par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 3 décembre 2014, 13-24268
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
3 décembre 2014, 13-24.268

Cette décision est visée dans les définitions suivantes :
Adoption
Autorité parentale




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 4 juillet 2013), que A... X..., né le 27 septembre 2002 de M. X... et Mme Y..., a été confié à l'aide sociale à l'enfance par le juge des enfants le 28 mars 2003, la mesure de placement ayant été régulièrement renouvelée depuis lors ; que le président du conseil général du Pas-de-Calais a présenté une requête en déclaration judiciaire d'abandon ;

Attendu que le département du Pas-de-Calais fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en déclaration judiciaire d'abandon, alors, selon le moyen :

1°/ que la finalité de la déclaration d'abandon ne réside pas uniquement dans la perspective de l'adoption de l'enfant, mais permet à ce dernier d'accéder au statut de pupille de l'Etat ; qu'en rejetant la demande en déclaration d'abandon concernant l'enfant A... X... après avoir relevé, d'une part, que « l'intérêt principal de la déclaration judiciaire d'abandon est de rendre l'enfant adoptable » (cf. arrêt attaqué, p. 6, dernier §) et, d'autre part, qu'« en l'espèce, le conseil général du Pas-de-Calais reconnaît qu'il n'existe aucun projet d'adoption pour A... » (cf. arrêt attaqué, p. 6, pénultième §), la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs inopérants au regard de l'article 350 du code civil, a violé ce texte par refus d'application ;

2°/ que le juge qui constate qu'il est établi que les parents d'un enfant s'en sont manifestement désintéressés pendant l'année qui a précédé l'introduction de la demande en déclaration d'abandon de ce dernier, doit prononcer l'abandon judiciaire, sans avoir en outre à rechercher si celui-ci est conforme à l'intérêt de l'enfant ; qu'en rejetant la demande en déclaration d'abandon au motif qu'« il n'est pas établi que la déclaration judiciaire d'abandon est conforme à l'intérêt de l'enfant » (cf. arrêt attaqué, p. 7, § 6), cependant qu'elle avait constaté qu'il était « établi que les deux parents se sont désintéressés de manière manifeste de A... depuis 2009, soit plus d'un an avant le dépôt de la requête par le conseil général du Pas-de-Calais » (cf. arrêt attaqué, p. 5, § 8), la cour d'appel, qui a ajouté une condition non prévue à l'article 350 du code civil, a violé ce texte par refus d'application ;

Mais attendu que l'intérêt de l'enfant doit être pris en considération par le juge, même lorsque les conditions d'application de l'article 350 du code civil sont réunies ; que la cour d'appel a relevé, d'une part, que, la déclaration judiciaire d'abandon ayant pour effet de rendre A... adoptable, celui-ci risquait d'être confronté à une séparation douloureuse avec sa famille d'accueil, après avoir connu une rupture avec ses parents, dès lors qu'il n'existait aucun projet d'adoption par son assistante maternelle, à laquelle il était très attaché et chez laquelle il vivait depuis son plus jeune âge, d'autre part, que le mineur était perturbé et angoissé depuis le début de la procédure, ne l'acceptait pas et ne la comprenait pas, enfin, que l'article 377, alinéa 2, du code civil permettait à l'aide sociale à l'enfance de se faire déléguer en tout ou partie l'exercice de l'autorité parentale ; qu'elle en a souverainement déduit, sans encourir les griefs du moyen, que la déclaration judiciaire d'abandon sollicitée n'était pas conforme à l'intérêt de l'enfant ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne le département du Pas-de-Calais aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois décembre deux mille quatorze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour le département du Pas-de-Calais.

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté M. le Président du Conseil Général du Pas-de-Calais de sa demande en déclaration judiciaire d'abandon concernant l'enfant A... X... né le 27 septembre 2002,

AUX MOTIFS QUE « Sur la déclaration judiciaire d'abandon.

Aux termes de l'article 350, alinéas 1, 2, 3, 4 et 5 du code civil : " l'enfant recueilli par un particulier, un établissement ou un service de l'aide sociale à l'enfance, dont les parents se sont manifestement désintéressés pendant l'année qui précède l'introduction de la demande en déclaration d'abandon, est déclaré abandonné par le tribunal de grande instance, sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa. La demande en déclaration d'abandon est obligatoirement transmise par le particulier, l'établissement ou le service de l'aide sociale à l'enfance qui a recueilli l'enfant à l'expiration du délai d'un an, dès lors que les parents se sont manifestement désintéressés de l'enfant.

Sont considérés comme s'étant manifestement désintéressés de leur enfant les parents qui n'ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires au maintien de liens affectifs.

La simple rétractation du consentement à l'adoption, la demande de nouvelles ou l'intention exprimée, mais non suivie d'effet, de reprendre l'enfant, n'est pas une marque d'intérêt suffisante pour motiver de plein droit le rejet d'une demande en déclaration d'abandon. Ces démarches n'interrompent pas le délai figurant au premier alinéa.

L'abandon n'est pas déclaré si, au cours du délai prévu au premier alinéa du présent article, un membre de la famille a demandé à assumer la charge de l'enfant et si cette demande est jugée conforme à l'intérêt de ce dernier.

Lorsqu'il déclare l'enfant abandonné, le tribunal délègue par la même décision les droits d'autorité parentale sur l'enfant au service de l'aide sociale à l'enfance, à l'établissement ou au particulier qui a recueilli l'enfant ou à qui ce dernier a été confié.

En l'espèce, il ressort des pièces produites par les parties et du dossier d'assistance éducative que A... est confié à l'aide sociale à l'enfance depuis le 28 mars 2003, dans la mesure où Romain X..., qui avait laissé l'enfant à Mme Z... avant de partir en Afrique, n'est pas revenu à la date prévue et où cette dernière ne pouvait assumer plus longtemps la prise en charge de l'enfant.

Le juge des enfants observait que si Isabelle Y... prétendait que Romain X... lui avait pris l'enfant, elle n'avait effectué aucune démarche par crainte de sa violence.

Ce placement a été régulièrement renouvelé par le juge des enfants.

Il convient d'observer que jusqu'en 2009, les deux parents se sont montrés, à des périodes différentes pour chacun d'eux, très irréguliers dans leurs droits de visite.

Ainsi, entre avril 2004 et 2005, Romain X... n'a pas vu son fils et n'a pas pris contact avec l'enfant. S'il a exercé, par la suite, dans un premier temps, un droit de visite médiatisé, il a bénéficié rapidement d'un droit de visite à son domicile et ce, en dépit des réticences de l'enfant pour se rendre chez son père, étant précisé que les dispositions de son logement ne lui permettaient pas d'héberger l'enfant.

Par ailleurs, Romain X... ne parvenait pas à coopérer avec les services sociaux.

Depuis le 14 janvier 2009, Romain X... n'a plus pris contact avec A... et les services sociaux.

Si Romain s'est désintéressé de manière manifeste de son fils, il en est de même de sa mère, cette dernière ne voyant son fils qu'à quatre reprises les six premiers mois de placement. Si, à compter de 2004, Isabelle Y... a exercé des droits de visite d'abord chez l'assistante familiale puis à son domicile, elle a cessé de voir son fils en septembre 2007, étant précisé que l'absence de droit d'hébergement était uniquement liée à l'absence de literie.

En 2009, Isabelle Y..., qui a envoyé régulièrement des courriers à son fils, demandait au juge des enfants de lui accorder un droit de visite pour rétablir le lien avec A.... Ce que ce dernier a fait le 13 janvier 2009.

Cependant, dès septembre 2009, Isabelle Y... a cessé de se manifester auprès de l'enfant comme des services sociaux.

Par ailleurs, en raison de la carence des parents à signer les documents administratifs ou à se rendre aux rendez-vous médicaux, le juge des enfants a été dans l'obligation, à plusieurs reprises (notamment par ordonnance du 1er décembre 2009 et lors du jugement de renouvellement de placement du 14 janvier 2011) d'autoriser le service de l'aide sociale à l'enfance à se substituer aux parents pour signer les documents administratifs, scolaires, extra-scolaires, médicaux concernant A....

Il est donc établi que les deux parents se sont désintéressés de manière manifeste de A... depuis 2009, soit plus d'un an avant le dépôt de la requête par le Conseil Général du Pas-de-Calais.

Certes, le désintérêt des parents doit être volontaire. Cependant, s'il appartient au demandeur à l'action en déclaration d'abandon de prouver que les parents n'ont pas entretenu avec l'enfant les relations nécessaires au maintien de liens affectifs, c'est à ceux qui invoquent, en tant que moyen de défense, le caractère involontaire du désintérêt d'en établir la réalité.

Or, en l'espèce, il convient d'observer que, par jugement du 13 janvier 2009, année depuis laquelle les parents n'ont pas vu l'enfant, le juge des enfants avait accordé à Romain X... un droit de visite un mercredi sur deux de 14 heures à 19 heures et à Isabelle Y... un droit de visite médiatisé une fois tous les trois mois au minimum. De sorte qu'ils avaient la possibilité initialement de voir l'enfant.

Certes, par soit transmis du 17 mars 2009, le juge des enfants a demandé aux services sociaux d'attendre que Romain X... se manifeste auprès d'eux avant de remettre en place les visites et propose, dans ce cas, qu'une première visite se mette en place à la Maison Départementale de Solidarité.

Cependant, Romain X... ne démontre pas s'être rapproché des services sociaux pour mettre en place des visites. Aussi, il n'était pas présent lors de l'audience du 14 janvier 2011, tout comme Isabelle Y..., où le juge des enfants a réservé leurs droits dans l'attente qu'ils se manifestent auprès du service gardien.

Ce n'est que lors de l'audience du 10 janvier 2013 que Romain X... a manifesté son intention de reprendre contact avec son fils et ce, en réaction à la procédure de déclaration judiciaire d'abandon. Il ne démontre pas avoir effectué d'autres actes pour manifester son intérêt envers l'enfant.

De même, si le logement d'Isabelle Y... ne lui permet pas d'héberger l'enfant, il convient d'observer qu'elle ne s'est pas rendue aux visites médiatisées mises en place en 2009, n'a demandé aucune nouvelle de l'enfant et ne lui a écrit depuis 2009 qu'à une seule reprise en janvier 2012, courrier que l'aide sociale n'a pas transmis à l'enfant afin de ne pas le perturber.

Or, ce seul courrier est insuffisant pour permettre d'établir qu'Isabelle Y... ne s'est pas désintéressée de manière manifeste de son fils.

De même, il sera constaté qu'Isabelle Y... était absente non seulement des audiences du juge des enfants du 14 janvier 2011 et 10 janvier 2013, mais également lors de l'audience du 14 novembre 2012 de déclaration judiciaire d'abandon et devant la cour d'appel.

De sorte que les difficultés matérielles d'Isabelle Y... ne peuvent, à elles seules, expliquer l'absence de contact avec son fils, mais également l'absence de nouvelles.

Plus généralement, les appelants ne démontrent pas que les services sociaux ou la famille d'accueil ont fait preuve d'obstruction concernant leurs relations avec A..., alors que l'article 9 du code de procédure civile leur impose pourtant de prouver les faits nécessaires au succès de leurs prétentions.

A cet égard, le juge des enfants a émis, le 25 juin 2012, un avis favorable à la demande de délégation de déclaration judiciaire d'abandon, tout en estimant que cette procédure doit permettre à Isabelle Y... et à Romain X... de se positionner face à leur fils.

Cependant, pour pouvoir être prononcée, cette déclaration judiciaire d'abandon doit être conforme à l'intérêt de l'enfant.

Or, en l'espèce, le Conseil Général du Pas-de-Calais reconnaît qu'il n'existe aucun projet d'adoption pour A... par son assistante maternelle à laquelle il est très attaché et chez laquelle il évolue depuis quasiment sa naissance.

Dans la mesure où l'intérêt principal de la déclaration judiciaire d'abandon est de rendre l'enfant adoptable, cela implique que A... soit confronté à une rupture avec sa famille d'accueil, après avoir connu une rupture de relations avec ses parents, que ce dernier ne pourrait vivre que douloureusement.

Selon le rapport de situation de la Maison du Département Solidarité du Pas-de-Calais reçu le 15 juin 2012, si A... ne manifeste pas le souhait de rencontrer son père dont il parle très peu, il souffre de son absence de relations avec sa mère.

Par ailleurs, il ressort de la note d'actualisation établie par la Maison du Département Solidarité du Pas-de-Calais le 9 janvier 2013, que depuis la mise en place de la procédure d'abandon judiciaire, A... est perturbé et angoissé, malgré le suivi psychologique mis en place. Il craint les changements et se sent insécurisé face à l'inconnu et ne comprend pas l'absence de ses parents.

Plus généralement, il ressort du rapport de situation que si A... est informé de la procédure d'abandon judiciaire en cours, il ne l'accepte pas et ne la comprend pas.

Certes, la déclaration judiciaire d'abandon permettrait de déléguer au Conseil Général du Pas-de-Calais les droits de l'autorité parentale sur l'enfant, étant précisé qu'actuellement, les services sociaux sont dans l'obligation de solliciter des enfants pour pouvoir signer des documents à la place des parents.

Cependant, l'article 377, alinéa 2 du code civil permet à l'aide sociale à l'enfance, en cas de désintérêt manifeste ou si les parents sont dans l'impossibilité d'exercer tout ou partie de l'autorité parentale de se faire également déléguer totalement ou partiellement l'exercice de l'autorité parentale.

Dans la mesure où il n'est pas établi que la déclaration judiciaire d'abandon est conforme à l'intérêt de l'enfant, il convient de débouter Monsieur le Président du Conseil Général du Pas-de-Calais de sa demande de déclaration judiciaire d'abandon, le jugement étant infirmé sur ce point »,

ALORS, D'UNE PART, QUE la finalité de la déclaration d'abandon ne réside pas uniquement dans la perspective de l'adoption de l'enfant, mais permet à ce dernier d'accéder au statut de pupille de l'Etat ; qu'en rejetant la demande en déclaration d'abandon concernant l'enfant A... X... après avoir relevé, d'une part, que « l'intérêt principal de la déclaration judiciaire d'abandon est de rendre l'enfant adoptable » (cf arrêt attaqué, p. 6, dernier §) et, d'autre part, qu'« en l'espèce, le Conseil Général du Pas-de-Calais reconnaît qu'il n'existe aucun projet d'adoption pour A... » (cf arrêt attaqué, p. 6, pénultième §), la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs inopérants au regard de l'article 350 du code civil, a violé ce texte par refus d'application,

ALORS, D'AUTRE PART, QUE le juge qui constate qu'il est établi que les parents d'un enfant s'en sont manifestement désintéressés pendant l'année qui a précédé l'introduction de la demande en déclaration d'abandon de ce dernier, doit prononcer l'abandon judiciaire, sans avoir en outre à rechercher si celui-ci est conforme à l'intérêt de l'enfant ; qu'en rejetant la demande en déclaration d'abandon au motif qu'« il n'est pas établi que la déclaration judiciaire d'abandon est conforme à l'intérêt de l'enfant » (cf arrêt attaqué, p. 7, § 6), cependant qu'elle avait constaté qu'il était « établi que les deux parents se sont désintéressés de manière manifeste de A... depuis 2009, soit plus d'un an avant le dépôt de la requête par le Conseil Général du Pas-de-Calais » (cf arrêt attaqué, p. 5, § 8), la cour d'appel, qui a ajouté une condition non prévue à l'article 350 du code civil, a violé ce texte par refus d'application.



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Cette décision est visée dans les définitions suivantes :
Adoption
Autorité parentale


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 29/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.