par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. com., 11 mars 2014, 11-26915
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Cour de cassation, chambre commerciale
11 mars 2014, 11-26.915

Cette décision est visée dans la définition :
Société




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. X... que sur le pourvoi incident relevé par la société Crocus Technology ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Crocus Technology (la société) a été constituée le 7 avril 2004, M. X..., l'un des trois principaux actionnaires, étant nommé administrateur et directeur général ; que le même jour, une "convention d'actionnaires" a été conclue, pour une durée de trois ans, par l'ensemble de ceux-ci ; qu'il était notamment stipulé que la démission de ses fonctions par l'un quelconque des dirigeants dans ce délai entraînerait de plein droit promesse « ferme et irrévocable » de sa part de céder à la société une partie des actions détenues par lui pour leur valeur nominale, cet achat d'actions devant s'effectuer en vue d'une réduction du capital non motivée par des pertes ou d'une attribution à des salariés ; qu'il était également stipulé que la société disposerait d'un délai de six mois à compter de la démission pour exercer l'option d'achat et que dans le cas où le dirigeant concerné ne remettrait pas les ordres de mouvement constatant la réalisation de la cession, cette constatation résulterait de la consignation du prix ; qu'il était encore convenu que la société aurait la faculté de se substituer, dans le bénéfice de la promesse, toute personne physique appelée à remplacer le dirigeant concerné et que pour l'application de ces stipulations, la révocation d'un dirigeant pour une faute équivalente en droit social à une faute grave serait assimilable à une démission ; que le 8 juillet 2004, M. X... a conclu avec la société une convention prévoyant notamment qu'il bénéficierait d'une indemnité de rupture de son mandat social, en l'absence de faute grave ou lourde, et qu'il serait tenu d'une obligation de non-concurrence pendant une durée de deux ans après la cessation de ses fonctions ; que le 4 octobre 2004, le conseil d'administration a révoqué M. X... de ses fonctions de directeur général pour faute grave ; que le 24 mars 2005, l'assemblée générale des actionnaires a révoqué M. X... de ses fonctions d'administrateur ; que la société s'est ensuite prévalue de la promesse de cession d'une partie de ses actions souscrite par ce dernier et a, à la suite de son refus de l'exécuter, consigné une certaine somme correspondant au prix d'achat convenu ; que, faisant notamment valoir qu'il avait été abusivement révoqué de ses mandats sociaux et que le transfert de la propriété d'une partie de ses actions était irrégulier, M. X... a fait assigner la société aux fins d'annulation des décisions prises par les organes sociaux postérieurement à ce transfert et en paiement de diverses sommes au titre du rachat de ses actions et à titre de dommages-intérêts ; que par un premier arrêt du 12 mai 2010, la cour d'appel, après avoir dit que c'était en exécution d'une clause licite et régulièrement mise en oeuvre qu'il avait été procédé au rachat de la moitié de la participation de M. X..., a rejeté les demandes indemnitaires formées par ce dernier pour révocation abusive de ses mandats sociaux et en contrepartie de son obligation de non-concurrence, ainsi que sa demande en nullité des actes et délibérations des organes de la société intervenus depuis le 25 avril 2005 et a, avant dire droit sur la demande en paiement du prix des actions, invité les parties à présenter leurs observations sur l'application de l'article 1843-4 du code civil ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le déclarer irrecevable en ses demandes tendant à la constatation du caractère irrégulier du transfert de la moitié de ses actions, en nullité des actes et des délibérations de l'assemblée générale des actionnaires et en paiement de l'indemnité contractuelle de rupture ainsi que de dommages-intérêts en contrepartie de son obligation de non-concurrence, alors, selon le moyen :

1°/ que la cassation de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Grenoble le 12 mai 2010 emportera, par voie de conséquence et par applications des dispositions de l'article 625 du code de procédure civile, l'annulation de l'arrêt attaqué ;

2°/ que, dans tous les cas, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement, la chose demandée devant être la même et la demande fondée sur la même cause ; qu'en déclarant M. X... irrecevable en ses demandes en constatation du caractère irrégulier du transfert de la moitié de ses actions, en nullité des actes du conseil et en paiement de l'indemnité contractuelle de rupture, ainsi que de dommages-intérêts en contrepartie de son obligation de non concurrence, au motif que, dans son précédent arrêt du 12 mai 2010, elle avait notamment retenu que la révocation pour faute grave de M. X... était justifiée, que c'était en exécution d'une clause licite qu'il avait été procédé au rachat forcé de la moitié de sa participation dans le capital de la société Crocus Technology et que l'intéressé n'était pas fondé à solliciter une indemnité en contrepartie de son obligation de non-concurrence, cependant que les demandes de M. X... formulées après réouverture des débats avaient un autre fondement juridique, délictuel s'agissant du rachat forcé de sa participation, et textuel s'agissant de la clause de non-concurrence, la cour d'appel, qui en présence de demandes fondées sur une cause différente ne pouvait opposer à X... l'autorité de la chose jugée tirée de sa précédente décision, a violé les articles 1351 du code civil et 480 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 12 mai 2010 par la cour d'appel de Grenoble ayant été rejeté par arrêt de ce jour, la première branche est inopérante ;

Et attendu, d'autre part, qu'il incombe au demandeur de présenter, dès l'instance relative aux premières demandes, l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celles-ci ; qu'ayant retenu qu'il avait déjà été statué sur la régularité du transfert de la propriété des actions litigieuses, sur la validité des actes du conseil d'administration et des assemblées générales de la société, sur la demande en paiement de l'indemnité contractuelle de rupture ainsi que sur celle tendant à l'allocation de dommages-intérêts en contrepartie de l'obligation de non-concurrence, la cour d'appel en a exactement déduit que les demandes réitérées par M. X... après la réouverture des débats se heurtaient à l'autorité de la chose précédemment jugée entre les mêmes parties relativement aux mêmes contestations ;

D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident :

Vu l'article 1843-4 du code civil ;

Attendu que les dispositions de ce texte, qui ont pour finalité la protection des intérêts de l'associé cédant, sont sans application à la cession de droits sociaux ou à leur rachat par la société résultant de la mise en oeuvre d'une promesse unilatérale de vente librement consentie par un associé ;

Attendu que pour décider que la valeur des actions cédées par M. X..., en application de la promesse de vente contenue dans la convention d'actionnaires du 7 avril 2004, doit être fixée à dire d'expert selon la procédure instituée par l'article 1843-4 du code civil, l'arrêt retient que ce texte, d'ordre public, est d'application générale en cas de cession ou de rachat forcé prévu par la loi ou les statuts, mais également par des pactes extra-statutaires ; que l'arrêt ajoute qu'il a donc vocation à régir la situation créée par l'article 3 de la convention d'actionnaires conclue par l'ensemble des associés le jour même de l'adoption des statuts, avec lesquels elle fait corps ; qu'il retient encore qu'en vertu de la règle impérative posée par l'article 1843-4 du code civil, nul associé ne peut être contraint de céder ses droits sociaux sans une juste indemnisation arbitrée à dire d'expert ; qu'il en déduit que la clause des statuts ou d'un pacte extra-statutaire, qui fixe par avance la valeur des parts ou des actions rachetées, ne peut prévaloir sur la règle légale lorsque, comme en l'espèce, l'associé évincé en conteste l'application ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi principal ;

Et sur le pourvoi incident :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que la valeur des actions cédées en application de la « clause de rachat forcé » contenue dans la convention d'actionnaires du 7 avril 2004 devait être fixée à dire d'expert selon la procédure instituée par l'article 1843-4 du code civil et en ce qu'il a sursis à statuer sur la demande en fixation du prix des actions dans l'attente de l'estimation expertale, l'arrêt rendu entre les parties, le 12 mai 2011, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble, autrement composée ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze mars deux mille quatorze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit, au pourvoi principal, par Me Balat, avocat aux Conseils, pour M. X...

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré M. Christian X... irrecevable en ses demandes en constatation du caractère irrégulier du transfert de la moitié de ses actions, en nullité des actes du conseil et des délibérations de l'assemblée générale et en paiement de l'indemnité contractuelle de rupture, ainsi que de dommages et intérêts en contrepartie de son obligation de non-concurrence ;

AUX MOTIFS QU' aux termes du dispositif de son précédent arrêt du 12 mai 2010, la cour a confirmé le jugement en ce qu'il avait décidé que la révocation pour faute grave des mandats de directeur général et d'administrateur de M. Christian X... était justifiée et débouté ce dernier de ses demandes indemnitaires pour révocation abusive, par voie de réformation pour le surplus a dit et jugé que c'est en exécution d'une clause licite, et régulièrement mise en oeuvre, qu'il avait été procédé au rachat forcé de la moitié des participations détenues par M. Christian X... dans le capital de la société Crocus Technology et a débouté ce dernier de ses demandes en nullité des actes et délibérations de l'assemblée générale et du conseil d'administration intervenus depuis le 25 avril 2005 et en paiement d'une prime de levée de fonds ainsi que d'une indemnité en contrepartie de son obligation de non-concurrence ; qu'il a donc été définitivement statué sur les modalités et le bien-fondé de la révocation des mandats de directeur général et l'administrateur, sur la licéité et la mise en oeuvre de la clause de rachat forcé des actions, sur la validité des actes et délibérations de l'assemblée générale et du conseil d'administration et sur l'indemnité réclamée en contrepartie de l'obligation de non-concurrence ; que les demandes réitérées formées par M. Christian X... en constatation du caractère irrégulier du transfert de la moitié de ses actions, en nullité des actes du conseil et des délibérations de l'assemblée générale et en paiement de l'indemnité contractuelle de rupture, ainsi que de dommages et intérêts en contrepartie de l'obligation de non-concurrence, se heurtent dès lors à l'autorité de la chose jugée entre les mêmes parties, et seront par conséquent déclarées irrecevables ;

ALORS, D'UNE PART, QUE la cassation de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Grenoble le 12 mai 2010 (pourvoi n° X 12-12.074), emportera, par voie de conséquence et par application des dispositions de l'article 625 du code de procédure civile, l'annulation de l'arrêt attaqué ;

ET ALORS, D'AUTRE PART, QUE, dans tous les cas, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement, la chose demandée devant être la même et la demande fondée sur la même cause ; qu'en déclarant M. X... irrecevable en ses demandes en constatation du caractère irrégulier du transfert de la moitié de ses actions, en nullité des actes du conseil et des délibérations de l'assemblée générale et en paiement de l'indemnité contractuelle de rupture, ainsi que de dommages et intérêts en contrepartie de son obligation de non-concurrence, au motif que, dans son précédent arrêt du 12 mai 2010, elle avait notamment retenu que la révocation pour faute grave de M. X... était justifiée, que c'était en exécution d'une clause licite qu'il avait été procédé au rachat forcé de la moitié de sa participation dans le capital de la société Crocus Technology et que l'intéressé n'était pas fondé à solliciter une indemnité en contrepartie de son obligation de non-concurrence (arrêt attaqué, p. 6 § 1), cependant que les demandes de M. X... formulée après réouverture des débats avaient un autre fondement juridique, délictuel s'agissant du rachat forcé de sa participation, et textuel s'agissant de la clause de non-concurrence, la cour d'appel, qui en présence de demandes fondées sur une cause différente ne pouvait opposer à M. X... l'autorité de la chose jugée tirée de sa précédente décision, a violé les articles 1351 du code civil et 480 du code de procédure civile.

Moyen produit, au pourvoi incident, par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils pour la société Crocus Technology

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la valeur des actions cédées en application de la clause de rachat forcé contenue dans la convention d'actionnaires du 7 avril 2004 doit être fixée à dire d'expert selon la procédure instituée par l'article 1843-4 du Code civil ;

Aux motifs que « l'article 1843-4 du Code civil dispose que « dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible » ; qu'il est de principe constant que ce texte est d'application générale en cas de cession ou de rachat forcé prévu par la loi ou par les statuts, mais également par des pactes extrastatutaires ; qu'il a donc vocation à régir la situation créée par l'article 3 de la convention d'actionnaires conclue par l'ensemble des associés le jour même de l'adoption des statuts, avec lesquels elle fait corps ; qu'en vertu de la règle impérative posée par l'article 1843-4 susvisé, nul associé ne peut être contraint de céder ses droits sociaux sans une juste indemnisation arbitrée à dire d'expert ; qu'il en résulte que la clause des statuts ou d'un pacte extrastatutaire, qui fixe par avance la valeur des parts ou des actions rachetées, ne peut prévaloir sur la règle légale lorsque, comme en l'espèce, l'associé évincé en conteste l'application ; qu'il est donc soutenu à tort par la société CROCUS TECHNOLOGY que l'article 1843-4 du Code civil n'aurait vocation à s'appliquer qu'en cas de contestation sur le prix des actions à défaut de clause fixant irrévocablement la valeur de rachat ; que l'article 3 de la convention d'actionnaires du 7 avril 2004, selon lequel le prix unitaire est fixé à la valeur nominale, ne saurait par conséquent recevoir application ; que, comme le soutient M. Christian X..., la société CROCUS TECHNOLOGY devait donc mettre en oeuvre la procédure d'évaluation prévue par l'article 1843-4 du Code civil avant de s'approprier les actions ; qu'il n'appartient pas toutefois à la cour dans le cadre du présent litige de désigner un expert ; qu'en cas de désaccord sur le choix du technicien, la demande de désignation doit en effet être portée exclusivement devant le président du tribunal de commerce, statuant en la forme des référés et sans recours possible, pour les sociétés commerciales, ainsi qu'en décident les articles 1843-4 du Code civil et 17 du décret 78-704 du 3 juillet 1978 ; que les parties seront par conséquent renvoyées à la procédure de désignation d'expert prévue par les textes susvisées, et il sera sursis à statuer sur la demande de fixation du prix des actions cédées, étant observé que l'estimation de l'expert, désigné d'un commun accord ou a défaut par le président du tribunal de commerce, s'imposera à la cour » (p. 6-7) ;


Alors que l'article 1843-4 du Code civil ne prévoit la fixation du prix en cas de rachat forcé qu'en cas de contestation, c'est-à-dire à défaut de prix convenu entre les parties ; que lorsque les parties conviennent, à l'occasion d'un pacte d'actionnaires, des conditions du rachat forcé, et déterminent conjointement et d'avance le prix de ces actions, il n'existe aucune contestation, quand bien même l'une des parties viendrait à discuter la validité du pacte d'actionnaires au moment de sa mise en oeuvre ; qu'au cas présent, les actionnaires de la société CROCUS, dont M. X..., avaient convenu d'un rachat forcé des parts de tout associé évincé pour faute grave à leur valeur nominale ; qu'il n'existait donc aucune contestation relative au prix des actions ; que l'article 1843-4 du Code civil était par suite inapplicable ; qu'en estimant que le prix des actions devrait être fixé, non pas conformément aux stipulations convenues entre tous les associés, mais à dire d'expert, au motif que M. X... contestait l'application de la convention d'actionnaires, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé l'article 1843-4 du Code civil.



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Société


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 09/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.