par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 11 juin 2009, 08-16914
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
11 juin 2009, 08-16.914

Cette décision est visée dans la définition :
Procès Équitable




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu qu'imputant sa contamination par le virus l'hépatite C au traitement de ses varices, réalisé entre le 27 septembre 1981 et le 11 janvier 1982 par injection d'un liquide sclérosant, Mme X... a recherché la responsabilité de M. Y..., son médecin ;

Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt (Bordeaux, 16 avril 2008) de l'avoir déclaré responsable de la contamination de Mme X... par le virus de l'hépatite C et de l'avoir condamné à lui verser une indemnité en réparation de son préjudice, alors, selon le moyen, que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ; qu'en conséquence, une partie à un procès ne peut se voir opposer une règle de droit issue d'un revirement de jurisprudence lorsque la mise en oeuvre de celle-ci aboutirait à la priver d'un procès équitable ; qu'en 1981 et 1982, la jurisprudence mettait à la charge du médecin, en matière d'infection nosocomiale, une obligation de moyens et n'a mis à sa charge une obligation de sécurité de résultat qu'à compter du 29 juin 1999 ; que l'application du revirement de jurisprudence du 29 juin 1999 à la responsabilité des médecins pour des actes commis avant cette date a pour conséquence de priver le médecin d'un procès équitable, dès lors qu'il lui est reproché d'avoir manqué à une obligation qui, à la date des faits qui lui sont reprochés, n'était pas à sa charge ; qu'en décidant néanmoins que M. Y... était tenu d'une obligation de sécurité de résultat en raison des actes qu'il avait pratiqués sur Mme X... entre le 27 septembre 1981 et le 11 janvier 1982, bien que ceux-ci eussent été réalisés avant le revirement de jurisprudence ayant consacré l'existence d'une obligation de sécurité de résultat, la cour d'appel a privé M. Y... du droit à un procès équitable, en violation des articles 1147 du code civil et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable pour contester l'application immédiate d'une solution nouvelle résultant d'une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s'en prévaut n'est pas privée du droit à l'accès au juge ; que le moyen n'est pas fondé en sa première branche ;

Et attendu qu'aucun des griefs du moyen unique, pris en ses autres branches, ne serait de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. Y... ; le condamne à payer à Mme X... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juin deux mille neuf.



MOYEN ANNEXE au présent arrêt


Moyen produit par la SCP RICHARD, avocat aux Conseils pour M. Y...

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré le Docteur Y... responsable de la contamination de Madame X... par le virus de l'hépatite C et de l'avoir condamné à lui verser la somme de 29 340 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice, ainsi qu'à payer à la Caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde la somme de 5.874,85 euros en remboursement de ses prestations ;

AUX MOTIFS QUE pour obtenir la réparation du préjudice consécutif à la contamination du virus de l'hépatite C dont elle a été victime, Madame X... doit rapporter la preuve du lien de causalité entre les actes médicaux accomplis par le Docteur Y... et le préjudice qu'elle a subi ; que cette preuve peut être faite par tous moyens, y compris par des présomptions qui doivent cependant être graves, précises et concordantes ; que contrairement à ce que soutient Monsieur Y..., il n'est pas nécessaire qu'il existe un lien de causalité certain entre les scléroses des varices qu'il a pratiquées et la contaminations ; qu'exiger que la victime rapporte de manière incontestable la preuve objectivement constatée d'un fait médical, qui par essence ne peut être établie scientifiquement de façon certaine, reviendrait en effet à priver la victime de toute indemnisation ; que pour considérer qu'il est fortement probable que l'hépatite C présentée par Madame X... est consécutive aux soins effectués par le Docteur Y..., les experts retiennent en page 7 de leur rapport que la sclérose de varices est une pratique à risques de transmission de virus de l'hépatite C, qu'il n'existe pas chez Madame X..., avant les soins du Docteur Y..., d'antécédent d'ictère ou d'hépatite virale, de toxicomanie, de tatouage, de transfusion sanguine, d'antécédent pathologique médical ou chirurgical nécessitant des injections multiples, de soins dentaires importants, d'examen endoscopique, d'EMG, de soins de manucurie et de pédicure, de voyages dans les pays ou la prévalence du virus de l'hépatite C est élevée, que la survenance d'une hépatite au décours de séances de sclérose est compatible avec une contamination par les injections sclérosantes puisque la période d'incubation d'hépatite C est en moyenne de 4 à 8 semaines (début de l'hépatite C se situe en février 1982 et les scléroses ont été réalisées entre le 21 septembre 1981 et le 11 janvier 1982), que le caractère clinique et chronologique de cette hépatite aiguë est compatible avec une attitude due au virus C qui est peu souvent symptomatique ou asymptomatique et que la normalité du taux de transaminases en 1992 et avant le traitement en 2003 n'est pas compatible avec une infection par le virus de l'hépatite C car environ 20 % des hépatites C chroniques ont des transaminases normales ; que sur le contexte épidémiologique, les experts retiennent, d'une part, l'existence dans la région bordelaise de nombreux cas d'infection par le virus de l'hépatite C chez des patients chez qui la seule cause détectée était la sclérose de varices et que le travail de l'équipe du Professeur Z... a mis en évidence de nombreux cas d'infection par le virus de l'hépatite C de génotype 2 au cours de séances de sclérose de varices de membres inférieurs, alors que Madame X... était traitée pour un virus de génotype 2, et d'autre part, que le Conseil régional de l'Ordre des médecins d'Aquitaine, dans un rapport concernant une plainte d'une patiente du Docteur Y... et sa radiation du Conseil de l'Ordre fait, état d'une enquête épidémique qui révèle que 45 patients infectés par le virus de l'hépatite C ont été traités par le Docteur Y... ; que Monsieur Y... maintient que les éléments retenus par les experts ne sont pas pertinents, que le mécanisme exact de la contamination reste inconnu, que Madame X... présentait des facteurs de transmission puisqu'elle a subi des soins dentaires, une nucléolyse pour hernie discale et qu'elle a travaillé comme préparatrice en pharmacie ; qu'il ajoute qu'aucune pièce ne permet d'établir que le diagnostic d'hépatite virale aurait été en 1982, que l'enquête épidémiologique sur laquelle se sont fondés les experts, est contestable, qu'il apparaît peu scientifique d'affirmer que la présence d'un génotype 2 résulterait probablement des scléroses de varice qu'il a pratiquées, et que sa pratique correspondait à celle en vigueur à l'époque des soins ; qu'il s'avère cependant tout d'abord que les analyses subies par Madame X... de février à octobre 1982, et le traitement qui a été mis en place par le Docteur A..., sur lesquels se sont fondés les experts, leur a permis d'affirmer que le diagnostic d'hépatite virale était alors porté (page 4 du rapport) et que le début de l'hépatite se situe en février 1982, ce qui permet de mettre en évidence la proximité dans le temps existant entre l'intervention du Docteur Y..., qui s'est déroulée de septembre 1981 à janvier 1982, et la contamination ; que cette proximité permet d'exclure d'autres causes de contamination puisque l'intervention par nucléolyse pour une hernie discale dont a bénéficié Madame X... est intervenue 3 ans plus tôt en 1999, et que les experts révèlent qu'il s'agit d'une infection simple, peu invasive, avec une durée d'hospitalisation courte (4 jours) et à une date ou les conditions d'hygiène requises, si elles étaient respectées, mettaient à l'abri de toute infection par le virus de l'hépatite C ; qu'ils ajoutent qu'on peut considérer que Madame X... n'avait aucun antécédent pathologique notable jusqu'en 1981, date du début des soins dispensés par le Docteur Y... (rapport p.5) ; qu'il ne peut dans ces conditions être considéré que Madame X... ait présenté des facteurs de transmission ; que si l'enquête épidémiologique menée par le Professeur Z... ne prouve pas à elle seule que Madame X... ait personnellement été contaminée à l'occasion des soins pratiqués par le Docteur Y..., il ne peut non plus être exclu que certains des autres patients qu'il a eu et qui étaient victimes d'une contamination par l'hépatite C, aient pu être soumis à d'autres causes de contamination ; qu'elle révèle cependant que 17 malades du Docteur Y... ont été affectés par le virus de l'hépatite C, que toutes les souches étaient de génotype 2, ce qui est également le cas de Madame X..., et qu'ils présentaient une très grande similitude, « confirmant une source de contamination unique », ce qui est de nature à démontrer que la situation de Madame X... n'était pas unique ; que si les experts n'ont pas fourni de précision sur la manière exacte dont la contamination a pu intervenir, Madame X... produit une étude qui a porté sur les patients du Docteur Y..., laquelle fait ressortir que l'infection s'est propagée par de minuscules gouttelettes de sang restées dans les seringues en verre sur lesquelles étaient fixées les aiguilles ; que ces éléments établissent l'existence d'un ensemble de présomptions graves, précises et concordantes qui permettent de retenir que la contamination de Madame X... par le virus de l'hépatite C résulte des soins qui lui ont été prodigués par le Docteur Y... ; qu'ils démontrent en conséquence que celui-ci est responsable de l'infection nosocomiale subie par Madame X... ; qu'il importe peu dès lors que Monsieur Y... ait pu ne pas avoir commis de faute par rapport aux règles d'asepsies qui étaient applicables à l'époque, puisqu'il est tenu à une obligation de sécurité de résultat ; qu'il y a lieu à ce titre de préciser que le fait que le Docteur Y... ne soit pas lui même porteur du virus n'établit pas que la contamination n'ait pas eu lieu à l'occasion de ses interventions, et qu'il en va de même en ce qui concerne la date d'identification du virus de l'hépatite C, dès lors que le risque de contamination des patients lors des actes chirurgicaux était connu bien avant 1981 ; qu'en l'absence de cause étrangère démontrée, sa responsabilité sera retenue ;

1°) ALORS QUE toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ; qu'en conséquence, une partie à un procès ne peut se voir opposer une règle de droit issue d'un revirement de jurisprudence lorsque la mise en oeuvre de celle-ci aboutirait à la priver d'un procès équitable ; qu'en 1981 et 1982, la jurisprudence mettait à la charge du médecin, en matière d'infection nosocomiale, une obligation de moyens et n'a mis à sa charge une obligation de sécurité de résultat qu'à compter du 29 juin 1999 ; que l'application du revirement de jurisprudence du 29 juin 1999 à la responsabilité des médecins pour des actes commis avant cette date a pour conséquence de priver le médecin d'un procès équitable, dès lors qu'il lui est reproché d'avoir manqué à une obligation qui, à la date des faits qui lui sont reprochés, n'était pas à sa charge ; qu'en décidant néanmoins que le Docteur Y... était tenu d'une obligation de sécurité de résultat en raison des actes qu'il avait pratiqués sur Madame X... entre le 27 septembre 1981 et le 11 janvier 1982, bien que ceux-ci eussent été réalisés avant le revirement de jurisprudence ayant consacré l'existence d'une obligation de sécurité de résultat, la Cour d'appel a privé le Docteur Y... du droit à un procès équitable, en violation des articles 1147 du Code civil et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°) ALORS QUE, subsidiairement, l'infection nosocomiale se définit comme toute infection qui apparaît au cours ou à la suite d'une hospitalisation, alors qu'elle était absente à l'admission dans l'établissement de santé ; que l'infection iatrogène se définit comme toute infection qui apparaît au cours ou à la suite de soins alors qu'elle était absente avant ceux-ci ; que si le médecin est tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière d'infection nosocomiale, il est en revanche tenu d'une obligation de moyens en matière d'infection iatrogène ; qu'en décidant néanmoins, pour déclarer le Docteur Y... responsable de la contamination de Madame X... par le virus de l'hépatite C, que la contamination d'un patient par le virus de l'hépatite C, consécutive à des soins prodigués dans un cabinet médical, constituait une infection nosocomiale, infection qui apparaît au cours ou à la suite de soins alors qu'elle était absente à l'arrivée du patient, afin d'en déduire que la responsabilité du Docteur Y... était engagée même en l'absence de faute, bien qu'une telle contamination eût caractérisé une infection iatrogène, en raison de laquelle la responsabilité du Docteur Y... ne pouvait pas être engagée sans faute, la Cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;

3°) ALORS QUE, très subsidiairement, le médecin, tenu envers son patient d'une obligation de sécurité de résultat, peut s'exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve de l'existence d'une cause étrangère ; que le Docteur Y... soutenait que le virus de l'hépatite C, qui n'avait pas été découvert en 1981 et 1982, lorsqu'il avait réalisé sur Madame X... les injections du liquide sclérosant, constituait une cause étrangère de nature à l'exonérer de sa responsabilité ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, qui était de nature à influer sur la solution du litige, la Cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile.

4°) ALORS QUE, très subsidiairement, la mise en oeuvre de la responsabilité du médecin suppose l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre le fait qui lui est imputé et le préjudice ; qu'en cas de doute sur ce lien de causalité, la responsabilité du médecin ne peut être engagée ; qu'en affirmant qu'exiger la preuve incontestable, objectivement constatée, d'un fait médical qui par essence ne peut être établi scientifiquement de façon certaine, reviendrait à priver la victime de toute indemnisation dans l'impossibilité où elle se trouve de démontrer cette certitude, impossible au regard de l'art médical qui ne reconnaît que le probable, pour en déduire qu'un lien de causalité incertain entre les actes pratiqués par le Docteur Y... et la contamination nosocomiale de Madame X... suffisait à engager la responsabilité du médecin, la Cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;

5°) ALORS QUE, à titre également très subsidiaire, la mise en oeuvre de la responsabilité du médecin suppose l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre le fait qui lui est imputé et le préjudice ; qu'en cas de doute sur ce lien de causalité, la responsabilité du médecin ne peut être engagée ; qu'en affirmant que la proximité de l'hépatite virale de Madame X..., diagnostiquée en 1982, avec les injections de liquide sclérosant pratiquées par le Docteur Y... et l'absence de risque de contamination résultant de son mode de vie, de son activité professionnelle et de ses antécédents médicaux constituaient des présomptions graves et concordantes établissant le lien de causalité entre les actes pratiqués par le Docteur Y... et la contamination de Madame X..., bien qu'une telle proximité et une telle absence de risque n'aient pas suffit à caractériser de telles présomptions, la Cour d'appel a violé les articles 1147 et 1349 du Code civil.



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Cette décision est visée dans la définition :
Procès Équitable


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 10/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.