par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. com., 2 novembre 2016, 15-12399
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Cour de cassation, chambre commerciale
2 novembre 2016, 15-12.399

Cette décision est visée dans la définition :
Lettre de change




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en ses première et quatrième branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 13 novembre 2014), que la société Côté vacances, qui exerce une activité d'hôtellerie et restauration aux Orres (Hautes-Alpes) a, le 12 mal 2011, commandé des téléviseurs ainsi que les fixations murales correspondantes à la société Groupe Xalis et lui a versé un acompte ; que le paiement d'une somme complémentaire était prévu après la livraison et l'installation complète des téléviseurs, au moyen d'une lettre de change créée le 29 mai 2011, à échéance du 31 juillet suivant ; que la société Groupe Xalis a été mise en redressement judiciaire le 25 mai 2011 ; que les produits commandés n'ayant pas été livrés, la société Côté vacances a demandé le rejet de la lettre de change ; que la société Banque Delubac & Cie (la banque), qui avait escompté l'effet le 6 juin 2011, l'a poursuivie en paiement ;

Attendu que la société Côté vacances fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la banque la somme de 17 940 euros, outre intérêts, alors, selon le moyen :

1°/ que le tireur d'une lettre de change peut, par la clause « retour sans frais », « sans protêt » ou toute autre clause équivalente inscrite sur le titre et signée, dispenser le porteur de faire dresser, pour exercer ses recours, un protêt faute d'acceptation ou faute de paiement ; que la clause pré-imprimée sur la lettre de change n'est efficace que si elle est spécifiquement signée par le tireur et le tiré ; qu'en ayant décidé que, sur la lettre de change, l'absence de signature validant spécialement la clause préimprimée mentionnant « Contre cette lettre de change stipulée sans frais, veuillez payer la somme indiquée ci-dessous à l'ordre de : » était sans incidence, dès lors que la clause figurant dans le corps même de la traite se trouvait validée par la signature unique du tireur, la cour d'appel a violé l'article L. 511-43 du code de commerce ;

2°/ qu'est un porteur de mauvaise foi l'établissement bancaire qui, connaissant le redressement judiciaire de son client depuis le 25 mai 2011 et l'état de cessation des paiements qui remonte au 1er octobre 2010, décide néanmoins, le 6 juin 2011, d'escompter des lettres de change, ayant nécessairement conscience que le tireur, dans une situation irrémédiablement compromise, ne pourrait fournir la provision à l'échéance et qu'en consentant à l'endossement du titre à son profit, il causait un dommage au tiré par l'impossibilité où il le mettait de se prévaloir, envers le tireur, d'un moyen de défense pris de ses relations avec ce dernier ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article L. 511-12 du code de commerce ;

Mais attendu, d'une part, que, lorsque une clause « retour sans frais » ou « sans protêt » est préimprimée sur la lettre de change, la seule signature du tireur portée sur l'effet suffit à la valider, sans qu'il soit nécessaire qu'une seconde signature, distincte de la première, soit apposée spécifiquement sous cette clause ; qu'ayant relevé que l'effet de commerce accepté et signé par la société Côté vacances mentionnait en caractères imprimés : « Contre cette lettre de change stipulée sans frais, veuillez payer la somme indiquée ci-dessous à l'ordre de : », c'est exactement que la cour d'appel a retenu que la clause se trouvait validée par la signature unique du tireur, apposée, selon l'usage, au bas de la lettre de change, et en a déduit que la banque n'avait pas l'obligation de dresser un protêt, pour pouvoir exercer ses droits contre la société Côté vacances, tiré-accepteur ;

Attendu, d'autre part, que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a retenu que la banque ignorait que les téléviseurs n'avaient pas été livrés au moment où elle a reçu la lettre de change et que sa connaissance, à cette date, de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard du tireur n'établissait pas sa mauvaise foi, cet état ne préjugeant en rien de la capacité d'une entreprise à exécuter ses obligations durant la période d'observation de cette procédure et n'établissant donc pas le caractère irrémédiablement compromis de sa situation ; qu'en en déduisant que la société Côté vacances ne faisait pas la démonstration qu'en consentant à l'endossement du titre à son profit, la banque avait eu conscience de lui causer un dommage par l'impossibilité où elle l'aurait mise de se prévaloir, vis-à-vis du tireur, d'un moyen de défense issu de ses relations avec ce dernier, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Côté vacances aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la société Banque Delubac & Cie la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux novembre deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour la société Côté vacances

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement qui avait accueilli l'opposition formée par la société Côté Vacances à l'ordonnance en injonction de payer du 29 septembre 2011 et statuant à nouveau, d'avoir condamné la société Côté Vacances à payer à la Banque Delubac et Cie la somme de 17 940 € en principal, avec intérêts au taux légal à compter du 5 août 2011 ;

Aux motifs que la société Côté Vacances fait valoir qu'il appartenait à la banque, porteur de l'effet, se heurtant à son refus de payer, de faire dresser protêt ainsi que prévu par l'article L. 511-39 du code de commerce ; qu'il en résulte que la Banque Delubac, porteur négligent, ne peut se prévaloir d'un recours contre le tiré, de sorte que sa demande est irrecevable ; mais que l'article L. 511-43 du code de commerce dispose que « Le tireur, un endosseur ou un avaliseur peut, par la clause « retour sans frais », « sans protêt » ou toute autre clause équivalente inscrite sur le titre et signée, dispenser le porteur de faire dresser, pour exercer ses recours, un protêt faute d'acceptation ou faute de paiement » ; qu'en l'espèce, l'effet de commerce accepté et signé par la société Côté Vacances mentionne en caractères imprimés : « Contre cette LETTRE DE CHANGE stipulée SANS FRAIS, veuillez payer la somme indiquée ci-dessous à l'ordre de : » ; que l'absence de signature validant spécialement cette stipulation est sans incidence, car la clause imprimée figure déjà dans le corps même de la traite, en même temps que les mentions essentielles et se trouve validée par la signature unique du tireur apposée, selon l'usage, au bas de la traite ; que la banque n'avait donc aucune obligation de dresser un protêt pour lui permettre d'exercer ses droits contre la société Côté Vacances, tiré-accepteur, contrairement à ce qui a été jugé ; que la société Côté Vacances demande à la cour de prononcer la nullité de la lettre de change, pour absence de signature, en faisant valoir que la validité d'une lettre de change est soumise à l'existence de plusieurs mentions obligatoires ; que, notamment, elle doit comporter la signature du tireur, avant la date d'apposition de la signature d'acceptation par le tiré ; qu'or, en l'espèce, elle est en mesure de produire devant la cour un double de la lettre de change revêtue de sa seule signature de tiré, c'est-à-dire dans l'état où elle l'a adressée à la société Groupe Xalis avant que celle-ci ne la signe ; que cet état de fait est attesté par la comptable de Côté Vacances à l'époque, Mme X... ; que ceci s'explique par le fait que cet effet a été rédigé par M. Y..., gérant de la société Côté Vacances, qui l'a signé et adressé par courrier du mai 2011 à la société Groupe Xalis, qui y a ensuite apposé sa signature, postérieurement à celle du tiré, les parties ne s'étant jamais rencontrées physiquement, l'une ayant son siège à Nice et l'autre à Paris ; que le fait n'est d'ailleurs pas contesté par la banque que cette lettre de change a été rédigée par Monsieur Y... qui l'a donc nécessairement signée dans un même trait de temps, avant de l'expédier par courrier au tireur ; qu'il en résulte que ce document ne vaut pas comme lettre de change et qu'il ne peut servir de fondement à une action de la banque à son encontre ; que la banque réplique que la production d'une simple copie non certifiée conforme à l'original par Côté Vacances n'a aucun caractère probant, puisque au sens de l'article 1282 du code civil et de la jurisprudence, seule la remise du titre original peut faire la preuve de la libération et qu'au sens de l'article 1348 du code civil, la valeur probante d'une copie reste très exceptionnelle ; qu'en tout état de cause, il ne résulte pas des éléments que la société Côté Vacances soumet à la cour la preuve suffisante que la copie qu'elle produit est bien celle du titre original inachevé, étant observé que la lettre de change originale présentée par la banque est parfaitement valable pour comporter toutes les mentions exigées par la loi ; que Côté Vacances fait valoir que 15 jours avant l'échéance de la lettre de change, elle a demandé à la Banque Rhône Alpes de rejeter la traite au bénéfice de la société Groupe Xalis ; que la Banque Delubac ne pouvait ignorer cet ordre de rejet et ne pouvait ignorer davantage les difficultés de la société Groupe Xalis, déclarée lors de son redressement judiciaire en date du 25 mai 2011, en état de cessation des paiements depuis le 1er octobre 2010, c'est-à-dire dans une situation irrémédiablement compromise ; que la lettre de change n'a pas été acceptée sans réserve, puisque le bon de commande valant contrat entre la société Côté Vacances et la société groupe Xalis indique expressément que l'acompte de 15.000 euros HT ne serait payé qu'après livraison et installation complète ; qu'en raison de la mauvaise foi de la Banque Delubac, elle peut lui opposer les exceptions relatives aux rapports liant la société Côté Vacances au Groupe Xalis ; mais que dans le rapport cambiaire, la société Côté Vacances, tirée, a donné son acceptation pure et simple ; qu'elle ne peut donc faire valoir, pour tenter d'échapper à son obligation de payer, les conventions intervenues entre elle et le tireur, par application du principe de l'inopposabilité des exceptions posé par l'article L. 511-12 du code de commerce ; que si ce principe ne profite qu'au porteur de bonne foi, Côté Vacances ne fait pas la démonstration qu'en consentant à l'endossement du titre à son profit, la banque a eu conscience de lui causer un dommage par l'impossibilité où elle l'a mise de se prévaloir, vis-à-vis du tireur, d'un moyen de défense issu de ses relations avec ce dernier ; qu'en effet, la banque n'avait aucune connaissance de la non-livraison des téléviseurs, au moment où elle a reçu la traite le 6 juin 2011 et la connaissance par celle-ci de la cessation des paiements du tireur n'établit pas sa mauvaise foi, étant observé que la société Côté Vacances a elle-même contracté avec Xalis postérieurement à la date de cessation des paiements, ce qui prouve qu'elle accordait alors sa confiance à cette société ; que d'autre part, l'état de cessation de paiement ne préjugeant en rien de la capacité d'une entreprise à exécuter ses obligations, soit en l'espèce la livraison des marchandises durant la période d'observation, la banque est ainsi fondée à soutenir qu'au 6 juin 2011, elle n'avait aucun élément pour imaginer que la traite ne serait pas honorée avant son échéance du 31 juillet 2011 ; qu'enfin, l'argument pris de l'existence d'un ordre de rejet de la traite en date du 15 juillet 2011 est sans valeur, puisque cet ordre est postérieur à la date la banque a accepté la remise à l'escompte ;

Alors 1°) que le tireur d'une lettre de change peut, par la clause « retour sans frais », « sans protêt » ou toute autre clause équivalente inscrite sur le titre et signée, dispenser le porteur de faire dresser, pour exercer ses recours, un protêt faute d'acceptation ou faute de paiement ; que la clause pré-imprimée sur la lettre de change n'est efficace que si elle est spécifiquement signée par le tireur et le tiré ; qu'en ayant décidé que, sur la lettre de change, l'absence de signature validant spécialement la clause préimprimée mentionnant « Contre cette LETTRE DE CHANGE stipulée SANS FRAIS, veuillez payer la somme indiquée ci-dessous à l'ordre de : » était sans incidence, dès lors que la clause figurant dans le corps même de la traite se trouvait validée par la signature unique du tireur, la cour d'appel a violé l'article L. 511-43 du code de commerce ;

Alors 2°) et en tout état de cause, qu'en l'absence de la signature du tireur avant l'inscription de son acceptation par le tiré, une lettre de change est nulle faute de comporter l'un des éléments essentiels ; qu'en n'ayant pas recherché, ainsi qu'elle y était invitée, si l'absence de signature de la lettre de change par la société Groupe Xalis, tireur, avant que la société Côté Vacances, tiré, n'appose sa signature, ne résultait pas, d'une part, de la production du double de la lettre de change adressé à la société Groupe Xalis, où figurait sa signature comme tiré mais pas la signature du tireur et, d'autre part, de l'attestation du 28 avril 2012 émanant de Mme X..., expert-comptable de la société Côté Vacances, confirmant que lorsque la lettre de change avait été signée par le gérant, elle ne comportait pas la signature du tireur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 511-1 du code de commerce ;

Alors 3°) et en tout état de cause, que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en ayant statué sans avoir analysé, même sommairement, l'attestation du 28 avril 2012 de l'expert-comptable de la société Côté Vacances, Mme X..., confirmant que la lettre de change signée par le gérant ne comportait pas la signature du tireur, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;


Alors 4°) et en tout état de cause, qu' est un porteur de mauvaise foi l'établissement bancaire qui, connaissant le redressement judiciaire de son client depuis le 25 mai 2011 et l'état de cessation des paiements qui remonte au 1er octobre 2010, décide néanmoins, le 6 juin 2011, d'escompter des lettres de change, ayant nécessairement conscience que le tireur, dans une situation irrémédiablement compromise, ne pourrait fournir la provision à l'échéance et qu'en consentant à l'endossement du titre à son profit, il causait un dommage au tiré par l'impossibilité où il le mettait de se prévaloir, envers le tireur, d'un moyen de défense pris de ses relations avec ce dernier ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article L. 511-12 du code de commerce.



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Cette décision est visée dans la définition :
Lettre de change


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 28/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.