par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. crim., 20 juin 2017, 16-87063
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Cour de cassation, chambre commerciale
20 juin 2017, 16-87.063

Cette décision est visée dans la définition :
Articuler




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :


- M. Gérard X..., partie civile,


contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de GRENOBLE, en date du 27 octobre 2016, qui, dans l'information suivie sur sa plainte des chefs de diffamation et injure publiques envers un citoyen chargé d'un mandat public, a prononcé sur une demande de nullité d'actes de la procédure ;


La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 10 mai 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Guichard ;

Sur le rapport de M. le conseiller BONNAL, les observations de la société civile professionnelle THOUIN-PALAT et BOUCARD, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CUNY ;

Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, 31, 33, alinéa 1, et 50 de la loi du 29 juillet 1881, défaut de motifs, manque de base légale, excès de pouvoir ;

" en ce que l'arrêt attaqué a annulé la plainte avec constitution de partie civile de M. X... à l'encontre de M. Philippe Y..., et tous les actes postérieurs, et d'avoir constaté, en conséquence, la prescription de l'action publique ;

" aux motifs que le requérant invoque la nullité des poursuites en ce qu'il résulterait des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 que lorsqu'un même texte comprend des propos, pour certains diffamatoires et pour d'autres injurieux, l'injure ne peut être poursuivie et punie comme constituant un délit distinct que lorsqu'elle est véritablement indépendante des faits diffamatoires, et que tel n'apparaissait pas être le cas en l'espèce ; que la plainte avec constitution de partie civile qualifie de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public l'expression « Après avoir détruit une mosquée, le maire de Charvieu veut vendre une MJC » et d'injure publique commise envers un citoyen chargé d'un mandat public la phrase « Il ose tout, c'est à cela qu'on le reconnaît » ; que le réquisitoire introductif qualifie de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, l'expression « après avoir détruit une mosquée, le Maire de Charvieu veut vendre une MJC, Il ose tout, c'est à cela qu'on le reconnaît », et d'injure publique commise envers un citoyen chargé d'un mandat public la phrase « Il ose tout, c'est à cela qu'on le reconnaît. » ; qu'en obligeant la partie poursuivante à préciser, à qualifier le fait incriminé et à indiquer le texte applicable à la poursuite, la loi a voulu seulement, dans l'intérêt de la défense, que l'objet de la prévention fût d'avance déterminé ; que lorsque les expressions outrageantes ou appréciations injurieuses sont indivisibles d'une imputation diffamatoire, le délit d'injure est absorbé par celui de diffamation ; que l'expression « il ose tout, c'est à cela qu'on le reconnaît » n'a aucune autonomie et ne pourrait être qualifiée d'injure si on ne la rattachait pas à la phrase précédente : « après avoir détruit une mosquée, le Maire de Charvieu veut vendre MJC » ; que l'assertion selon laquelle cette phrase serait à lire en complément d'un film intitulé « Les Tontons flingueurs » et renverrait à la phrase tirée de ce film « Les cons ça ose tout, c'est d'ailleurs comme ça qu'on les reconnaît », n'est pas recevable, d'une part parce qu'il n'est nullement démontré que ce vieux film est connu de tous, encore moins cette réplique, d'autre part parce que la phrase n'est pas identique en tous ses membres ; que l'expression dite outrageante est donc en l'espèce indivisible des imputation diffamatoires et se confond avec elles ; que les réquisitions du ministère public ne lèvent pas l'ambiguïté mais ne font que la conforter, en reprenant la même phrase sous les deux qualifications ; que contrairement à ce que soutient le conseil de la partie civile, cette question ne relève pas du bien fondé de la qualification mais des exigences de prévisibilité et de fixation de l'objet de la prévention, fixées par l'article 50 de la loi sur la presse, qui sont d'ordre public et qui entachent la plainte de nullité en cas de non conformité à ses prescriptions ; qu'en conséquence, la plainte avec constitution de partie civile du 23 juin 2016 est nulle et toute la procédure postérieure en dépendant doit être annulée y compris les réquisitions du ministère public, en date du 17 août 2016, également touchées par les irrégularités sus énoncées ; que la question de la prescription de l'action publique a été ouverte au débat ; que l'annulation de la plainte avec constitution de partie civile en date du 23 juin 2016 et de tous les actes postérieurs ne laisse plus subsister d'acte régulier interruptif de la prescription de l'action publique ; que le message incriminé ayant été mis en ligne le 22 avril 2016, la prescription est acquise depuis le 23 juillet 2016 ; qu'en conséquence, il convient de faire droit à la requête en nullité, et la plainte avec constitution de partie civile et tous les actes postérieurs qui en découlent directement ; qu'il convient par ailleurs de constater que la prescription de l'action publique est acquise ;

" 1°) alors que, si la plainte avec constitution de partie civile doit, à peine de nullité, articuler et qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels la poursuite est intentée, et indiquer les textes dont l'application est demandée, il n'appartient pas aux juges de subordonner la régularité de cet acte à d'autres conditions, dès lors qu'il ne peut exister d'incertitude sur l'objet de la poursuite ; que des qualifications différentes visant des propos différents n'ont pas pour effet de créer une incertitude dans l'esprit du prévenu ; que, par ailleurs, si les faits doivent être appréciés au regard de la qualification fixée irrévocablement à l'acte initial des poursuites, toute erreur sur ce point est dénuée d'effet sur la validité de cet acte et ne fait obstacle, le cas échéant, qu'au prononcé d'une condamnation ; qu'en l'espèce, la plainte avec constitution de partie civile de M. X... qualifiait de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public le propos « Après avoir détruit une mosquée (...) », et d'injure publique commise envers un citoyen chargé d'un mandat public la phrase « Il ose tout, c'est à cela qu'on le reconnaît. » ; que les qualifications invoquées visant ainsi des propos différents, elles ne pouvaient créer aucune incertitude dans l'esprit du prévenu ; qu'en énonçant, pour annuler cette plainte, que le délit d'injure précité était en l'espèce absorbé par celui de diffamation, bien qu'une telle circonstance, à la supposer avérée, pouvait seulement faire obstacle à une condamnation par la juridiction de jugement des chefs d'injure commise envers un citoyen chargé d'un mandat public, mais n'avait aucune incidence sur la validité de la plainte, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes et principes susvisés ;

" 2°) alors subsidiairement que pour juger que le délit d'injure était absorbé en l'espèce par le délit de diffamation, la chambre de l'instruction a relevé que la phrase « Il ose tout, c'est à cela qu'on le reconnaît. » n'avait aucune autonomie et ne pourrait être qualifiée d'injure si on ne la rattachait pas à la phrase précédente « Après avoir détruit une mosquée, le Maire de Charvieu veut vendre une MJC. », et ce dès lors qu'il n'était pas démontré que le vieux film « Les Tontons flingueurs », dans lequel cette réplique est associée à l'injure « con », fût connu de tous, encore moins la réplique reprise par le prévenu ; qu'en statuant ainsi, quand il suffisait que le film et la réplique litigieuse soient évocateurs pour un large public ayant une culture générale cinématographique moyenne, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes et principes susvisés ;

" 3°) alors subsidiairement qu'en retenant que la phrase incriminée, reprise d'une réplique du film « Les Tontons flingueurs » n'était pas identique en tous points à l'originale, quand il suffisait que la réplique soit identifiable, peu important les différences minimes de formulation, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes et principes précités " ;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 29, 31, 33 alinéa 1 et 50 de la loi du 29 juillet 1881, défaut de motifs, manque de base légale, excès de pouvoir ;

" en ce que l'arrêt attaqué a, aux mêmes motifs, annulé la plainte avec constitution de partie civile de M. Gérard X... à l'encontre de M. Philippe Y..., et tous les actes postérieurs, et a constaté, en conséquence, la prescription de l'action publique ;

" alors qu'il n'appartient pas à la juridiction d'instruction d'apprécier le bien-fondé de la qualification retenue par l'acte initial de
la poursuite ; qu'en l'espèce, la plainte avec constitution de partie civile de M. X... qualifiait de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public le propos « Après avoir détruit une mosquée (...) », et d'injure publique commise envers un citoyen chargé d'un mandat public la phrase « Il ose tout, c'est à cela qu'on le reconnaît. » ; qu'en annulant cette plainte au motif que le délit d'injure précité était en l'espèce absorbé par celui de diffamation, la chambre de l'instruction a apprécié le bien-fondé de la qualification retenue par l'acte initial de poursuite, en violation des textes et principes précités " ;

Les moyens étant réunis ;

Vu l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

Attendu que ce texte n'exige, à peine de nullité, que la mention, dans l'acte initial de poursuite, de la qualification du fait incriminé et du texte de loi énonçant la peine encourue ; que la nullité ne peut être prononcée que si l'acte a pour effet de créer une incertitude dans l'esprit des personnes susceptibles d'être poursuivies quant à l'étendue des faits dont elles auraient à répondre ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. X..., maire de la commune de Charvieu Chavagneux, a porté plainte et s'est constitué partie civile à la suite de la mise en ligne sur le site internet " change. org " du commentaire d'un internaute dont il incrimine les deux phrases : " Après avoir détruit une mosquée, le Maire de Charvieu veut vendre une MJC. Il ose tout, c'est à cela qu'on le reconnaît ! ", la première du chef de diffamation publique, la seconde du chef d'injure publique, toutes deux envers un citoyen chargé d'un mandat public ; que le juge d'instruction a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en nullité de la plainte avec constitution de partie civile et de la procédure subséquente ;

Attendu que, pour prononcer les annulations sollicitées et constater la prescription de l'action publique, l'arrêt énonce que, lorsque des expressions outrageantes ou appréciations injurieuses sont indivisibles d'une imputation diffamatoire, le délit d'injure est absorbé par celui de diffamation, et que le non-respect de ce principe relève non pas du bien-fondé de la qualification, mais des exigences de prévisibilité et de fixation de l'objet de la prévention, résultant de l'article 50 précité ; que les juges ajoutent que la phrase incriminée comme injurieuse est, en l'espèce, inséparable de la diffamation également poursuivie ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'ainsi que la Cour de cassation est en mesure de s'en assurer, la plainte avec constitution de partie civile vise deux propos distincts sous deux qualifications différentes et ne crée dans l'esprit d'un prévenu aucune incertitude sur les infractions dont il aurait à répondre, peu important à cet égard l'éventuel défaut de pertinence de la qualification ainsi retenue, qu'il appartiendra aux seuls juges saisis de la poursuite, et non aux juridictions d'instruction, d'apprécier, la chambre de l'instruction a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et du principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ; que, n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble, en date du 27 octobre 2016,

DIT que le juge d'instruction a été régulièrement saisi ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE le retour de la procédure au juge d'instruction saisi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de cour d'appel de Grenoble et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt juin deux mille dix-sept ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.



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Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 28/04/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.