par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 8 mars 2017, 16-11028
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
8 mars 2017, 16-11.028

Cette décision est visée dans les définitions suivantes :
Conjonctif
Fruits




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, ci-après annexé :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 3 novembre 2015), que Raymond X... et Edith Y... qui avaient adopté, au cours de leur mariage, le régime de la communauté universelle avec attribution au dernier survivant de la totalité des biens la composant, sont décédés, sans héritier réservataire, respectivement les 28 février et 17 avril 2010 ; qu'Edith Y... a laissé pour lui succéder sa soeur, Mireille, et ses deux neveux, MM. Jean-Michel et Gilbert Z..., fils de sa soeur Thérèse, prédécédée ; que ces derniers ont assigné M. A... en nullité de dispositions testamentaires qu'il invoquait en sa faveur ;

Attendu que M. A... fait grief à l'arrêt d'annuler ces dispositions pour cause d'insanité d'esprit et de le condamner à restituer l'intégralité de l'actif successoral avec ses fruits ;

Attendu, d'abord, qu'après avoir constaté que le testament du 1er janvier 2009 avait été rédigé par Edith Y... en commun avec son mari, la cour d'appel en a justement déduit que cet acte conjonctif était atteint de nullité et énoncé qu'il ne produisait aucun effet ;

Attendu, ensuite, qu'ayant souverainement estimé que, le 24 février 2010, Edith Y... souffrait d'insanité d'esprit, elle n'avait pas à procéder à la recherche prétendument omise ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. A... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à M. Jean-Michel Z... et Mme Y... la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit mars deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt


Moyen produit par Me Rémy-Corlay, avocat aux Conseils, pour M. A...

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il a annulé les dispositions testamentaires pour cause d'insanité d'esprit et condamné Monsieur Emmanuel A... à restituer l'intégralité de l'actif successoral avec ses fruits ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE : « Sur la validité du testament du 10 janvier 2009 M. Emmanuel A... fait valoir que Edith Y... épouse X... a rédigé deux testaments. Le premier, daté du 10 janvier 2009, est un testament commun avec son mari, manuscrit par elle en leurs deux noms "nous, soussignés... déclarent... "et signé par eux deux. Il contredit donc en sa forme les dispositions de l'article 968 du code civil qui dispose qu'un testament ne peut être fait dans le même acte par deux personnes. Le premier Juge en a tiré la conséquence de sa nullité. M. Emmanuel A... reconnaît ce vice de forme. Il en tire la conclusion non pas de sa nullité mais de son effet relatif seulement à Edith X... en sa qualité de rédactrice et signataire. Les intimés concluent à la confirmation en contestant que Edith X... soit la seule rédactrice. Cette violation des règles essentielles affecte la substance même du testament, lequel ne peut constituer qu'un acte personnel et pas un acte collectif. Elle interdit de le considérer comme un testament susceptible de produire effet et, par confirmation, il sera déclaré sans effet. 3) sur la validité du testament du 24 février 2010 : Après la rédaction de cet écrit commun les époux X... ont rédigé deux autres testaments, cette fois de façon séparée et toujours en faveur de Emmanuel A.... Raymond X... a écrit le sien le 25 février 2010. Edith Y... épouse X... avait écrit le sien la veille, 24 février 2010, également en faveur d'Emmanuel A... "en remerciement de tous les services rendus". Du fait du régime matrimonial des époux communs en biens de façon universelle, avec attribution de la communauté au survivant, seul le testament de l'épouse survivante est mis en jeu. La soeur et les deux neveux de Edith X... fondent leur action en nullité de ce testament sur l'insanité d'esprit de la testatrice. Ils ont été suivis en cela par le premier juge qui a prononcé sa nullité. Après le décès de Raymond X..., une enquête de gendarmerie a procédé à diverses auditions. Ces pièces ont été communiquées par les intimés. L'appelant a communiqué 3 attestations d'amis. Comme le premier juge, la cour n'est pas convaincue par ces déclarations, rappelant souvent des faits non datés ou seulement de façon vague telle que "en 2009", et parfois sans intérêt car très anciens, à une période où l'insanité d'esprit de la testatrice n'est pas évoquée dans l'actuel débat. Ces déclarations appuient l'une ou l'autre des deux thèses en présence. Les uns parlent de "vautours" se précipitant pour accaparer une succession non encore née mais susceptible de l'être prochainement, en profitant de la faiblesse d'esprit du couple Ladoire. Les autres exposent le dévouement d'Emmanuel A... à l'égard de ceux qui ont voulu l'en remercier, leur propre famille n'ayant manifesté que son désintérêt. La cour, comme le premier juge, recherche en conséquence les éléments objectifs et vérifiables du débat. Parmi eux figurent les réactions du corps médical, hospitalier et judiciaire, non suspects de vouloir avantager l'une ou l'autre thèse. Le docteur Patrick B..., médecin traitant de Edith X..., a rédigé le 24 mars 2010 un certificat médical, pour attester qu'elle "nécessite une mesure de protection urgente à titre de curatelle". Dans ce certificat, établi à la demande de Edith X..., il estime utile de préciser "à noter que cette personne a une réduction de son autonomie motrice sévère (périmètre de marche 10 à 15 mètres) ". Edith X..., dans une écriture tremblotante et peu assurée, a pris le soin de signer ce certificat. Le docteur Bernard C..., saisi par le procureur de la République dans le cadre de l'application de l'article 43Odu code civil, e rendu compte le février 2010 de l'examen pratiqué le jour-même sur Edith X.... Il la décrit comme atteinte d'une démence débutante avec des troubles cognitifs majeurs, des troubles mnésiques, une altération de ses facultés mentales, altérations qu'il considère comme définitives et en voie d'aggravation. Il en déduit que ces altérations mentales empêchent l'expression de sa volonté tout en la mettant dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts. Cet état est aggravé par l'importance des altérations corporelles dont elle souffre par ailleurs. Il en conclut à sa mise sous tutelle, sans audition car elle ne saurait exprimer sa volonté au juge. Cette Intervention faisait suite au signalement effectué par l'hôpital de Ribérac au maire de la commune pour lui Indiquer la nécessité de protéger les époux X.... Ce courrier du 11 août 2009 faisait suite à un entretien du 4 août précédent, lequel résultait "après discussion autour de la situation de M. et Mme X... avec ma hiérarchie et l'équipe soignante". Cela conduisait le procureur de la République de Périgueux à saisir le juge des tutelles le 15 février 2010 en ouverture d'une mesure de protection judiciaire. Cette chronologie démontre que, dès l'été 2009, le milieu médical et hospitalier s'était ému de la situation des époux X... qui leur paraissait justifier une mesure de protection. À la suite, dès le 4 février 2010, le médecin désigné par le procureur de la République constatait l'importance des désordres psychiques dont souffrait Edith X..., empêchant l'expression de sa volonté, nécessitant sa mise sous tutelle, alors qu'elle n'était pas même en état d'être entendue par le juge. Le procureur de la République compétent saisissait le juge des tutelles le 15 février 2010. Plus tard, 24 mars 2010, Edith X... demandait s son médecin traitant d'attester de son état et signait son certificat. Comme le premier juge, la cour en déduit qu'au 24 février 2010, date du testament litigieux, Edith X... était déjà dans un état d'insanité l'empêchant d'exprimer sa volonté. Aucun élément du dossier ne vient étayer la thèse d'une amélioration de son état ou d'un intervalle de lucidité après les constatations sus citées. La demande de constat de sa faiblesse effectuée par elle à son médecin traitant le 24 mars 2010 doit être analysée comme un appel au secours. Par confirmation, ce testament sera annulé et déclaré sans effet. L'intégralité de la succession devra être restituée. »

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE : « Sur la validité du testament du 1er janvier 2009 Il est constant que, le 1er janvier 2009, Monsieur et Madame X... ont rédigé ensemble un seul testament aux termes duquel ils instituent Monsieur Emmanuel A... en qualité de légataire universel. Ils l'ont signé également tous les deux. Or, en application des dispositions de l'article 968 du Code Civil, un testament ne pourra être fait dans le même acte par deux ou plusieurs personnes, soit au profit d'un tiers, soit à titre de disposition réciproque et mutuelle. Pour que les volontés des époux X... soient prises en compte, il aurait fallu que chacun des époux fasse un testament dans lequel il instituait la ou les personnes qu'il voulait désigner comme légataires universels. Il en résulte que le testament établi le 1er janvier 2009 contrevient aux dispositions légales susmentionnées et ne saurait être pris en compte à quelque titre que ce soit. Sur la demande de nullité du testament du 24 février 2010 : Il est constant que Madame Y... veuve X... a rédigé et signé le 24 février 2010 un testament aux termes duquel elle institue Monsieur Emmanuel A... en qualité de légataire universel de ses biens. Les demandeurs soutiennent que ce testament doit être annulé au motif que Madame Y... veuve X... n'était à cette période plus capable d'exprimer sa volonté, à tel point qu'une mesure de protection était dès ce moment envisagée à son encontre. A cet égard, il convient de rappeler que l'article 414-2 du Code civil précise que les restrictions à l'action en nullité pour insanité d'esprit intentée après la mort de l'intéressé, s'imposent pour les actes faits par lui "autres que la donation entre vifs et le testament". Il en résulte que ces dispositions ne peuvent être invoquées à l'appui d'une demande de nullité d'un testament ou d'une donation entre vifs. C'est donc la règle générale posée à l'article 414-1 et reprise par l'article 901 du Code civil en matière de libéralités qu'il convient d'appliquer. Aux termes de l'article 901 du Code Civil, une libéralité peut être annulée pour cause d'insanité d'esprit. S'il est particulièrement difficile pour le demandeur de rapporter la preuve négative de l'insanité d'esprit, la jurisprudence admet que la preuve puisse être suffisamment rapportée par la démonstration que le disposant avait été frappé d'insanité d'esprit dans la période immédiatement antérieure et durant celle immédiatement postérieure à la période incriminée ; que celui-ci était atteint d'une démence constante ou se trouvait dans un état habituel de trouble mental ; que ses facultés mentales avaient connu depuis plusieurs années une dégradation progressive et constante dont procédait un état inéluctable d'insanité d'esprit à l'époque de l'acte contesté. Dans l'un ou l'autre de ces cas, il existe une présomption d'insanité d'esprit qui n'est toutefois pas irréfragable et peut être combattue par l'administration de la preuve que la confection de l'acte est intervenue dans un intervalle de lucidité du disposant. Ainsi, pour justifier d'une action en nullité d'une libéralité, il appartient au demandeur de prouver que le disposant n'était pas sain d'esprit, tandis qu'il revient au défendeur donataire de démontrer, pour faire échec à cette action, que le trouble mental, à le supposer établi, n'a pu compromettre la validité de l'acte en établissant qu'il a été régularisé pendant un intervalle de lucidité de son auteur. En l'occurrence, les diverses attestations et déclarations recueillies dans le cadre de l'enquête pénale et produites aux débats par les deux parties sont manifestement divergentes et ne permettent pas de les utiliser tellement leur contenu est contraire, voire opposé, et même quelquefois caricatural. En effet, Madame Y... veuve X... est tantôt présentée comme une personne très lucide jusqu'à son décès (thèse du légataire) et tantôt comme une personne ayant totalement perdu la tête. Ce sont donc les éléments objectifs qu'il s'agit d'analyser, et en particulier les certificats médicaux rédigés dans la période de rédaction du testament. L'élément essentiel est le certificat rédigé le 04 février 2010 par le docteur Bernard C..., médecin spécialiste saisi par Monsieur le Procureur de la République en vue de l'ouverture d'une mesure de protection judiciaire, qui a constaté que Madame Y... veuve X... présentait des troubles cognitifs majeurs, des troubles mnésiques, une altération des facultés mentales, des troubles comportementaux (repli sur soi, refus d'une vie normale) ainsi qu'une altération de ses facultés corporelles. Plus précisément, ce médecin a indiqué que ces altérations mentales qualifiées de troubles graves du comportement empêchaient l'expression de la volonté de Madame Y... veuve X.... De la même façon, les altérations corporelles empêchaient l'expression de la volonté de Madame Y... veuve X... car elle se trouvait "hors du temps". D'ailleurs, le docteur C... concluait à l'ouverture d'une mesure de tutelle car il estimait que Madame Y... veuve X... n'était pas capable de pourvoir à ses intérêts et même rie pouvait donner un quelconque avis. Il est important de souligner que le docteur C... a examiné Madame Y... veuve X... alors que son mari était toujours vivant et avant la rédaction du testament du 24 février 2010. Le docteur B..., dans un certificat du 24 mars 2010, indique que l'état de santé de Madame X... nécessite une mesure de protection urgente à type de curatelle. Dès lors, l'altération des facultés mentales de Madame Y... veuve X... est établie antérieurement à la rédaction du testament du 24 février 2010. Monsieur A... ne rapporte pas la preuve que cette rédaction ait été faite dans un intervalle de lucidité. Le fait que le testament du 24 février 2010 reprenne les termes du testament du ier janvier2009 est inopérant dans la mesure où, durant la période de rédaction, Madame Y... veuve X... ne disposait plus de ses facultés mentales et ne pouvait plus librement exprimer sa volonté. Dès lors, il y a lieu d'en conclure que l'insanité d'esprit dont souffrait Madame Y... veuve X... rend nul le testament qu'elle a rédigé le 24 février 2010. Il convient en conséquence de condamner Monsieur Emmanuel A... à restituer les biens faisant l'objet du legs universel ainsi que les fruits qu'il a pu en percevoir au profit de la succession de Madame Y... veuve X.... Ces biens et sommes seront à transmettre au Président de la chambre départementale des notaires de la Dordogne ou à son délégataire qui sera chargé de leur partage dans le cadre du règlement de la succession de Madame Y... veuve X.... »

ALORS QUE 1°) la nullité du testament conjonctif est une nullité de forme et non une nullité substantielle ; qu'elle n'est prohibée que dans la mesure où il convient que chaque testateur puisse revenir librement sur les libéralités à cause de mort jusqu'au décès ; que dès lors seul le testateur peut en demander la nullité ; qu'en l'espèce il est constant que le premier acte, s'il pouvait être affecté d'une nullité en ce qu'il était conjonctif, n'a fait l'objet d'aucune dénonciation par les époux X... qui l'ont au contraire chacun confirmé par deux testaments ultérieurs séparés ; qu'en prononçant la nullité de ce testament en considérant qu'il s'agissait dès lors d'une nullité absolue, la Cour d'appel a violé les articles 968 et 1001 du Code civil ;


ALORS QUE 2°) si la validité d'un acte s'apprécie au moment où il a été rédigé, le fait qu'il s'agit de la réitération d'un acte affecté d'un vice de forme doit être pris en compte pour apprécier la validité de cet acte ; qu'en l'espèce il est constant que le testament rédigé par Madame X... le 24 février 2010 ne faisait que réitérer la volonté qu'elle avait exprimée dans le testament conjonctif du 1er janvier 2009, son époux confirmant encore cette volonté par l'acte qu'il avait lui-même rédigé le 25 février 2010 ; qu'en se fondant uniquement sur l'état de santé de Madame X... au 24 février 2010, sans rechercher s'il ne s'évinçait pas de cette réitération une volonté réelle des époux de voir Monsieur A... leur succéder après leur décès, la Cour d'appel a manqué de base légale au regard des articles 414-1, 901, 967, 969 et 970 du Code civil.



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Cette décision est visée dans les définitions suivantes :
Conjonctif
Fruits


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 28/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.