une inégalité de traitement sans juste compensation financière ou accord exprès du salarié concerné ;

Attendu cependant, d'abord, qu'en application du principe de l'égalité de traitement entre les salariés à temps partiel et les salariés à temps complet édicté par l'article L. 3123-11 du code du travail, les jours ouvrables de congés supplémentaires pour ancienneté doivent être décomptés de la même manière que les jours de congés des salariés à temps complet, sur les six jours ouvrables de la semaine ; que si le point de départ des congés est un jour ouvré pour le salarié concerné, le congé conventionnel s'applique sur une période de six jours peu important qu'ils soient ouvrables ou ouvrés ; qu'il n'en va autrement que pour les congés revêtant un caractère compensatoire et pour ceux qui sont accordés dans une entreprise où le décompte des jours de congés de toute nature est effectué en jours ouvrés ;

Attendu, ensuite, que l'accord d'entreprise, s'il globalise l'imputation des droits à absence rémunérée et impose des décomptes bloqués sur la semaine entière, écarte de ce dispositif la récupération d'un jour férié, le repos décalé du dimanche, la prise d'un repos compensateur légal ou de remplacement, lesquels ne peuvent s'effectuer que sur un jour ouvré ;

Qu'en statuant comme il l'a fait, alors que la disposition de l'accord collectif s'appliquait de la même façon à tous les salariés et sans constater que les jours de repos supplémentaires litigieux avaient la nature de congés de remplacement à vocation compensatrice, lesquels pouvaient seuls être décomptés sur des jours durant lesquels il est normalement prévu que le salarié travaille, le conseil de prud'hommes a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'ils déboutent les salariés de leur demande de rappel de salaire au titre du 1er mai 2008, les jugements rendus le 4 mai 2010, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Meaux ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits jugements et, pour être fait droit, les renvoie devant le conseil de prud'hommes de Paris ;

Condamne les salariés aux dépens ;

Vu l'article 700 du Code de procédure civile, rejette les demandes des parties ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des jugements partiellement cassés ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un janvier deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen commun produit par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils, pour la société Carrefour Hypermarchés, demanderesse aux pourvois n° H 10-30.935 à P 10-30.987


Il est fait grief aux jugements attaqués d'AVOIR dit que les salariés à temps partiel devaient prendre leurs congés payés conventionnels durant les jours effectivement travaillés et d'AVOIR fait droit aux demandes de rappels de salaires présentées par les salariés demandeurs à titre d'indemnité compensatrice de congés payés conventionnels non pris,

AUX MOTIFS QUE «sur la prise des congés conventionnels : que les accords collectifs doivent se conformer aux dispositions de l'article L 212-4-5 du Code du Travail (L 3123-11 du nouveau code) qui institue que les modalités spécifiques d'application des droits conventionnels de ceux qui exercent à temps partiel, doivent être proportionnelles aux droits acquis de ceux qui exercent à temps complet dans l'entreprise ; à défaut, ledit accord est juridiquement inapplicable ; que le contrat de travail à temps partiel est un contrat dérogatoire aux normes générales du code du travail d'où les normes spécifiques qu'imposent les dispositions des articles L 3123-14 et suivants du code du travail ; que le rythme de travail doit être donc précis et une présomption simple d'un temps complet pèse sur l'employeur ; que dans ces circonstances de droit, le salarié de la cause doit être ainsi, en mesure d'obtenir un autre emploi à temps partiel, dans des conditions telles, qu'elles lui permettent d'approcher ou d'atteindre économiquement les revenus d'un salarié à temps plein ; que dans ce cadre, le droit à congés payés et ceux conventionnels par assimilation, sont des droits élémentaires à repos qui doivent se décompter pendant la période travaillée ; qu'en effet, le salarié bénéficiant éventuellement de deux contrats à temps partiel réunissant la durée légale de travail, doit être en mesure d'exercer son droit à repos, ce qui lui serait prohibé en l'espèce ; que l'article L 3123-11 du Code du travail impose une égalité de traitement entre les salariés à temps partiel et ceux à temps plein par la règle de la proportionnalité ; que dans ce cadre juridique, les droits conventionnels se doivent de respecter le principe d'égalité en adoptant simplement des modalités spécifiques ; qu'en effet, les salariés à temps plein ne prennent leurs congés conventionnels que les jours travaillés ; que le droit à l'obtention d'un contrat de travail à temps plein par l'alternative de la souscription d'un deuxième temps partiel est un droit fondamental, toute imputation de congés conventionnels sur des jours non travaillés se doit de recevoir, à tout le moins, l'accord express du salarié en cause, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; que l'accord d'entreprise de la cause impose de positionner les congés conventionnels par fraction globale de six jours ce qui inclut nécessairement des jours non travaillés, ces dispositions créent une inégalité, dans les faits, de traitement entre les salariés à temps plein et ceux à temps partiel et ce, sans juste compensation financière ou accord express du salarié de la cause ; que ces dispositions conventionnelles sont donc contraires à la règle d'égalité de traitement des salariés d'une même entité économique ; qu'en conséquence, il sera donc alloué à la partie demanderesse la somme suivante : 3.527,39 € à titre de rappel de salaire, somme au demeurant, non contestée dans son quantum» ;

ALORS, DE PREMIÈRE PART QUE lorsque les jours de congés payés légaux ou conventionnels sont accordés en jours ouvrables, ils sont également décomptés en jours ouvrables, peu important que le salarié soit engagé à temps plein ou à temps partiel ; qu'en estimant que les congés payés légaux et conventionnels devaient être pris, s'agissant des salariés à temps partiel, uniquement durant les jours effectivement travaillés au motif erroné que les salariés à temps plein ne prennent leurs congés conventionnels que les jours travaillés de sorte que le principe d'égalité de traitement imposerait qu'il en aille de même pour les salariés à temps partiel, le conseil de prud'hommes a violé par refus d'application l'article L. 3141-3 du Code du travail et par fausse application, l'article L. 3123-11 du même Code ;

QU'IL EN VA D'AUTANT PLUS AINSI QU'un accord d'entreprise peut, sans méconnaître le principe d'égalité de traitement entre les salariés à temps plein et les salariés à temps partiel, globaliser l'imputation de certains droits à absence rémunérée et imposer des décomptes bloqués sur la semaine entière pourvu que soient distingués, d'une part, les congés payés et droits assimilables qui conduisent à des absences en jours ouvrables et, d'autre part, les jours de repos rémunérés à vocation compensatrice qui ne peuvent être décomptés que sur des jours durant lesquels il est normalement prévu que le salarié travaille ; que si l'article 3 du Titre 18 de l'accord d'entreprise CARREFOUR du 31 mars 1999 prévoit que «les droits à congés payés, congés d'ancienneté, repos supplémentaires, congé supplémentaire pour fractionnement,… de chaque salarié, sont globalisés» et que «ces journées sont prises par semaine entière soit par fraction de 6 jours ouvrables», il précise également que «la récupération d'un jour férié, le repos décalé du dimanche, la prise d'un repos compensateur légal ou de remplacement, ne peut s'effectuer que sur un jour ouvré et ne peut en aucun cas se substituer au jour de repos hebdomadaire» ; que ce texte ne globalise donc, et n'impose la prise par semaines entières, que des jours de congés payés et droits assimilables qui conduisent en principe à des absences décomptées en jours ouvrables, pour les salariés à temps plein comme pour les salariés à temps partiel ; qu'en le déclarant contraire au principe d'égalité de traitement entre les salariés à temps plein et les salariés à temps partiels, le conseil de prud'hommes a violé ce texte conventionnel, ensemble l'article L. 3123-11 du Code du travail ;


ALORS, ENFIN ET EN TOUTE HYPOTHÈSE QUE les jours de congés payés supplémentaires accordés en jours ouvrables par un accord collectif à l'ensemble des salariés ou à une catégorie abstraitement définie sont assimilables, en ce qui concerne leur régime, aux congés payés légaux et non à des jours de repos à vocation compensatrice, de sorte que leur décompte obéit en principe aux mêmes règles que celui des congés légaux et peut être globalisé avec le décompte de ces derniers ; qu'en jugeant que les jours de congé supplémentaires prévus par les titres 20, 33, 42, 51 (repos supplémentaires), 36 et 50bis (congés supplémentaires d'ancienneté) de l'Accord d'entreprise du groupe CARREFOUR du 31 mars 1999, sur lesquels les salariés fondaient leurs demandes, devaient être décomptés uniquement sur les jours durant lesquels le salarié concerné aurait dû normalement travailler, le conseil de prud'hommes a violé les textes conventionnels précités, ensemble les articles L. 3123-11 et L. 3141-3 du Code du travail.



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Cette décision est visée dans la définition :
Temps de travail


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 09/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.